A. DEJOUANY & L. BELBÉZE
MGdecie Principal de i r « Classe Médecin-Major de i re CImw
US ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
LE SERVICE DE SANTÉ
18 ■■ÎM
CORPS D’OCCUPATION FRANÇAIS
Son Œovre Militaire, Médicale et Sociale
Avec 3 cartes et 8 photographies hors-texte
Préface de Monsieur le Médecin Inspecteur général TOUBERT
Le Cadre et le Milieu. — Le Corps d’Occupation Français :
sa morbidité, sa mortalité, son Service de Santé. — L’Hygiène
publique et l'Organisation Sanitaire Ottomane. — Le Pro^
blême épidémiologique du Proche-Orient. — La Prostitution
et les Maladies Vénériennes à Constantinople. — L'Œuvre
d’Assistance et les Réfugiés de l’Armée Wrangel.
PARIS (V*)
LES PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE
4g, Boulevard Saint-Michel, 4g
THE
OSLER LIBRARY
McGILL UNIVERSITY
MONTREAL
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Acc.
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LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
LE SERVICE DE SANTÉ
DU CORPS D’OCCUPATION FRANÇAIS
Son Œuvre Militaire, Médicale et Sociale
A. DEJOUANY & L. BELBÉZE
Médecin Principal de i re Classe Médecin-Major de i re Classe
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
LE SERVICE DE SANTÉ
CORPS D’OCCUPATION FRANÇAIS
Son Œuvre Militaire, Médicale et Sociale
Avec 3 cartes et 8 photographies hors-texte
Préface de Monsieur le Médecin Inspecteur général TOUBERT
Le Cadre et le Milieu. — Le Corps d’Occupation Français :
sa morbidité, sa mortalité, son Service de Santé. — L’Hygiène
publique et l’Organisation Sanitaire Ottomane. — Le Pro
blême épidémiologique du Proche-Orient. — La Prostitution
et les Maladies Vénériennes à Constantinople. — L’Œuvre
d’Assistance et les Réfugiés de l’Armée Wrangel.
PARIS (V e )
LES PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE
49 , Boulevard Saint-Michel, 49
1925
PRÉFACE
Les événements, dramatiques autant qu’imprévus,
dont le Proche-Orient n’a cessé d’être le théâtre, depuis la
fin de la Grande Guerre, maintiennent cette région au
premier plan de l’actualité. Le remous de toutes ces agita¬
tions s’est fait sentir jusqu’à Constantinople, qui fut et qui
reste le trait d’union entre l’Europe et l’Asie. Et la France,
en collaboration avec deux nations alliées formant le corps
d’occupation de Constantinople, depuis le traité de Sèvres
d’août 1920 jusqu’au traité de Lausanne d’août 1923, a eu
à jouer, vis-à-vis de la nation turque, un rôle d’« associée »,
justifié par une tradition plusieurs fois séculaire.
;'Or, le Service de santé militaire du corps d’occupation
français, fut toujours à la peine et souvent à l’honneur,
pendant ces trois dures années. C’est l’histoire de l’œuvre
militaire, médicale et sociale de ce Service que le médecin
principal Dejouany et le médecin-major Belbèze viennent
d’écrire.
Leur livre est d’un si puissant intérêt, la lecture en est si
prenante, que l’on ne peut se résoudre à l’interrompre
après l’avoir commencée. Mais ces pages appellent la ré¬
flexion, la méditation. Et la brochure, d’abord fermée, est
rouverte, plus tard, sur tel ou tel chapitre qui a plus forte¬
ment retenu l’attention. Tous ceux que passionnent l’his-
Dejouany \
2 PRÉFACE
toire, la psychologie, l’art militaire, la prophylaxie sociale,
en feront un de leurs livres de chevet.
Le premier chapitre est d’histoire militaire et politique ,
en un raccourci frappant de nettete et de précision, il coor¬
donne les événements, confus au premier abord, des trois
années qui séparent les deux traités de paix signés avec la
Turquie, celui de Sèvres et celui de Lausanne. Le suivant
est un chapitre de géographie, à la fois littéraire et docu¬
mentaire, de climatologie, d’hygiène et de démographie de
la région de Constantinople. L’organisation de la Santé
publique ottomane et l’œuvre considérable des Commissions
sanitaires interalliées sont développées dans le troisième
chapitre, qui représente une remarquable étude d’hy¬
giène prophylactique vécue. Les deux chapitres suivants
montrent l’organisation du Service de santé, et peuvent
servir de modèles pour l’application à une série de cas
concrets, souvent délicats, des formules générales inscrites
dans les règlements du Service de santé militaire du temps
de guerre ou du temps de paix. L’avant-dernier chapitre
est l’histoire de la lutte antivénérienne menée contre une
prostitution extraordinairement agressive : elle met en
relief les résultats favorables que peut donner une méthode
étudiée scientifiquement et appliquée avec la discipline
sévère, mais intelligente, imposée par un haut commande¬
ment particulièrement averti de l’importance de ces ques¬
tions. Quant au dernier chapitre, c’est le récit émouvant
de l’assistance aux réfugiés, de races, de nationalités, de
religions diverses, dont le flot déferla sur Constantinople,
assistance donnée avec une simplicité généreuse qui en
décuplait la valeur.
En me faisant l’honneur de me charger de la présentation
de leur livre, le médecin principal Dejouany et le médecin-
major Belbèze, me permettent de rendre, une fois de plus,
un public hommage de cordiale gratitude non seulement à
PRÉFACE
3
leur œuvre personnelle, si originale, si puissante, si atta¬
chante, mais également à l’œuvre de leurs prédécesseurs
et de leurs successeurs à ce corps de santé d’Orient, où le
Français a toujours à cœur de justifier, là-bas comme
partout, la belle parole de l’immortel Pasteur :
« On ne demande pas à un malheureux : De quel pays
et de quelle religion es-tu? — On lui dit : Tu souffres, cela
suffit. Tu m’appartiens et je te soulagerai ».
Médecin-inspecteur général Toubert.
AVANT-PROPOS
En exécut on du Traité de Paix, signé à Lausanne, le
24 août 1923, entre les Représentants des Puissances alliées
et ceux du Gouvernement de la Grande Assemblée natio¬
nale d’Angora, les Corps d’occupation français, anglais et
italien, qui stationnaient en différents points du territoire
de la Turquie, de la Thrace orientale et de la Maritza, ont
été rappelés. Le rapatriement des troupes françaises, com¬
mencé le 8 septembre 1923, fut terminé, conformément aux
stipulations du Traité, moins de quarante jours après sa
signature. Le 2 octobre, le Médie II quittait la rade de
Constantinople, emmenant à bord à destination de Mar¬
seille, nos dernières unités.
Le Corps d* occupation français de Constantinople a vécu
trois années, d’octobre 1920 à octobre 1923. La période
antérieure appartient à l’Armée d’Orient, dont les diffé¬
rents éléments, après avoir longtemps combattu sur le front
de Macédoine et à travers la Serbie jusqu’au Danube, s’es¬
saimèrent sur toute l’étendue de l’Echiquier balkanique,
confié à leur garde. En octobre 1920, à la suite de profonds
remaniements, l’immense organisme qu’avait été l’Armée
d’Orient devint le Corps d’occupation de Constantinople,
dont les effectifs réduits et la mission nouvelle étaient
adaptés à la solution des problèmes qui restaient à résoudre,
plus particulièrement avec la Turquie.
Quel a été au cours de cette occupation l’état sanitaire
de nos troupes ? Quel a été le rôle du Service de santé du
6
AVANT-PROPOS
Corps français, tant dans son cadre militaire, que dans son
action interalliée, dans ses relations avec la Nation turque,
dans le domaine de l’hygiène et de l’épidémiologie du Proche-
Orient ? Quels efforts a-t-il accompli, quels résultats a-t-il
obtenu ? C’est ce qu’il nous a paru intéressant de traiter dans
une étude d’ensemble. Nous avons utilisé, dans ce but, les
renseignements de toute nature que, pendant notre passage
à la Direction du Service de santé du Corps d’occupation,
nous avons recueillis, épars dans maints rapports, notes,
états périodiques, etc...; nous nous sommes adressés égale¬
ment aux documents officiels des Corps alliés, aux bulletins
des Commissions sanitaires interalliées, aux délibérations des¬
quelles nous avons pris une part active. Témoins de l’orga¬
nisation sanitaire de nos Alliés, ayant actionné et contrôlé
certains rouages de l’Administration sanitaire ottomane,
ayant joué un rôle d’assistance important auprès des étran¬
gers, nous avons voulu noter ici ce que nous avons vu et
observé.
La partie médicale et technique de ce travail est précédée
d’un historique rapide des événements politiques et mili¬
taires qui ont déterminé le passage du dispositif de l’Armée
d’Orient à celui du Corps d’occupation et qui, par la suite,
ont marqué l’existence même du Corps d’occupation de
Constantinople. Les clauses principales de l’Armistice de
Moudros, du Traité de Sèvres et du Traité de Lausanne,
ont fait l’objet d’une mention spéciale.
Nous avons examiné d’abord le cadre et le milieu dans
lesquels s’est trouvé placé le Corps d’occupation, la morta¬
lité et la morbidité de la population civile en régions occu¬
pées, l’organisation de la Santé publique ottomane. Nous
avons ensuite passé en revue le dispositif réalisé par le Ser¬
vice de santé militaire français, son organisation et son
fonctionnement. Un chapitre a été consacré à l’étude de
Vétat sanitaire de nos troupes, des affections dominantes
AVANT-PROPOS
7
observées dans leur milieu, des principaux épisodes morbides
qui survinrent à Certaines phases de l’occupation et qui
furent conditionnés par des facteurs divers, épidémiolo¬
giques, climatiques, régionaux. Dans cet exposé, nous avons
souligné surtout les traits essentiels, susceptibles de carac¬
tériser nettement la morbidité générale ; l’analyse des af¬
fections qui, par leur fréquence ou leur gravité, avaient
fait peser une lourde menace sur la collectivité militaire,
a paru mériter un plus long développement.
La guerre sans merci que les Alliés ont déclarée à la pros¬
titution et aux maladies vénériennes, si répandues à Cons¬
tantinople, justifiait une mention particulière et un résumé
détaillé de l’œuvre d’assainissement physique et moral à
laquelle s’est vouée, jusqu’à la fin de l’occupation, la Com¬
mission sanitaire interalliée antivénérienne. '
Cette bienfaisante action interalliée s’est également ma¬
nifestée au sein de deux Commissions importantes dont il
sera question : la Commission d'hygiène urbaine et la Com¬
mission sanitaire interalliée maritime et des frontières , à l’ac¬
tivité de laquelle le Service de santé français a été particu¬
lièrement associé. Le rôle de cette Commission a été pré¬
pondérant. Pendant la période troublée qui suivit l’Armis¬
tice, les épidémies les plus meurtrières sont arrivées jus-
9** portes de Constantinople, mettant en péril la capi¬
tale, les troupes alliées, l’Europe occidentale elle-même ; si
le danger fut conjuré, c’est en partie grâce aux mesures
vigilantes et énergiques prises par cette Commission, uti¬
lement secondée par l’Administration ottomane.
Un chapitre est réservé au rôle d'assistance qu’eût à assu¬
mer le Service de santé militaire français envers les étran¬
gers malheureux, notamment envers les 135.000 réfugiés
russes de l’armée de Wrangel,qui, en novembre 1920, s’abat¬
tirent en quelques jours sur Constantinople, et qu’il
fallut héberger et traiter, au milieu des plus lourdes diffi-
8
AVANT-PROPOS
cultés. Aucun problème plus ardu, plus angoissant, ne pou¬
vait se poser avec plus de rigueur au Service de santé fran¬
çais, en dehors de toute opération de guerre. L’œuvre de
charité, entreprise à cette occasion et poursuivie quinze mois
sans défaillance, honore le nom français.
Nous avons pensé ne pouvoir mieux compléter ce travail,
qu’en consacrant quelques lignes à la pieuse mission, rem¬
plie par le Service de l’Etat-civil du Corps d’occupation,
qui a eu la charge du rapatriement des corps, du groupe¬
ment des tombes et de la réorganisation des cimetières où
dorment, sous la garde du «Souvenir Français» de Constan¬
tinople, les morts de Crimée et de la Grande Guerre, que nous
avons laissés sur la terre d’Orient.
CHAPITRE PREMIER
De l’Armée d’Orient au Corps d’occupation de Constan¬
tinople. Les principaux événements de l’occupation.
Le dispositif général français. Les effectifs anglais et
italiens.
i
La foudroyante offensive déclanchée le 15 septembre 1918
par le Général Franchet d’Esperey en Macédoine, libérait une
partie du territoire envahi de la Serbie et amenait la capitula¬
tion delà Bulgarie, qui signait le 29 septembre l’Armistice de
Salonique ; la libération de tout le territoire serbe suivait
bientôt.L’Autriche,mise en péril,et l’Allemagne se trouvaient
coupées de la Turquie, dont les troupes, pressées elles-mêmes
de toutes parts en Turquie d’Asie, allaient être rapidement
disloquées et réduites à merci. Le front de l’Armée otto¬
mane, commandée par le général allemend Liman Von San-
ders, avait été rompu le 18 septembre au nord de Jaffa par
le général Allenby, qui occupait successivement la Palestine
et la Syrie, atteignant Beyrouth le 15 octobre et Alep le 27.
Pendant ce temps, les troupes turques étaient également
défaites en Mésopotamie ; Mossoul était occupé par les An¬
glais. Le Gouvernement de Constantinople, désemparé, si¬
gnait le 30 octobre 1918 VArmistice de Moudros . L’accord
ainsi intervenu est capital : il a déterminé les conditions de
10
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
l’occupation et dominé jusqu’à la cessation de cette dernière
en octobre 1923, la situation diplomatique générale. Ses
clauses essentielles étaient : ouverture des Dardanelles et
du Bosphore et libre accès à la Mer Noire — Occupation mi¬
litaire par les Alliés des forts des Dardanelles et du Bosphore
— Démobilisation immédiate de l’Armée turque, non com¬
pris les troupes de frontière et celles préposées à la police
intérieure — Reddition de tous les bâtiments de guerre
et internement dans les ports turcs désignés — Occupation
éventuelle de tous les points stratégiques — Contrôle par
les Alliés des stations de T. S. F., des câbles et de tous les
chemins de fer turcs — Occupation de Batoum et de Bakou
— Reddition de toutes les garnisons de Syrie, de Mésopota¬
mie, retrait des troupes de Cilicie, reddition de tous les ports
et de tous les officiers turcs en Tripolitaine et en Cyrénaïque
— Évacuation dans le délai d’un mois de tous les sujets alle¬
mands ou autrichiens civils ou militaires. — Obligation pour
la Turquie de cesser toutes relations avec les puissances cen¬
trales. La Turquie, à bout de souffle, désorganisée, ruinée,
se livrait à l’Entente qui.allait assumer la tâche de réorga¬
niser politiquement l’Orient.
La défaite de la Bulgarie et celle de la Turquie étaient
bientôt suivies, le 4 novembre, de l’effondrement de l’Au¬
triche et, le 11 novembre, de la signature par l’Allemagne
vaincue de l’armistice de Rethondes. La capitulation des
Empires Centraux finissait de nous ouvrir les portes de
l’Orient, dont les soldats alliés venaient de commencer
l’occupation.
Le 10 novembre 1918, un destroyer débarquait à Cons¬
tantinople les premières troupes françaises. Le 15, les flottes
alliées jetaient l’ancre dans le Bosphore. Le général Franchet
d’Esperey arrivait le 22 dans la capitale ottomane. Le 24
novembre, l’Armée d’Orient occupait la Serbie (général
Henrys), la Bulgarie (général Chrétien), la Hongrie et la
Transylvanie où stationnaient trois divisions françaises et
huit divisions roumaines reconstituées par le général Ber-
thelot revenu en Roumanie, Constantinople, les Dardanelles
LE CORPS D’OCCUPATION FRANÇAIS lf
les bords de la Mer Noire, Odessa et la Crimée (général
Anselme).
Ces vastes étendues de territoire furent tenues par les
troupes Alliées qui composaient l’Armée d’Orient pendant
toute la durée des travaux de la Conférence de Paris. Les
trois premiers traités qui furent conclus, celui de Saint-
Germain avec l’Autriche (10 septembre 1919), le traité de
Neuilly avec la Bulgarie (27 septembre 1919), le traité de
Trianon avec la Hongrie (4 juin 1920) furent ratifiés et
exécutés au moins dans leur ensemble. Cela permit en res¬
serrant les zônes d’occupation de comprimer les effectifs.
Au premier décembre 1919, l’effectif global des contin¬
gents français tombait à 46.961 dont 1.504 officiers. Au pre¬
mier juillet 1920, il n’était plus que de 20.086 hommes, dont
17.609 étaient stationnés en Turquie, et 2.477 seulement
hors de Turquie, dont 1.894 à Salonique, où ils constituaient
les troupes d’étapes et des services de liquidation de Macé¬
doine, et 583 à Sofia où ils étaient préposés à la garde de la
ligne de communication Belgrade-Sofia.
Mais alors que le calme renaissait dans les nations bal¬
kaniques, l’orage grondait en Turquie d’Asie. Sous l’impul¬
sion de Mustapha Kémal, un gouvernement révolutionnaire
s’installait à Angora, appuyé par l’Assemblée Nationale
qu’il avait réunie ; il décidait de combattre le Gouvernement
régulier de Constantinople désemparé et de s’opposer à
l’application des conditions de paix qu’on voulait imposer
à la Turquie.
Les délégués ottomans de Constantinople signaient en
effet, le 11 Août 1920, le Traité de Sèvres. Aux termes de
ce traité, les Turcs ne conservaient plus en Europe que Cons¬
tantinople et une zone de terrain presque négligeable. En
Asie, seule l’Anatolie leur était laissée ; encore Smyrne était-
elle attribuée à la Grèce, à laquelle étaient livrées par ailleurs
Andrinople, la Thrace et les îles de la mer Egée. Une Com¬
mission spéciale et des forces internationales étaient char¬
gées du contrôle et de la garde des Détroits. L’Arménie était
déclarée Etat indépendant. La France se chargeait de la
12
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
tutelle de la Syrie, l’Angleterre de celle de la Mésopotamie
pendant le temps qui était nécessaire à ces deux pays pour
se constituer Etats libres. La Palestine était soumise à un
statut spécial sous l’administration de l’Angleterre.
L’assemblée nationale d’Angora proclamait aussitôt qu’elle
ne ratifierait pas le traité et qu’elle recommencerait la lutte,
mettant ainsi la France dans l’obligation d’envoyer une
armée en Syrie et en Cilicie. Les Grecs de leur côté étaient
amenés à renforcer leurs troupes d’occupation de Smyrne
et à se préparer à en défendre la possession aux troupes na¬
tionalistes. A Athènes, un mouvement populaire provoquait
l’effrondrement du Premier ministre Vénizelos et le rappel
du roi Constantin (novembre 1920).
Ainsi donc le traité de Sèvres était loin de ramener le
calme en Orient, puisqu’il occasionnait de nouveaux conflits
et que la Turquie d’Asie, déjà en rébellion contre l’auto¬
rité du Sultan, se dressait contre les Grecs et contre les Alliés.
L’attention allait se concentrer sur l’Anatolie. A Constanti¬
nople, où la France avait envoyé le général Pellé (10 dé¬
cembre 1920) comme Haut-Commissaire, un Gouvernement
sans prestige et sans moyens d’actions, ne se maintenait
que par la faveur du Sultan ; il était dans l’impossibilité,
de réduire le mouvement nationaliste d’Angora, comme aus; i
de résister aux Alliés. Andrinople et la Thrace étaient soli¬
dement occupées par les troupes helléniques qui stationnaient
ainsi presque aux portes de Constantinople. La sécurité
des Alliés dans la Capitale Ottomane, vers laquelle avaient
convergé progressivement les éléments, de plus en plus di¬
minués, de l’Armée d’Orient, ne pouvait donc être inquié¬
tée ; les contingents d’occupation pouvaient sans danger
être ramenés aux seuls effectifs nécessaires pour assurer la
garde de Constantinople et des Détroits.
II
Année 1920. — Le 30 août 1920, le ministre de la Guerre
13
LE CORPS D’OCCUPATION FRANÇAIS
décidait que les troupes françaises d’Orient seraient grou¬
pées en une division d’occupation dite Corps (TOccupation
de Constantinople ayant pour mission de participer à l’occu¬
pation interalliée des Détroits, de protéger les installa¬
tions françaises à Constantinople, d’assurer la garde des
stocks de l’Armée d’Orient encore à liquider et le maintien
de l’ordre dans le bassin minier d’Héraclée. Cette réorga¬
nisation fut entreprise immédiatement. Le regroupement des
unités, et les aménagements qui suivirent furent réalisés
dans le courant du mois de septembre ; près de 5.000 hom¬
mes rendus ainsi disponibles furent envoyés à l’Armée du
Levant. Le 1 er octobre, le Corps d’Occupation de Constan¬
tinople était constitué dans ses grandes lignes ; son effectif
était de 13.825 hommes de troupe, dont :
Français. 7.230
Indigènes Nord-Africains. 3.846
Sénégalais. 2,741
Il comprenait sous le Commandement d’un Général,
ayant rang et prérogatives d’un Général Commandant un
Corps d’Armée (1) :
A) Un Etat-Major (1) composé de 4 bureaux, dont le
2 e était renforcé ;
Un bureaû spécial de liquidation et de contentieux ;
Un service topographique .
B) Des troupes et services avec :
1° de l’Infanterie, placée sous le commandement d’un Gé¬
néral de Brigade (1) Commandant l’Infanterie du Corps
d’Occupation : 9 Bataillons d’infanterie devant être réduits
ultérieurement à 6 et répartis en trois régiments :
Le 66 e R. I., avec 2 bataillons.
Le 37 e R. T. A., avec 4 bataillons (Régiment de Tirailleurs
Algériens).
Le 12 e R. T. S., avec 3 bataillons (Régiment de Tirail¬
leurs Sénégalais).
(1) Général Charpy, général commandant ; colonel Després, chef
d’Etat-Major ; général Priou, commandant l’infanterie du C. O. C.
14
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
A cette Infanterie était rattaché un Centre d’instruction
Divisionnaire ;
2° De l’Artillerie placée sous le Commandement d’un Co¬
lonel ou Lieutenant-Colonel Commandant l’Artillerie du
Corps d’Occupation : un Détachement de Parc (Détache¬
ment n° 103) ;
3° Une compagnie de chars de combat (303 e Cie de
Chars) •
4° Un Escadron de Spahis Marocains (3 e Escadron du 21 e
Régiment de Spahis Marocains) ;
Un Groupe d’Autos Mitrailleuses et canons (10 e Groupe
d’A. M. C.) ;
5° Des unités du Génie, sous le commandement d’un chef
de bataillon commandant le Génie du Corps d’occupation
(Une Cie de sapeurs-mineurs. — Une Compagnie de Parc du
Génie) ;
6° Un détachement télégraphique, composé de la 51 e Com¬
pagnie du 43 e bataillon du Génie avec section de Radio et
Service colombophile ;
7° Des unités d’Aéronautique : Une Escadrille (51 e Esca¬
drille du 5 e Régiment d’Aviation), Une Section de Photo-
aérienne, Un Atelier — Un Service météorologique ;
8° 4 Compagnies de T. E. M. ;
9° Des éléments du Service de l’Intendance, avec un sous-
Intendant chef du Service de l’Intendance du Corps d’Occu¬
pation, un sous-Intendant divisionnaire, un sous-Intendant
à Salonique, une Section de marche de C. O. A ;
10° Des éléments du Service de santé, avec un Directeur
du Service de santé, un Médecin divisionnaire, des organes
d’hospitalisation, une ambulance de colonne mobile et un
Groupe de brancardiers (maintenu en réserve), le Service
de santé des Corps de troupe, une Section de marche d’In-
firmiers ;
11° Des éléments du Service automobile ;
12° Une Prévôté du Q. G. du Corps d’occupation, une
Force publique de Constantinople, une Prévôté du contrôle
interallié de la police turque ;
LE CORPS D’OCCUPATION FRANÇAIS
15
13° Des éléments du Service vétérinaire avec un vété¬
rinaire major de 1° classe chef de service ;
14° Des éléments de la Justice militaire : 3 Conseils de
guerre, dont 2 à Constantinople et 1 à Salonique — 1 con¬
seil de révision ;
15° Enfin des Services spéciaux rattachés au Corps d’occu¬
pation, tels que Mission de liaison ottomane, Mission de
liaison Britannique, Centre d’Information, Bureaux de Comp¬
tabilité, Officiers détachés au Haut-Commissariat, au Ser¬
vice des Transports, Commission du Consortium de Salo¬
nique et de Constantinople.
Les Unités du Corps d’Occupation étaient réparties de la
façon suivante :
1° Constantinople et ses abords immédiats étaient tenus
par la plus grande partie d’entre elles.
;aillons, dont 1 à Péra et
(5 km. nord-ouest / L’escadron de Spahis, moins 1 peloton,
de Makrikeuj). (
Daoud Pacha l
(3 kilom. nord de < Le Groupe d’Àrtillerie de Campagne.
Makrikeuy). (
2° Des Détachements d’importance variable stationnaient
à Hademkeuy, Zoungouldak et Gallipoli.
.) Hademkeuy \ \ C°“W> ie
( 1 Peloton de
d’infanterie.
Spahis.
a
b) Zoungouldak : 2 Bataillons d’infanterie.
c) Gallipoli : 1 Bataillon d’infanterie.
3° Quelques Unités aberrantes avaient comme point
d’attache Salonique et Sofia.
16
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
S I Bataillon de Sénégalais.
1 Détachement du Parc d'Artillerie et du Parc du Génie.
b) Sofia : 1 Compagnie de Sénégalais.
En somme, le dispositif des troupes du Corps d’Occupa-
tion comportait un groupement et des détachements. Chacun
d’eux avait un rôle bien déterminé.
Le gros des troupes, stationné dans la région de Constan¬
tinople et de ses abords immédiats (Makrikeuy, San Stefano,
Ramis, Daoud-Pacha), était chargé de l’occupation et de la
protection de Constantinople. Il comprenait le Q. G. —
l’L D. — 4 bataillons 1/2 d’infanterie, l’artillerie, les chars,
l’escadron de spahis et les autos-mitrailleuses de cavalerie,
l’aviation et la majorité des Services.
Les 2 bataillons de Zoungouldak assuraient la garde des
mines d’Héraclée, qui fournissaient de charbon le Corps
d’occupation, la Marine et la Ville.
Au bataillon de Gallipoli, étaient confiés l’occupation de
la rive européenne du Détroit des Dardanelles, dont la rive
asiatique était tenue par les Anglais, la garde des dépôts de
munitions assez nombreux dans la Presqu’île, enfin le con¬
trôle de l’Administration grecque qu’il fallait empêcher de
se livrer à des mesures vexatoires à l’égard des sujets Mu¬
sulmans ou à des agissements contraires aux règles de la
neutralité.
Le détachement d’Hademkeuy, composé seulement d’une
compagnie et d’un peloton de spahis, mais dont l’effectif
devait être augmenté par la suite, avait pour mission de
garder les dépôts de munitions de la région, de contrôler les
forces delà police ottomane, et de surveiller la nouvelle fron¬
tière entre le territoire turc et la zone d’occupation hellénique.
Quant aux détachements de Salonique et de Sofia, ils
étaient simplement employés aux opérations de liquidation
en voie d’exécution dans ces villes, qui avaient été des bases
importantes de l’Armée d’Orient. Celui de Sofia assurait
en plus la réception et l’aiguillage des engagés volontaires,
qui se destinaient à la légion.
A peine constitué, le nouveau Corps d’occupation allait
Rouies c&rrossableA
LE CORPS D’OCCUPATION FRANÇAIS 17
avoir à assumer une tâche supplémentaire des plus rudes.
Dans la première quinzaine de novembre, arrivait en quel¬
ques jours, dans des conditions tragiques, en rade de Cons-
tantmople une flotte de plus de 125 navires transportant
près de 135.000 réfugiés russes. Ces milliers d’êtres humains
extenues affamés, au milieu desquels se trouvaient des
femmes, des enfants, des vieillards, des malades, des con¬
tagieux, des blessés, avaient été embarqués en toute hâte
au moment de l’abandon de la presqu’île de Crimée par
armee Wrangel, sous la poussée des troupes bolchevistes.
Il fallait leur venir en aide sans délai, leur donner à manger
les abriter, recueillir et soigner leurs malades, tout autant
e esognes que le Corps d’occupation entreprit aussitôt. En
lisant plus loin les pages qui ont été consacrées à cette ques¬
tion des réfugiés, on se rendra compte des difficultés que
le Commandement eut à surmonter, et de l’effort accompli
à cette occasion par le Service de Santé. Environ 30 000
de ces malheureux furent aiguillés vers les pays balkaniques
ou ils reçurent 1 hospitalité. Mais la grosse masse resta à la
charge du Corps d’occupation français. C’est seulement dans
le courant de 1 année 1921, que la plupart des réfugiés purent
être progressivement acheminés vers d’autres régions.
Année 1921— a) Dispositif français. — En même temps
qu ils poursuivaient cette lourde tâche, les Corps et Services
eurent à s employer au règlement de la situation complexe
qu ils tenaient de l’Armée d’Orient. Ils conduisirent les
operations de liquidation en même temps que celles néces¬
sitées par la continuation des secours de toute nature qui
furent consentis aux Réfugiés jusqu’à leur dispersion. Des
réductions d effectifs, des suppressions d’Unités furent de
la sorte réalisées au fur et à mesure de l’avancement de ces
differentes opérations. La base de Salonique fut dissoute
en février 1921.
La situation politique permit en outre, en avril, la fusion
en un seul des 2 bataillons de Zoungouldak. En juin l’Occu
pation de cette région prit fin à la suite d’une entente in-
Dejouany
2
13 LES ALLIÉS a CONSTANTINOPLE
tervenue avec les kémalistea ; le bataillon qui en Était resté
chargé fut envoyé au Levant. , TTnités
Ainsi furent supprimés par étapes successives 1
et T Services, non prévus dans l’organisation deinitive u
Corps d’occupation, qui était réalisée vers la fin 492 , smva "_
le nouveau tableau d’effectifs fixé par le Ministre pour les
Unités type Levant~Constantinople. Le Corps d occupation
comptai. 12.776 Homme, et 614 oflioi», le 1»
1931. ne comptai! pin, que 7.00»homme, et 360 othc.ers le 1
Décembre 1921 (relève du 1 er échelon de la classe 192U) U)-
Le Corps d’occupation comprenait alors 3 Régiments
d’infanterie à 2 bataillons chacun, done 6 bataillons au
lieu de 9 fin 1920, et un certain nombre d’unités et de ber-
vices fixes. Sa composition,-ainsi que le stationnement des
différentes Unités au i« janvier 1922 sont indiques dans
le tableau suivant :
ORDRE DE BATAILLE DU CORPS D’OCCUPATION FRANÇAIS
Te CONSTANTINOPLE, A LA DATE DU 1« JANVIER 1922
1° Commandement
État-Major du Commandement du Corps d’occupation, de Constantinople
(Stamboul)
Etat-Maior comprenant 4 bureaux (dont 2 Officier, chargés delà liquidation
et di contentieux et 1 Officier chargé de la topograph.e).
2° TVqupss et Services
Infanterie
, „ T , . . . Makrikeuy-
Etat-Major de l’Infanterie.
f E.-M. du Régiment Y
66- R. I. N qer Bataillon.f.. Stamboul.
à 2 Bataillons J ^m. Bataillon. ’
/ E.-M. du Régiment.,. Maknkeuy.
37 me R. A.T. I 1" Bataillon...; ' * ”
{ 6 2 Compagnies k Hademkeuy.
à 2 Ratai ons ^ Bataillon.| 2 Compagnies à San Sfceiancu
/ Ea-M. du» Régiuxeixtv... Galhpolu
«-«.T.»- «-*-»-..; 'SSL..
à 2 Bataillons f 2m , Bataillon (détache a Gallipoli).| Sed-uk Bahr.
Compagnie de Chars de Combat.Makrikeuy.
par mois pour les années 1921, 22 et 23 est indiqué ^
Tableaux du chapitre VI.
le corps d’occupation FRANÇAIS 19
Cavalerie
om. -ri i i ^ à Makrikeuy.
3- Escadron du 21- Régiment de Marche ( 1 Peloton à Hademkeuv
de Spahis Marocains. ..il Peloton à Ortakeuy.
( (Escorte du Général).
10»® Groupe d Autos Mitrailleuses et Canons. Makrikeuy.
Artillerie
10"« Groupe du 271™ Régiment d’Artillerie de Campagne Ramis
Détachement de Parc N°10du 271"» Régiment d’At tillerie )
de Campagne. > San Stefano.
Génie
Commandement et Chefferie. \
4 me Compagnie du 33"» Bataillon de Génie.'tj Stamboul.
121™ Compagnie du 33">* Bataillon de Génie.. . ....... Tcheragan.
Télégraphie
Commandement. .
, 51m “ Com pagnie du 43“= Bataillon de Génie’ ’pourvue /
d’une Section de Radio. . / Stamboul.
Service Colombophile ... !
Aéronautique
Escadrille 51 du 35 mo Régiment déviation et Comman- 1
dement de l’Aviation du C. O. F. C. l
Un Service ^«orCogique ... !. ^ ! ! ! ! ! ^ ] ( San S(eW
Une Section de Photo Aérienne.
Un atelier ...
Train des Équipages
Commandement du train.
Compagnie 21/35 du T. E. M. (Quartier Gén' duC.’o. C.) $ Stamboul.
Compagnie 22/35 du T. E. M. (Compagnie de Transport). Stamboul.
(Moins un détachement à Makrikeuy pour Dépôt de Remonte
Mobile D. R. M.)
Intendance
Une Direction de l’Intendance. \
Une Sous-Intendance Divisionnaire. \l Stamboul.
Un Détachement delà 33™ Section de Marche de C. O. A. . \
Service de Santé
Un Médecin Principal de Ire Classe, Directeur du Service. Stamboul.
I Hôpital fiie de Gul-Hane . Stamboul.
Des organes d Hospitalisation J » » » Giflard_ p era .
♦ f Infirmerie Ambulance Corroy Maltepé
Un Service de Santé de Corps de troupe.
Un Détachement de la 33»= Section de,Marche d’infirmiers Stamboul.
20
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
Service Automobile
Un Chef du Service Automobile.J
C le de Transports Automobiles N° 26 du 135 m * Escadron }
C i# du Parc Automobile N° 27 du 135 m * Escadron.. ... 1
Stamboul.
Service Vétérinaire
Un Chef du Service Vétérinaire .
Stamboul.
Justice Militaire
Deux Conseils de Guerre du C. 0. F. C. )
Un Conseil de Révision. S
Stamboul.
Trésor et Postes
Uno Direction ..... I
Un Bureau de comptabilité et de liquidation (529)./ Stamboul.
Un Secteur Postal du G. 0. F. G. (502)...•
Poste Civile de Constantinople (ancien Secteur 506) et Bureau Civil de
Smyrne (ancien Secteur 528).
Services Spéciaux du C. O. F. C.
Base Militaire.
Place de Constantinople.
Officier de Liaison Ottomane (l'Officier du 2 me Bureau).
Officier de la Liaison Britannique (1 Officier).
Centre d’information.
Bureaux de Comptabilité.
En somme, à la date du 1 er Janvier 1922, le dispositif
du Corps d’occupation comprenait :
1° Le gros des forces
A. Constantinople
ou dans son
voisinage
immédiat
( Q. G. et Services divers moins le Parc d’Artillerie.
( Un Régiment d’infanterie. — Génie.
( / E.-M. de l’Infanterie.
...... >1 Bataillon d'infanterie.
Maknkeuy... Gompagn . e de ^
V Majeure partie de la Cavalerie.
>. L Un Demi-Bataillon d’infanterie.
1 San Stefano. .<! Aviation.
I i Parc d’Artillerie.
1 Ramis.: Groupe d’Artillerie.
Maltepé.: 1 Bataillon d’infanterie.
A Hademkeuy |
dans la Presqu’île )
de Gallipoli )
2° Deux Détachements
2 Compagnies d’infanterie.
1 Peloton de Spahis.
1 Bataillon d’infanterie.
21
LE CORPS D’OCCUPATION FRANÇAIS
Nous sommes bien loin, on le voit, de la dispersion des.
troupes de l’Armée d’Orient et même du Corps d’Occupation
à son origine.
Il est à remarquer, que les Unités du Groupement de Cons¬
tantinople stationnaient toutes dans la partie de la ville si¬
tuée au S.-O. de la Corne d Or, à Stamboul. Dans le courant
de l’année 1921, la ville avait été en effet, pour la facilité
de sa défense en cas de troubles, divisée en 2 secteurs dis¬
tincts : le secteur de Stamboul, le plus rapproché de Makri-
keuy où se trouvait déjà un contingent important de troupes
Françaises, a été attribué au Corps d’occupation, celui situé
au Nord-Est de la Corne d’Or étant dévolu aux Anglais.
Ce resserrement de nos Unités avait pour résultat de les
grouper, de faciliter les liaisons, le ravitaillement et l’exer¬
cice du Commandement.
b) Dispositif des Alliés . — Les troupes alliées compren-
naient à côté du Corps d’occupation Français, des contin¬
gents anglais, grecs et italiens.
Au début de janvier 1921, les contingents anglais for¬
maient avec une Division grecque VArmée dite de la Mer
Noire , qui était placée sous les ordres du général Harington.
Cette armée comprenait la 28 e division britannique (géné¬
ral Marden), 2 Brigades à 3 bataillons, une Artillerie di¬
visionnaire de 4 batteries, dont une d’obusiers, et des élé¬
ments d’armée, soit un régiment de cavalerie (20 e hussards),
une Compagnie du Génie, une compagnie de mitrailleuses et
une de chars blindés, plus la Division grecque dite de Ma¬
gnésie , qui occupait la région d’Ismidt. Les contingents an¬
glais de cette armée de la mer Noire étaient stationnés :
une Brigade (83 e ) sur la rive européenne du Bosphore, dans
les alentours de Péra, avec 1 Bataillon détaché à Tchanak ;
une brigade (84 e ) et les éléments d’armée sur la rive Asia¬
tique du Bosphore et de la Marmara, avec comme centre
Scutari.
Dès la fin de mars 1921, la Division hellénique cessait
de faire partie de l’Armée de la mer Noire, qui ne comprenait
plus dès lors qu’une division britannique avec ses éléments
22 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
d’armée. Le stationnement des troupes anglaises ne subit,
de ce fait, aucune modification. Il resta invariable d’ailleurs
pendant de longs mois encore. Le 18 juillet 1921, lorsque
le général Harington prit, avec la distinction que chacun
sait, les fonctions de commandant en chef des Forces Alliées
d’oceupation, l’armée de la mer Noire, ainsi réduite aux
contingents britanniques, passa aux ordres du général Mar-
den, changea de nom et fut appelée Corps britannique
d'occupation. Son effectif moyen au milieu de l’année 1921
oscillait entre 10.000 et 11.000 hommes.
Quant aux unités d’occupation italiennes, elles ne com¬
prenaient pendant le premier semestre de l’année 1921 qu’un
seul bataillon, le 2 e bataillon dû 303 e régiment, qui était
cantonné à Galata. Dès le mois d’a*ût, ce bataillon fut ren¬
forcé d’un 2 e du même régiment, qui eut comme point d’atta¬
che Nichantach. L’effectif de chacun de ces 2 bataillons
était de 500 hommes environ.
Ainsi donc Constantinople et ses abords sur la côte d’Eu¬
rope ou sur la côte d’Asie, la frontière gréco-turque à Ha-
demkeuy, les Détroits, furent tenus au cours de l’année 1921
par moins de 20.000 soldats alliés. Le calme complet n’avait
cessé de régner de ce côté-là.
e) Evénements d'Anatolie. — En Anatolie, au contraire,
des événements politiques et militaires importants s’étaient
déroulés.
L’armée française du Levant avait dû défendre contre
les troupes Turques, pendant les derniers mois de l’année
1920 et au cours des deux premiers mois de l’année 1921,
l’occupation de la Cilicie. Cependant ce conflit était bien¬
tôt, grâce aux efforts de M. Franklin-Bouillon, heureuse¬
ment apaisé ; aux termes d’un accord signé à Londres, le
11 Mars 1921, la Cilicie était rendue aux Turcs, et nous
conservions nos droits sur le chemin de fer de Bagdad. Mais
l’entente ne put se faire à Londres entre Grecs, Turcs de
Constantinople et Turcs d’Angora, auxquels les Alliés avaient
proposé un compromis. La Grèce ne tardait pas à décréter
la mobilisation contre les Turcs. Son armée ouvrait les lios-
LE CORPS D’OCCUPATION FRANÇAIS
23
tilités en juin sur le territoire d’Anatolie ; après quelques
revers, elle brisait la résistance des troupes kémalistes et
s’emparait de Kutahia (19 juillet), d’Eski-Chéhir (21 juil¬
let), mais elle était arrêtée peu après sur le Sakaria et ra¬
menée en arrière par une vigoureuse contre-offensive vic¬
torieuse de l’armée de Kémal. L’hiver et la fatigue vinrent sus¬
pendre les opérations. Les adversaires restèrent en présence.
Année 1922. — Pendant cette année 1922, les Alliés
poursuivaient à Constantinople leur occupation dans le calme.
La situation de leurs corps d’occupation restait ce qu’elle
était en 1921. Une modification était apportée cependant,
en Avril, à la composition du Corps d’Occupation Français,
dont un des trois régiments d’infanterie, le 37 e régiment
de Tirailleurs Algériens, était supprimé. Les deux régiments
qui lui restaient, le 66 e R. I. et la 12 e Sénégalais, passaient
de 2 à 3 bataillons. L’équilibre des effectifs était ainsi ré¬
tabli. L’effectif moyen fut légèrement inférieur au cours du-
premier semestre de l’année 1922 au chiffre de 8.000 hommes
de troupe, fixé par le Ministre.
Au mois de juillet, le Gouvernément Grec, inquiet des
conséquences fâcheuses, qu’avait pour la discipline l’inac¬
tion prolongée à laquelle était condamnée l’Armée d’Asie
Mineure depuis la défaite du Sakaria, se résolut à tenter une
diversion en Europe et l’enlèvement de Constantinople par
surprise. Il prélevait à cet effet des troupes sur le front d’Ana¬
tolie, et les massait en Thrace Orientale devant les lignes de
Tchataldja.
Les Corps d’occupation Alliés recevaient l’ordre de s’oppo¬
ser à la violation de la zone neutre soumise à leur contrôle,
et de couvrir Constantinople. Ainsi fut organisé, dès les
derniers jours de Juillet, sous le Commandement du Général
Charpy, le Secteur défensif de Thrace , à l’occupation duquel
participèrent, à côté de nos troupes, des éléments Britan¬
niques et un détachement Italien. Le 5 août, ce Secteur
était tenu suivant la ligne de couverture Strandja- Sinékli-'
Kabadja-Tchataldja, par les Unités suivantes :
24
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
Troupes Françaises
Troupes Anglaises
Troupes Italiennes
2 Régiments à deux Bataillons.
1 Escadron de Spahis,
1 Groupe d’Artillerie.
Eléments divers (Chars, Autos, Mitrailleuses, Génie)*
3 Bataillons d’infanterie.
3 Escadrons.
1 Groupe d’Artillerie.
1 Compagnie d’infanterie.
2 Sections de Mitrailleuses (ces unités étaient portées
par la suite à 1 Bataillon).
Le Corps d’occupation Français reçut vers le milieu d’août,
en renfort de l’armée au Levant, un régiment d’infanterie
à 3 Bataillons et 2 escadrons de chasseurs d’Afrique. Le nou¬
veau Régiment d’infanterie, le 415 e R. I., comprenait l’E.-M*
et 2 bataillons de ce Régiment et 1 bataillon du 36 e régi¬
ment de tirailleurs tunisiens. Ces renforts portaient alors
sdn effectif total à 9.890 hommes et 345 officiers.
La situation sur le front allait se dénouer sans le moindre
incident à la faveur de l’offensive déclanchée en Anatolie
par les Kémalistes. Profitant de ce que les Grecs avaient,
pour constituer les troupes d’attaque qui devaient marcher
sur Constantinople, sensiblement affaibli leur front d’Asie,
l’armée de Mustapha-Kémal, qui pendant les six premiers
mois de l’année s’était renforcée, entraînée et largement
approvisionnée, fonçait, le 24 août, sur Afioun-Kara-Hissar,
et entreprenait alors la marche victorieuse qui la con¬
duisait à Smyrne, le 9 septembre.
Dès le déclanchement de cette inquiétante offensive, le
Commandement hellénique retirait en hâte, pour les ren¬
voyer à Smyrne, de nombreuses Unités du secteur de Thrace,
que la plus grande partie des troupes alliées pouvaient, dès
lors, quitter à leur tour. Les Anglais ramenèrent toutes les
Unités, qu’ils y avaient, dans les zones neutres de la rive
d’Asie qui pouvaient être menacées par l’avance kémaliste.
Dans la première quinzaine de septembre, il ne restait plus
à Hademkeuy-Tchataldja que les contingents français :
2 escadrons de cavalerie, 4 bataillons d’infanterie (3 du
LE CORPS D’OCCUPATION FRANÇAIS 25
415 e R. I. et 1 du 12 e R. T. S.), une batterie d’artillerie et
des fractions de chars d’assaut et d’autos-mitrailleuses ca¬
nons. Dès le début d’octobre, il ne fut plus maintenu dans
la région qu’un bataillon de Sénégalais et un escadron de
chasseurs d’Afrique, qui n’avaient plus qu’un rôle de con-
trôle et de police.
La débâcle de l’armée grecque avait été suivie de l’éva¬
cuation rapide, par cette dernière, de l’Anatolie. Au cours
de l’avance kémaliste sur Brousse et Moudania, deux com¬
pagnies du 66 e R. I. furent envoyées de Constantinople à
Moudania, pour y protéger nos nationaux et les 15.000 réfu¬
giés, qui s étaient abattus sur la ville en vue de s’embarquer
et d’échapper aux troupes turques. Parti le 9 septembre, ce
détachement était de retour peu après à Constantinople,
après avoir rempli avec tact sa mission délicate.
L armée de Mustapha-Kémal avait reconquis l’Anatolie
en 18 jours. Surexcitée par sa belle victoire, elle arriva aux
confins de la zone neutre d’Ismidt et de Tchanak, au con¬
tact des troupes anglaises de la rive d’Asie, disposée à re¬
prendre la lutte en Thrace et à exploiter sa victoire jusqu’au
bout. En présence de cette menace, qui pesait sur la ville de
Constantinople et sur la paix même de l’Europe, les Alliés
proposèrent à Mustapha-Kémal, qui sur l’insistance pressante
de M. Franklin-Bouillon accepta, la réunion immédiate
d une Conférence de la paix. Apres des pourparlers laborieux,
la Convention de Moudania fut signée le 11 octobre 1922,
grâce à la fermeté et au tact des généraux Harington, Charpy
et Mombelli, plénipotentiaires militaires des Alliés. Aux
termes de cette Convention, les régions tenues par les Alliés
étaient respectées, la Thrace orientale jusqu’à la Maritza était
rétrocédée aux Turcs qui étaient autorisés à y installer leur
administration et leur gendarmerie, sitôt après le retrait des
troupes grecques ; pendant la durée de ce retrait, la région se¬
rait occupée par des effectifs alliés chargés d’assurer dans
l’ordre le passage de l’administration grecque à l’administra¬
tion turque. Après la restitution de la Thrace aux Kémalistes,
la rive droite de la Maritza serait tenue par les troupes
26
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
alliées, jusqu’à la signature du traité de paix devant régler
-en Orient toutes les questions litigieuses.
L’occupation de la Thrace commença le 18 octobre. La
région était divisée, à cet effet, en trois zones : zone-sud
(Rhodosto), confiée à la garde des Anglais : zone-est (Tchor-
lov), affectée aux Italiens. La zone française, de beaucoup
la plus importante, comprenait Andrinople, Kirk-Kilissé,
Lulé-Bourgas. Dans chacun de ces centres stationna un
bataillon du 66 e R, I. L’Etat-Major du régiment eut comme
Quartier Général Andrinople, qui fut occupée, de plus par
un escadron de chasseurs d’Afrique.
Le pays put être ainsi livré aux autorités kémalistes en
temps voulu et sans incident sérieux. Les 29 et 30 novembre,
après 42 jours d’occupation, deux bataillons du 66 e R. I.
rentraient à Constantinople. Le bataillon et l’escadron de
chasseurs stationnés à Andrinople passaient à Kara-Agatch
pour assurer la surveillance de la rive droite de la Maritza.
Pendant ce temps, à Constantinople, une situation déli¬
cate était faite aux Alliés par les Kémalistes. Sitôt après la
signature de la Convention de Moudania, en effet, le général
Réfet-Pacha, nommé gouverneur de la Thrace orientale,
était venu séjourner dans la ville en attendant d’aller se
fixer à Andrinople ; il en profitait pour voir un grand nombre
d’hommes politiques de l’entourage du Sultan. Il les gagnait
sans aucune peine à la cause d’Angora. Bientôt, l’Assem¬
blée nationale, proclamant la déchéance du Sultanat, le
désignait comme son représentant extraordinaire à Cons¬
tantinople. Le Sultan s’enfuyait à bord d’un navire qui le
conduisait à Malte. L’Assemblée nationale élisait Grand
Calife le prince héritier Abdul-Medjid, qui conservait seule¬
ment le pouvoir spirituel. Constantinople cessait d’être
capitale et devenait simple vilayet. Avec l’appui des anciens
fonctionnaires du Sultan, Réfet-Pacha y prenait en main le
pouvoir abandonné par le Grand Vizir Tevfik Pacha et par
ses ministres. En instaurant partout l’administration kéma-
liste, il déclarait que l’armistice de Moudros n’ayant jamais
été reconnu par Angora, ses clauses ne seraient pas appli-
27
LE CORPS D’OCCUPATION FRANÇAIS
quées à Constantinople et que, de ce fait, les Alliés per¬
daient tout droit de contrôle sur l’exercice du pouvoir. La
sécurité des troupes alliées serait cependant garantie, par¬
tout où elles se trouvaient, par la nouvelle administration,
conformément aux stipulations de la Convention de Mou-
dania.
Année 1923. — La mise en pratique d’une telle politique
sur un territoire encore soumis au contrôle des Puissances
de P Entente, ne tardait pas à provoquer d’inquiétantes
frictions. Les Autorités alliées, faisant preuve du plus grand
esprit de conciliation, s’employèrent patiemment à trouver
un terrain d’entente. Après de laborieuses négociations, un
compromis fut arrêté sur les bases d’une coopération, sau¬
vegardant les susceptibilités du nouveau Gouvernement et
les attributions des Alliés. Ce modus vivendi servit de base,
jusqu’au dernier jour de l’occupation, aux rapports des
Corps d’occupation et de l’Administration kémaliste. L’in¬
transigeance de cette dernière n’en entretint pas moins
par la suite, et accentua fort dangereusement même, par
moments, le malaise résultant de son ingérence dans les
prérogatives des Alliés. Les Corps d’occupation, constam¬
ment sur le qui-vive, s’employèrent de leur mieux à pré¬
venir toute complication grave, par la préparation de me¬
sures qui sollicita leur attention pendant la dernière période
de leur séjour.
Le Corps d'occupation français conserva ses effectifs au
complet (effectif global de 9.600 à 9.800 environ). Son sta¬
tionnement resta ce qu’il était en décembre 1922.
Le Corps d*occupation britannique subit, au contraire, de
profonds remaniements dans ses effectifs et dans sa répar¬
tition ; la gravité de la situation l’amena à renforcer consi¬
dérablement, dès la fin de septembre, ses effectifs qui étaient
bientôt triplés. L’arrivée de contingents venus d’Angle¬
terre, d’Egypte et de Malte permit à nos Alliés d’organiser
défensivement la région de Tchanak, qui n’avait été tenue
jusqu’alors que par un bataillon. En raison du peu de pro-
28
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
fondeur de ce secteur et de sa situation militaire peu favo¬
rable, ils installèrent une partie de leurs troupes (artillerie
et aviation plus particulièrement) sur la rive européenne de
la presqu’île de Gallipoli. Ils participèrent avec trois ba¬
taillons, en novembre 1922, à l’occupation de la Thrace
avant sa restitution aux Turcs suivant le protocole de Mou-
dania. Dès que ces bataillons qui avaient été prélevés sur
les effectifs de Scutari et de Tchanak, eurent rejoint leur
point d’attache, la répartition du Corps d’occupation
britannique fut la suivante, et resta telle jusqu’au dé¬
part :
À Constantinople : 1 brigade à 4 bataillons, 1 batterie de
campagne, 3 escadrilles d’aviation.
A Scutari : 1 brigade à 3 bataillons, 1 brigade d’artillerie
à 3 bataillons, 1 escadron et 1 compagnie du génie.
A Tchanak : 2 brigades d’infanterie comptant au total
5 bataillons, 3 brigades d’artillerie de campagne et demi-
lourde comprenant au total 12 batteries, 1 escadron de
cavalerie et 3 compagnies du génie.
Dans la presqu’île de Gallipoli : 1 bataillon d’infanterie,
2 brigades d’artillerie lourde comptant au total 8 batteries,
1 compagnie du génie et 1 escadrille d’aviation.
Une base importante fut en outre organisée à Kilia avec
dépôt de remonte, de matériel, de munitions, formations
sanitaires, etc...
Sur la Maritza, 1 bataillon d’infanterie.
Au total, le Corps d’occupation anglais comptait 18 à
19.000 hommes d’octobre 1922 à octobre 1923.
Le détachement italien (un millier d’hommes) comprit jus¬
qu’à la fin 2 bataillons du 313 e R. I., dont l’un participa
à l’occupation de la Ihrace (zone de Tchorlou) avant sa res¬
titution aux Turcs. Une compagnie seulement tint ensuite,
sur la Maritza, le pont de Féridjik jusqu’à la signature du
Traité de Paix.
Le traité de Lausanne , qui marqua la fin de l’occupation,
fut signé le 24 août 1923. Ses dispositions essentielles sont
connues : les clauses du traité de Sèvres sont revisées com-
29
LE CORPS D’OCCUPATION FRANÇAIS
plètement ; — des restitutions importantes sont faites aux
Turcs avec Smyrne, la Thrace, Kara-Agatch; — la liberté
du passage à travers les Détroits est assurée à toutes les na¬
tions, les deux rives seront démilitarisées ; — aucune force
armée ne doit stationner dans cette zone démilitarisée en
dehors des forces de police et de gendarmerie ; — une garnison
de 12.000 hommes est autorisée à Constantinople et dans
ses environs immédiats ; — après le 31 décembre 1923, aucun
navire de guerre étranger ne pourra stationner dans le Bos¬
phore, ni dans les Dardanelles ; — les Capitulations sont abro¬
gées ; — des clauses spéciales règlent les rapports écono¬
miques, judiciaires et financiers des Hautes Parties contrac¬
tantes, et la protection des minorités.
La période de 40 jours à l’expiration de laquelle, aux
termes du Traité, les Corps d’occupation devaient avoir
terminé leurs opérations d’évacuation, commença le 25 août.
Le premier navire emmenant des troupes françaises, quit¬
tait la rade de Constantinople le 8 septembre. A partir de
cette date, les départs se succédèrent rapidement ; le 2 oc¬
tobre tout était terminé. L’enlèvement de nos Unités,
du materiel et des animaux, a nécessité une vingtaine
de navires, affrétés par l’Etat. Nous donnerons ailleurs
quelques détails, sur la façon dont fut comprise et réalisée
la liquidation du Service de Santé et de ses approvisionne¬
ments.
Ainsi se termina cette période de tension qui marqua les
derniers mois du séjour de nos troupes à Constantinople.
Beaucoup d’entre nous, prisonniers de leurs vives sympa¬
thies envers la Nation turque, regretteront certes que des
relations qui s’étaient précisées si amicales aient pu être
troublées, ne fut-ce qu’un instant, par l’exaltation d’un trop
vif sentiment de nationalisme. Enflammée par la brusque
possession de sa pleine souveraineté, la Nouvelle Turquie
n’a peut-être pas pesé, à leur valeur vraie, les sacrifices
consentis à sa cause par sa vieille amie la France et l’aide
que lui ont apportée des hommes qui s’appellent général
Pellé, général Charpy, amiral Dumesnil, Franklin-Bouillon
30 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
Claude Farrère. Elle reviendra, nous en sommes sûrs, à une
compréhension plus juste des intérêts communs aux deux
pays, à cette amitié ancienne, qui avait été sanctionnée par
une politique séculaire et dont François I er et Soliman II
avaient noué les premiers chaînons.
Constantinople et la Corne d‘Or, vus du cimetière d’Evoub.
CHAPITRE II
Le Cadre et le Milieu
CONSTANTINOPLE ET LES DARDANELLES. LE CLIMAT.
LA POPULATION TURQUE ET SON HYGIÈNE.
LA MORBIDITÉ ET LA MORTALITÉ DE CONSTANTINOPLE.
LE CADRE
Constantinople et sa banlieue immédiate, Gallipoli, Seb-
dul-Bahr et Kilid-Bahr dans les Détroits, Hademkeuy-
Tchataldja, plus tard Àndrinople et la Maritza forent les
points principaux de stationnement de nos troupes. C’est
écrire la préface naturelle des chapitres à venir, que de
donner ici une idée du cadre dans lequel ont vécu nos sol¬
dats, insistant seulement un peu plus sur la capitale et ses
environs, où se trouvait le groupement le plus important
du Corps d’occupation.
Le voyageur qui navigue vers Constantinople, vient de
quitter la mer Egée, laissant sur sa droite la Troade et snr
la côte de l’Asie Mineure les tumuli d’Achille et de Pa-
troele, l’embouchure du célèbre Si mois ; il entre dans
les Dardanelles , l 1 H elles pont des Anciens, entre les deux
vieux châteaux de Koum-Kalé sur la rive asiatique, et de
Sebdul-Bahr sur la côte européenne. Sebdul-BaRr, où sta¬
tionna un détachement d’infanterie français pendant l’oc¬
cupation, est un pauvre hameau, aux maisons misérables,
édifiées sur une falaise aride, près des batteries et des
ouvrages d’artillerie turque, qui défendaient l’entrée des
32
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
Détroits. Des vestiges de boyaux et de tranchées sillonnent
le sol aux alentours ; les tombes et les ossuaires rappellent
les glorieux exploits de nos héros de 1915. Ceux qui viennent
s’incliner devant ces mausolées renouvellent le geste, qu’il
y a près de 20 siècles Alexandre le Grand fit en ces lieux, en
sacrifiant sur la tombe de Protésilas, le premier soldat grec
tué de la main d’un Troyen.
Plus loin, sur la côte d’Europe, s’élève le village de Kilid -
Bahr (Clef de la Mer), garnison de tirailleurs sénégalais pen¬
dant l’occupation, curieux avec son Château d’Europe et
ses fortifications plus modernes. En face, sur la côte d’Asie,
les châteaux des Dardanelles, et Tchanak , joli village, au
cachet déjà oriental avec ses maisons polychromes, son
aspect vivant et riant. Là était établie la station d’arraison¬
nement de la Commission interalliée maritime et des fron¬
tières ; les jeunes médecins des trois Corps d’occupation s’y
sont succédés de deux en deux mois, pour y assurer la visite sa¬
nitaire des navires pénétrant dans les Dardanelles, le contrôle
des patentes et l’exécution des décisions de la Commission.
Un moment, les Détroits se rétrécissent pour n’avoir
plus que 1.350 mètres de largeur : c’est vraisemblablement
en cet endroit que Xerxès jeta le fameux pont sur lequel
passa sa Grande Armée. Le canal s’élargit alors ; mais plus
rien n’y rappelle la victoire de Lysandre à Ægos-Potamos
et quelques maisons à peine remplacent sur la côte d’Asie
l’antique Lampsaque , aux habitants libertins. En face de
Lampsaque, s’élève Gallipoli , la première ville d’Europe qui,
un siècle avant la prise de Constantinople, tomba aux mains
des Turcs. C’est une grosse agglomération de 10.000 habi¬
tants environ, d’aspect misérable, aux maisons de bois, avec
quelques vestiges de vieille architecture militaire. La ca¬
serne, située à la lisière nord de la ville fut utilisée par nos
soldats. Gallipoli, après avoir hébergé en 1853-56 les
troupes anglo-françaises, devint, pendant l’occupation, le
Quartier Général du Colonel commandant les forces fran¬
çaises de la presqu’île de Gallipoli.
Bientôt le bras de mer s’élargit pour devenir mer de Mar -
n
33
LE CADRE ET LE MILIEU
mara, l’ancienne Propontide ; la côte européenne en est
aride et sèche, la rive asiatique, au contraire, profondément
decoupee par les golfes d’Ismidt et de Moudania, offre un
aspect fertile et riant ; dans le fond viennent mourir les
derniers contreforts du massif de l’Ida.
La mer de Marmara parcourue, les Iles des Princes lais¬
sées sur la droite, c’est le Bosphore de Thrace qui s’offre tout
droit à la vue, et déjà dans le lointain se profile Constanti¬
nople dans sa beauté grandiose. Mais le navire suit de près
la côte européenne, d’où émergent successivement deux
grosses agglomérations : San Stéfano et Makrikeuy, aux
portes même de la capitale. A San Stefano, dont le nom
H 87 e 7 ™ par ? b1 !, deS SQUVenirS de Ia S uerre d *s Balkans
(1877-78) et du Traité du 13 juillet 1878, étaient stationnés
notre parc d’artillerie, notre aviation, des troupes d’infan¬
terie. C’est une petite ville de 2.000 habitants, sans grand
caractère, mais dont la belle plage sablonneuse est “assez
fréquentée pendant l’été. Makrikeuy est une ville plus im¬
portante, de 15.000 habitants ; elle est gentiment formée de
villas gracieuses, aux peintures extérieures vives ; sa popu¬
lation se compose surtout de Turcs, de Grecs et d’Arméniens
aisés. De vastes casernes (Saint-Arnaud) dominent la ville •
elles abritèrent pendant l’occupation une partie de nos’
troupes d’infanterie.
Mais déjà apparaît le corset fortifié de Stamboul mu¬
railles terrestres qui s’estompent dans le lointain, murailles
maritimes à peu près disparues, avec le majestueux Château
des Sep^ Tours, construit par Mahomet II le Conquérant, et
qui fut à Constantinople ce que la Bastille fut à la France •
combien de sultans détrônés par les Janissaires, d’ambas¬
sadeurs occidentaux indésirables, d’hommes politiques sus¬
pects, y trouvèrent la prison et la mort ! Puis ce sont les ves¬
tiges de la Ville Impériale : là, furent le Palais des anciens
Empereurs chrétiens de Constantinople, le Palais d’Hor-
misdas, ensanglanté par la perfide Théophano, puis la Ter¬
rasse de Gul-Hané (la Maison des Roses) où fut organisé
dans l’ancien Val-de-Grâce turc, notre hôpital de base, enfin
Déjouant
34 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
voici la Pointe de Serai et, sur l’emplacement de 1 Acropole
de l’antique Byzance, le Palais du Serai qui, jusqu à Mah¬
moud II, servit de résidence féerique aux sultans de Tur¬
quie. Les yeux contemplent, émerveillés, sous le ciel pro¬
fond, le dôme audacieux de Sainte-Sophie, les six minarets
delà Mosquée Ahmed, la mosquée Validé Djami, les tours du
Seraskierat et de Galata surplombant de leur masse les
eaux dormeuses de la Corne d’Or.
Laissant sur la rive asiatique Scutari, tournant court au
Bosphore qui s’allonge devant lui jusqu’à la mer Noire, le
voyageur, ému, pénètre dans la Corne d’Or. C est Constan¬
tinople. L’importance de la ville est exceptionnelle. Située
à la jonction de l’Europe et de l’Asie, elle est, de ce fait, un
centre commercial de très grande activité, un carrefour où
ont abouti peuples d y Orient et peuples d’Occident, mais où
dominent les Turcs, les Grecs, les Serbes, les Bulgares et les
Russes. On y trouve toutes les races, on y parle toutes les
langues (1), on y sert toutes les religions. Son port naturel
permet aux gros bâtiments de guerre, comme aux plus
lourds navires de commerce, de mouiller aux quais memes
de la ville et de trouver un refuge sûr contre le danger exté¬
rieur de la tempête.
La ville de Constantinople, riche de plus d’un million
d’habitants, se compose, en réalité, de trois agglomérations
Stamboul, Péra^Galata et Scutari, les deux premières sur la
Tive européenne, la troisième sur la rive asiatique. Stam¬
boul au sud-ouest et Pera-Galata au nord-est sont séparées
par la Corne d’Or, bras de mer de 11 kilomètres de longueur
et de 450 mètres de largeur moyenne, aboutissant dans les
terres à la vallée des Eaux Douces d Europe , dans laquelle
viennent se jeter deux petits cours d’eau, l’Abi-Bey-Sou
et le Kiathané-Sou, le Cydaris et le Barbyzès des anciens.
Le Bosphore et la mer de Marmara large en ce point de
1.500 mètres environ, séparent Scutari des deux cités euro¬
péennes.
(i) Principalement le turc, le grec et le français.
LE CADRE ET LE MILIEU
35
Scutari s’étend en amphithéâtre le long de la rive asia¬
tique escarpée, au pied et presque sur les flancs de l’impo¬
sant mont de Boulgourlou. C’est une ville de 70.000 habi¬
tants, presque tous Musulmans, très caractéristique et très
pittoresque avec ses rues tortueuses et mal pavées, bordées de
maisons en bois, et son cimetière turc, le plus vaste de
l’Orient, si curieux et si impressionnant par la multitude de
ses tombes essaimées sans ordre, mais non sans art, de
ses mausolées à l’architecture délicate. Tout près, sur la
côte, se dressent l’imposante Caserne de Selimié, la Faculté
de Médecine d’Haïdar-Pacha, la gare tête de ligne du chemin
de fer de Bagdad.
En face de Scutari, sur des collines à faible altitude, et
surplombant la Corne d’Or, s’élèvent entre le Bosphore et
la Corne d’Or l’agglomération de Pera-Galata , entre la
Corne d’Or et la mer de Marmara celle de Stamboul . Si les
relations sont constantes et actives entre les trois villes,
dont l’ensemble constitue la vieille capitale du Proche-
Orient, elles le sont particulièrement entre Pera-Galata et
Stamboul, dont deux ponts assurent la liaison : le vieux
pont de bois du Fanar, original mais vermoulu, et le grand
et beau pont de Karakeuy, jeté à l’entrée de la Corne d’Or,
qui, par un mécanisme ingénieux, s’ouvre chaque jour pour
permettre le passage des navires à destination ou en prove¬
nance de la Corne d’Or.
Malgré cette quasi-juxtaposition des deux villes jumelles,
rien n’est cependant plus différent que leur physionomie
générale. Péra sur la hauteur et Galata le long des quais,
c’est la ville européenne, c’est la ville des affaires, des com¬
merçants et des banques, des plaisirs aussi. Si ce n’était
l’extraordinaire mélange des populations qui s’y coudoient,
rien d’original ne la différencierait des villes d’Occident
avec ses hôtels, ses cafés, ses jardins publics et ses magasins
« à la franque ». Fera constitua pendant les deux dernières
années de l’occupation le secteur anglais, mais nous y con¬
servâmes à notre usage l’hôpital Giffard, l’ancien hôpital
français de Constantinople. Galata , c’est le faubourg mari-
36 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
timè, aux petites ruelles obscures, humides, puantes, où
grouille dans une bousculade continuelle une population
cosmopolite dense et bruyante de gens sans aveu et de
matelots en bordée ; des boutiques basses et primitives
abritent des cafés, des estaminets louches, des maisons de
débauche ; on y boit, on y mange, on y danse et l’on y aime
aux sons fêlés des orgues de barbarie, des laternas et des
boîtes à musique. Cet étrange quartier ne fut guère tenu,
pendant l’occupation, que par la police interalliée et quel¬
ques soldats italiens.
Stamboul (1), c’est Byzance ; sur cette petite pointe du
Seraï, six siècles avant Jésus-Christ, les Mégariens jetaient
les premières bases d’une ville qui devait devenir la Nou¬
velle Rome (2), la Capitale de l’Empire, qui devait connaître
la prospérité la plus grande, la plus belle gloire, la fortune la
plus enviée, la civilisation la plus raffinée, et aussi les
drames les plus obscurs, les trahisons les plus lâches, les
crimes les plus sanglants. Stamboul a conservé de magni¬
fiques souvenirs de sa splendeur byzantine : Sainte-Sophie
est un joyau ; les pierres mêmes des anciens palais détruits,
ont leur poésie et commandent le silence. Les Empereurs
grecs ont laissé leurs traces. Aujourd’hui et depuis 1453,
Stamboul est une ville ottomane : elle était même, jusqu’à
ces toutes dernières années, restée très fermée aux étrangers
qui la parcouraient en touristes, mais ne l’habitaient pas.
Pierre Loti cependant, au siècle dernier, fut l’hôte de Stam¬
boul, et la petite maison de la rue Divan Yolou, qu’il occupa,
porte une inscription qui rappelle la tendre affection et la
reconnaissance fervente de la nation turque pour son grand
ami. Pendant les deux dernières années de l’occupation,
Stamboul fut le Quartier Général du Corps français : une
grande partie de nos troupes, tous nos organes de direction
s’y installèrent, les officiers s’y logèrent seuls ou avec leurs
(1) De Istamboul (de eiç xtjv iroXiv).
(2) C’est sous ce nom que, le 11 mai 330 (ap. J. C.), l’empereur Cons¬
tantin consacra sa capitale ; des fêtes merveilleuses furent données à cette
occasion, qui durèrent plusieurs semaines.
LE CADRE ET LE MILIEU
37
familles, certains d’entre eux chez des Turcs mêmes. Il suffit
de savoir avec quelle âpreté jalouse le Turc défendait alors à
l’étranger, qui n’était pas de sa foi, l’accès de sa demeure,
son haremlik surtout, et la fréquentation des siens, pour
comprendre quel tact il a fallu aux uniformes français pour
avoir raison, sans heurts, de traditions aussi lointaines.
La ville de Stamboul qui a près de 8 kilomètres dans sa
plus grande largeur s’étend, en forme de coin, entre la Corne
d’Or au nord, la Marmara à l’est, sur un terrain inégal qui
s’élève doucement à partir de la mer, au-dessus de laquelle
il forme un relief de sept collines de faible altitude. Elle est
limitée à l’ouest par des murailles de défense, chef-d’œuvre
d’architecture militaire, qui bien que partiellement ruinées
ne laissent pas, encore aujourd’hui, d’être fort impression¬
nantes ; elles jouèrent d’ailleurs un rôle important dans
l’Histoire d’une Capitale, dont les richesses étaient convoi¬
tées par tant de peuples et dont elles constituèrent pendant
des siècles la sauvegarde efficace ; elles n’ont cédé que de¬
vant l’assaut impétueux de Mahomet II, qui força la ville
le 29 mai 1453, date fameuse qui ouvre l’ère de l’Histoire
moderne.
L’enceinte fortifiée, maritime et terrestre de Stam¬
boul mesure 15 kilomètres environ ; elle est coupée
par plusieurs portes, dont deux surtout nous intéressent,
parce qu’elles donnent passage aux routes conduisant à
nos organisations militaires des environs de Constanti¬
nople : par la première, Yedi-Koulé-Kapou, on se rendait
à Makrikeuy et à San Stefano, par la seconde, Top-Kapou,
à rinfirmerie-ambulance Corroy, aux casernes d’infanterie
de Maltépé et d’artillerie de Ramis, celle-ci délicieusement
juchée au-dessus de la Corne d’Or et surplombant Eyoub,
la ville sainte aux gracieux pigeons et au prodigieux cime¬
tière. Ce coin est plein de souvenirs : c’est à Maltépé que
Mahomet II avait, en 1453, établi son Quartier Général et
« mis en batterie » le fameux canon d’Orhan, père de notre
-artillerie lourde. C’est à la porte même de Top-Capou que
périt en héros, l’épée à la main, le dernier Empereur grec de
38 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
Constantinople, Constantin Dracocès, le jour de la prise de
sa capitale. Tout près, dans un vaste cimetière presque
abandonné, aux tombes obliques et égrenées, mais si doux
à parcourir, approchez-vous de cette tombe entretenue,
joliment entourée, elle, d’une clôture métallique : deux
saules pleurent sur Azyadé.
Eclaircis par de vastes espaces libres, couverts de ruines,
dus aux tremblements de terre et aux incendies gigan¬
tesques qui dévastèrent à plusieurs reprises Constantinople,
les divers quartiers de Stamboul, surtout les quartiers
excentriques, sont plutôt composés de maisons en bois au mi¬
lieu desquelles émergent de ci, de là, quelques beaux édifices
en maçonnerie, de vieilles maisons byzantines ou d anciens
palais transformés ; ces maisons sont presque toutes du
type oriental avec leur forme originale, leurs balcons en
relief (shanichir) d’où, à l’abri des grillages de bois, il est si
commode aux curieuses « désenchantées », de voir sans être
vues. Puis ce sont des mosquées splendides aux lignes élé¬
gantes, aux minarets élancés (1), les Turbès somptueux (2),
les fontaines dorées à la délicate dentelle de marbre, les
vestiges de la nouvelle Rome, l’Hippodrome, l’Obélisque
de Théodose, la Colonne Serpentine, la Colonne Brûlée, qui
attestent la vitalité de l’antique Empire byzantin et la
magnificence de sa capitale. Les vignes-vierges, les fleurs
et les jolies banderoles de verdure qui parent, à la mode
turque, les joyeux cafés des rues, jettent une note fraîche
sur les vieilles pierres endormies. La ville de Constantin et
de Mahomet conserve encore aujourd’hui l’imprégnation
profonde de Rome, d’Athènes et de Byzance ; les délicats
sentiront l’enchantement de cette harmonie, mais les
peintres et les poètes, seuls, sauront rendre l’infinie variété
des couleurs, des teintes et des nuances, le pittoresque des
paysages mobiles, la chaude émotion des soleils couchants,
la mélancolique philosophie de la chanson du muezzin au-
(1) Il y en a plus de 400 à Constantinople.
(2) Tombeaux de princes ou de personnages de qualité.
LE CADRE ET LE MILIEU
39
dessus des cyprès, le Bosphore empourpré ou violet, le cré¬
puscule descendant sur Stamboul, le profil des coupoles et
des minarets se projetant le soir en ombres chinoises sur le
fond orangé du ciel, et la Corne d Or frissonnante sous la
brise de nuit, bruissant à travers sa forêt de voiles.
LE MILIEU
Quel contraste, au sortir de cette féerie, offre le milieu
quand on le pénètre ! L’indigence de beaucoup d’habitations,
l’aspect des rues pour la plupart étroites, tortueuses, sombres,
l’insalubrité générale et l’absence d’hygiène, 1 insuffisance
de la voirie, l’état de misère d’une grande partie de la popu¬
lation, ne manquent pas de frapper l’esprit, si joliment
impressionné par le cadre extérieur. C est surtout en rela¬
tion avec l’état sanitaire d’une troupe, essentiellement
fonction des conditions climatiques et hygiéniques du milieu
dans lequel elle vit, qu’il convient pour nous, ici, d’envi¬
sager l’étude de ce milieu.
Le Climat. — Le climat de la Turquie d’Europe participe
à la fois du climat continental de la péninsule balkanique
(hivers rudes et très froids, étés brûlants), et du climat mari¬
time (surtout méditerranéen) déterminé parle voisinage de la
mer Egée, de la mer Marmara et de la mer Noire (hivers
humides, étés chauds). Plus on s’éloigne de Constantinople
et plus on remonte vers la Thrace et la Maritza, plus 1 in¬
fluence des conditions climatiques de la péninsule se fait
sentir. On peut dire qu’à Constantinople et dans la région
qui l’avoisine, à Gallipoli, tout autant de points qui
nous intéressent plus particulièrement en raison de la répar¬
tition territoriale des éléments du Corps d occupation,
l’hiver est en général maussade plutôt que rigoureux ; il
est, en effet, dominé par la pluie, le vent, rarement par la
neige. Le printemps est également humide et pluvieux. L été
est chaud, même très chaud certaines années, mais avec des
40
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
nuits fraîches. L’automne, la saison de beaucoup la plus
agréable, est frais sans être froid, avec quelques orages.
On le voit, ce climat ressemble fort à celui de beaucoup
d’autres régions du sud de l’Europe ou tout au moins s’en
rapproche beaucoup. Il a cependant ceci de particulier,
c’est qu’il est sujet à de très grandes et très importantes
variations, fort gênantes pour les habitants, et notamment
pour ceux qui ne sont pas acclimatés. Ces variations portent
sur la pression barométrique, sur la température, sur l’hu¬
midité. Ce sont là des questions qui ont été bien étudiées,
ainsi que le régime des vents et des pluies, par le Service
météorologique du Corps d’occupation, auquel nous devons
quelques-unes de ces observations qui suivent.
La moyenne générale annuelle de la pression baromé¬
trique est de 760 millimètres. La plus forte moyenne men¬
suelle s’observe en janvier, février (764 millimètres), la plus
faible, en juin-juillet (759). Cette pression est soumise sou¬
vent à de brusques modifications d’un jour à l’autre et
même d’une heure à l’autre dans la même journée. C’est ainsi
qu’elle montait de 760 le 1 er décembre 1921 à 765 milli¬
mètres le 2 décembre. De même, elle passait de 756 milli¬
mètres le 17 février 1922 à 762 millimètres le 18. Les varia¬
tions horaires au cours d’une journée sont quelquefois de
3 millimètres. Ainsi le 8 octobre 1921, la pression tombait
entre onze heures et midi de 772 à 767 millimètres.
La moyenne annuelle de la température est de 13°,7.
Elle est suivant les saisons :
Printempi. 11°,1
Été... 22°,1
Automne. . . 16°,6
Hiver.•. 503
Le maximum de la température est atteint tous les jours
vers 12 h. 30, le minimum vers 2 h. 30 la nuit. Les mois de
juin et de juillet sont les plus chauds, le mois de janvier est
le plus froid. Comme la pression, la température est sujette
à de très grandes variations d’un jour à l’autre et même
LE CADRE ET LE MILIEU
41
d’une heure à l’autre dans la même journée. Le Service
météorologique cite de nombreux exemples typiques de ces
écarts ; le thermomètre, qui marquait 18° le 7 février 1922,
descendait deux jours après à 5°. La température, qui était
de 9° minimum dans la nuit du 13 au 14 juin 1921, montait
jusqu’à 28° dans la journée du 14. Dans la nuit du 22 au
23 juin, la température tombait en une heure de 6° (de 24°
à 18°). La même année, le thermomètre marquait 0 le
1 er novembre, 20° le 6 novembre et 15° le 25.
Janvier, février, mars, novembre et décembre sont les
mois les plus humides de l’année. Juillet est le mois le plus
sec. C’est à la saison chaude, que les variations de l’humidité
de l’air sont les plus fréquentes et les plus accentuées. Il est,
en tout cas, un fait d’observation courante, c’est que, pen¬
dant l’été, les journées sont très chaudes et nécessitent le
port de vêtements de toile, tandis que les nuits sont fraîches
et humides et exigent les vêtements de drap, dès le soir venu.
La quantité d’eau tombant chaque année est en moyenne
de 704 millimètres répartis comme suit : Printemps : 128 mil¬
limètres. — Eté : 92 millimètres. — Automne : 245 milli¬
mètres. — Hiver : 338 millimètres. La moyenne annuelle
des jours de pluie est de 103. Ces jours sont inégalement
répartis ; cependant novembre, décembre et janvier sont
les mois les plus pluvieux ; juillet et août les moins pluvieux.
Les brumes et les brouillards sont également très fréquents.
La brume étant due en effet à la condensation subite de
l’humidité de l’atmosphère, survenant à la faveur d’un
abaissement de température, ces conditions sont souvent
réalisées à Constantinople, où les variations rapides de tem¬
pérature sont constantes, et où l’atmosphère est presque
toujours chargée de l’humidité provenant de la mer. On a
compté 121 journées de brouillard en 1921. La brume ne
persiste cependant en général que le matin ; elle disparaît
vers midi pour revenir le soir. En été, les journées sont
chaudes et sèches ; mais la nuit, le Bosphore est presque
toujours couvert d’une brume légère.
La neige fait de rares apparitions 1 hiver a Constantinople*
42
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
Elle fond généralement très vite, ce qui augmente encore
l’humidité de l’atmosphère.
Les vents dominants sont ceux du nord et nord-est, qui sont
des vents secs venus des grandes plaines de Russie, Après
eux, les plus fréquents sont les vents du nord-ouest en pro¬
venance de Bulgarie, vents plutôt froids, puis les vents du
Sud-Ouest, vents de la Marmara, partant vents de la pluie
parce que chargés d’humidité, enfin les vents du Sud qui
ont leur origine en Arabie et sont des vents chauds suffo¬
cants par moments. Les vents humides du Sud-ouest soufflent
surtout au printemps et aussi à l’automne quoique avec
beaucoup moins d’intensité. Les vents secs du N.-E. se font
sentir pendant la saison d’été ; ils se manifestent encore à
la saison des pluies en hiver ; mais ils sont alors souvent
tempérés par les vents du Sud. C’est principalement en fé¬
vrier que les vents du nord-ouest, (Bulgarie) soufflent et
rendent la pluie froide, glacée parfois. Quoi qu’il en soit de
leur provenance et de leurs caractères, les vents sont pen¬
dant la plus grande partie de l’année à Constantinople assez
désagréables. En dehors de la mauvaise saison pendant la¬
quelle ils apportent ou accompagnent la pluie, ils soulèvent
les poussières qui, véhiculées à distance, pénètrent partout,
fouettent le visage, irritent les yeux et les voies respiratoires,
et jouent, à n’en pas douter, un rôle important dans la dissé¬
mination des affections contagieuses, de la conjonctivite
granuleuse, de la diphtérie en particulier, et peut-être aussi
de la dysenterie amibienne.
Ce climat, que nous venons de caractériser de quelques
traits, est assez agressif ; mais il bénéficie fort heureusement
de l’influence bienfaisante des courants d’air du Bosphore,
qui purifient sans cesse l’atmosphère menacée par les souil¬
lures du sol. Il est de la sorte, à tout prendre, aussi acceptable
que celui d’autres contrées méridionales de l’Espagne ou de
l’Italie, situées sous la même latitude. On s’y adapte assez
facilement, en observant les précautions nécessaires pour
se mettre à l’abri des changements brusques de tempéra¬
ture.
I
J
le cadre et le milieu
42
L’habitation (1). — Une des premières préoccupations es
Chefs Français fut d’assurer à leurs hommes, dans leur zone
de stationnement, une habitation acceptable. En Turquie,
partout s’élèvent des maisons de bois : vues de 1 extérieur
elles sont assez plaisantes ; mais ce n’est qu une façade, il
suffit de pénétrer à l’intérieur, pour se rendre compte de la
médiocrité du confort de la plupart d’entre elles. Sous in¬
fluence des changements d’un climat particulièrement mo¬
bile, de l’humidité, et en été de la chaleur, ces maisons se
délabrent rapidement d’autant que leurs habitants de tem¬
pérament insouciant et placide, ne font rien pour les entre-
tenir • le plâtre des murs s’effrite, s’écaille, les châssis des
portes’ et des fenêtres se disjoignent. Ce sont des glacières
en hiver, des étuves en été. Les parasites, puces et punaises,
V pullulent, trouvant dans les fissures du bois des repaires
inexpugnables et arrivent à échapper ainsi à l’action des
agents chimiques les plus actifs, comme ceux employés pour
la nitro-sulfuration. Les moustiques (peu d’anopheles) sont
fort gênants de juin à octobre, les souris et les rats sont les
hôtes habituels des maisons turques. Même parmi les mai¬
sons « chic »> du quartier « chic » de Stamboul, c est-a-dire
le quartier Sainte-Sophie-Sublime-Porte, il y a en peu ou
les habitants, doux philosophes, ne vivent en parfaite in¬
telligence avec toutes ces petites bêtes domestiques ; es
Occidentaux délicats, que nous sommes, s’en accommodent
beaucoup moins bien. ,
Les water-closets, le plus souvent en marbre, sont géné¬
ralement assez soignés ; ils sont bien « à la Turque », mais
d’un modèle tellement réduit d’entrée, de canalisation d éva¬
cuation tellement étroite qu’ils sont constamment obstrues
dès que nous nous en servons. Les Turcs, eux, n utilisent pas
de papier pour leur toilette spéciale ; ainsi dans chaque V .-
il y a un robinet d’eau courante pour leurs lavages intimes.
' ,1, dZT-p^
vue principalement le pays P P , fortunée, qui habite de*.
îs ■'AS».SS SW**- - pi. —-
44
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
Ce ne sont pas là mœurs de soldat Français ; et on a dû re¬
noncer à l’utilisation de ces W.-C.-baby pour nos hommes.
Les maisons ne sont pas chauffées centralement et cepen¬
dant il y a des journées bien rudes en hiver ; les poêles à
bois sont le mode de chauffage le plus communément em¬
ployé et encore... avec parcimonie ; beaucoup d’habitants
se contentent, pour le chauffage de la pièce de la maison
où ils se tiennent, de la combustion à l’air libre de charbon
de bois, sur un réchaud spécial en cuivre dit « mangal » qui
est en même temps un meuble. Il y en a d’ailleurs de fort
jolis modèles, les anciens surtout, fort recherchés des ama¬
teurs de « turqueries ». Les Turcs se chauffent peu chez eux,
mais ils y sont chaudement vêtus : des travées entières du
Grand Bazar (1) sont occupées par des marchands de « vête¬
ments d’intérieur », tous doublés de fourrure.
A Constantinople, l’électricité s’est substituée en beaucoup
de points à l’éclairage par le pétrole et par l’huile ; les ins¬
tallations sont sommaires souvent, mais c’est un grand bien¬
fait pour la Capitale qui a eu à subir, du fait de son éclairage
et de son chauffage primitifs, des incendies d’une ampleur
inconnue dans nos régions, au cours desquels des quartiers
entiers ont disparu pour jamais (tel le formidable incendie
du 27 juillet 1911).
Ces maisons, si inconfortables et si vulnérables au feu,
ne furent qu’accidentellement utilisées par nos trompes.
Celles-ci trouvèrent dans les villes, à Constantinople en par¬
ticulier, des bâtiments en maçonnerie, des casernes turques,
voire des édifices publics, qu’elles occupèrent ; cependant
certaines unités durent pendant notre séjour se contenter
(1) Le Grand Bazar ou Buyuk-Tcharchi est un des coins les plus
curieux de Stamboul ; il occupe un vaste quadrilatère de terrain de
près de 2 kilomètres de pourtour entre le quartier de la Sublime-Porte
et le Séraskierat. Dans le chaos inextricable de ses 92 rues étroites,
presque toutes sous toit, une foule cosmopolite d’indigènes, d’étrangers
et de voyageurs se presse autour de boutiques bigarrées, où l’on vend de
tout, bijoux, vêtements, fourrures, étoffes délicates, tapis précieux,
armes anciennes. Pour être différent des « Souks » de Tunis ou de ceux
de Smyrne, le Grand Bazar de Stamboul n’en constitue pas moins une
véritable attraction, pour qui ne craint pas les promiscuités douteuses.
£E CADRE ET LE MILIEU ^
de simples baraques en bois. Avec 1 aide toujours bienveil¬
lante du Général commandant, si soucieux de la santé de
ses soldats, le Service de santé du Corps d’occupation et le
Service du Génie s’appliquèrent avec ténacité à améliorer
tous ces casernements (même les casernes) qui laissaient
fort à désirer au point de vue de l’hygiène. Les murs furent
réparés, les toits restaurés ; partout on installa des W.-C-
mieux adaptés que les W.-C. turcs aux habitudes des
nôtres, et quand c’était impossible, des tinettes ou mieux
des feuillées, des incinérateurs pour ordures, des salles
de douche, des lavabos abrités, des réfectoires, des cuisines
protégées. Une lutte acharnée fut entreprise contre les
parasites.
L a R ue . — L’indigence des habitations n’est pas la seule
difficulté à laquelle il fallut faire face ; nos hommes furent
aussi exposés aux conditions hygiéniques défectueuses des
villes et des villages occupés. Toutes les localités de la Tur¬
quie sont sales et mal tenues ; à Constantinople même, où
cependant d’incontestables progrès ont été réalisés, le ser¬
vice de la voirie est encore très sommaire. Les ordures qui
sont jetées dans la rue, ou déposées dans des boîtes dans
les grandes artères, sont enlevées au moyen de minuscules
caissons, montés sur roues et traînés par des mûlets ; ces cais¬
sons sont tellement mal fermés que les ordures s’égrènent
sur le sol le long de la route suivie. Quant aux toutes petites
rues excentriques, ou dans certains villages, tout ce qu on
y jette y pourrit, se déssèche et se décompose, offrant un
milieu particulièrement favorable au développement des
mouches, des phlébotomes, etc... ; une odeur caractéris¬
tique de pourriture remplit l’atmosphère, et pénètre tenace
jusque dans les habitations. Beaucoup de rues, par ailleurs
mal pavées ou dépavées, tortueuses, étroites, sont rapide¬
ment transformées en cloaques dès qu il pleut, faute d un
système d’écoulement des eaux bien compris et aussi parce
que les maisons n’ont souvent ni cheneaux, ni tuyaux de
descente pour les eaux pluviales.
46
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
L'Eloignement des matières usées. — i Même à Constan¬
tinople, le mode d'éloignement des matières usées est
resté primitif. Le « tout à l’égoût », défectueux en maints
endroits, fait trop souvent complètement défaut. Des
fosses fixes ou puisards remplacent les égoûts ; leur vi¬
dange s’opère d’une manière primitive sans appareillage
hygiénique ; quelquefois même, les matières fécales et les
eaux ménagères sont déversées simplement dans les ter¬
rains vagues, si nombreux dans la capitale, ou même dans
les rues. Les fosses fixes qui ne sont pas étanches, sont sou¬
vent placées à côté des puits d’alimentation en eau de boisson,
d’où la contamination inévitable du sous-sol et de la
nappe souterraine. Un tel état de choses entraîne de graves
inconvénients pour la santé publique ; les maladies trans¬
missibles par l’eau telles que le choléra, la dysenterie, les
fièvres typho-paratyphoïdiques trouvent là un terrain extrê¬
mement favorable à leur développement, comme le prouvent
les épidémies terribles qui ont frappé Constantinople. Bien
que, sous l’influence de la Commission sanitaire interalliée
urbaine, la Préfecture de la ville ait fait construire quelques
fours crématoires, les détritus recueillis par le service de la
voirie sont pour la plupart apportés jusqu’à la Marmara ;
de là des mahonnes spéciales vont les déverser dans la mer
à faible distance du rivage, vers lequel les ramènent les vents
et les courants marins, et l’on peut voir au pied même de
cette divine Pointe du Serai et de son merveilleux Palais
pourrir des épaves de toutes sortes, des cadavres d’animaux
puants, ballotés par le flux et le reflux de la mer jusqu’au
seuil des habitations. Le Service de santé dut intervenir à
plusieurs reprises, pour protester et protéger contre ces
odeurs pestilentielles nos organisations militaires, nom¬
breuses en ces points.
L'Alimentation. — Une population extrêmement dense,
que sont venus encore accroître depuis la Grande Guerre
de nombreux émigrés de Thrace, de Russie, de Syrie ou de
Turquie d’Asie, s’entasse trop nombreuse dans des quartiers
LE CADRE ET LE MILIEU
47
trop étroits, assez insouciante du reste de la saleté qui l’en«
vironne. La misère est grande parmi la population grouil¬
lante de ces quartiers malsains de Constantinople. Le pays
a été ruiné par dix années de guerres malheureuses continues ;
le sol est peu cultivé et ne produit presque rien ; l’état de
guerre en Anatolie jusqu’en 1922 ferme pour la Turquie
d’Europe le marché de blé de la Turquie d’ Asie. On comprend
dans ces conditions, que la population turque ait ressenti
vivement les conséquences de ces privations et de ces pertes,
et qu’elle ait souffert durement ; que d’infirmes, d’estro¬
piés, de malades, d’indigents dans les rues de la capitale !
La qualité de l’alimentation des Turcs, en principe simple
et médiocre, s’est aggravée avec les exigences de la vie chère.
11 n’y a pas d’élevage en Turquie, la viande est coûteuse
et mauvaise, aussi le Turc mange-t-il peu de viande ; le ké-
bab (mouton) préparé de diverses façons est le plat de
viande type du pays ; seuls les gens aisés se le permettent
comme viande de choix, mais les pauvres gens se contentent
de bas morceaux pendus à l’étal des boucheries populaires
et exposés à toutes les souillures et contaminations des mou¬
ches. Le pilaf (riz cuisiné) est le plat national turc ; il
forme avec le pain la base de l’alimentation de la population
peu fortunée ; malgré les nombreux restaurants turcs, mé¬
diocrement achalandés de Stamboul, il n’est pas rare de
voir, au coin des rues ou sur le devant de leur logis, des gens
du peuple manger pour leur repas un morceau de pain ou
une galette, et un brouet préparé sommairement avec du riz
et des légumes. L’été, ils se montrent friands des crudités,
fort en honneur en Orient, melons, pastèques, tomates, pi¬
ments, qui constituent souvent le meilleur du repas des pau¬
vres. Les Turcs mangent beaucoup de fruits, qui sont abon¬
dants et souvent exquis ; le raisin est particulièrement sa¬
voureux. Les friandises, sucreries, confitures, glaces avec
crème fraîche sont fort recherchées ; le confiseur à la mode
Hadji-Bekir, le « Boissier » de Stamboul, offre à ses clients
de délicates pâtes à la rose ou à la pistache, des « Rahaat-
Lokoum » réputés, mais il faut voir l’officine !
48 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
Le lait n’est consommé par la population turque à peu
près que sous forme de kaimak (crème fraîche) ou de
yohourt qui est à la fois un dessert délicieux et un excel¬
lent médicament de l’intestin ; il n’y a pour ainsi dire pa&
de lait frais à Constantinople ; en 1922 il était tellement cher,
que nos formations hospitalières elles-mêmes ont dû y re¬
noncer, et n’ont utilisé que le lait de conserve. L’Ottoman
doit, en principe, ne boire que de l’eau, pourtant si dange¬
reuse comme nous le verrons ; beaucoup y sont contraints
par la médiocrité de leur bourse ; le vin qui est cher et mau¬
vais (même dans les grands restaurants de Pera où il est
hors de prix), est interdit par la religion musulmane comme
boisson fermentée, mais il y a des accommodements même
avec le Ciel musulman ! L’alcoolisme a touché le Peuple
Turc, tout comme le reste du monde ; sans parler des au¬
tres alcools, le mastic cette affreuse eau-de-vie blanche,,
aromatisée avec des grains d’anis ou de gomme-mastic, a fait
bien des victimes. Nous nous sommes laissé dire que le Gou¬
vernement National d’Angora a déjà fort heureusement
réagi contre ces abus, et qu’il s’efforce d’imposer à la capi¬
tale un régime « sec », plus hygiénique, c’est certain.
Le Turc boit beaucoup de café, de ce café spécialement
préparé que tout le monde connaît bien, où il y a « à boire et à
manger » ; un fonctionnaire, un ami, un commerçant, qui
reçoit un visiteur, lui offre inévitablement une tasse de café
et cela à quelque heure de la journée que ce soit : c’est une
forme de cette courtoisie turque, si répandue dans toutes
les classes de la société, et à laquelle il convient de répondre
de même manière, en acceptant. La cigarette accompagne
généralement la tasse de café : on fume beaucoup en Tur¬
quie ; les tabacs sont de qualité fort inégale, et tous ne rap¬
pellent pas les blondes cigarettes, chères à nos élégantes.
On fume partout et tout le monde fume, hommes et femmes,
dans la rue comme dans les endroits publics, dans les tram¬
ways comme au théâtre, au restaurant comme au cinéma.
La fraude des substances alimentaires s’opérait presque
au grand jour, à Constantinople, au moment de notre dé-
LE CADRE ET LE MILIEU
49
part. De véritables entreprises industrielles s’étaient mon¬
tées pour fabriquer, par exemple, du beurre au moyen de
graisses de toute provenance ; le sucre, l’alcool, le vinaigre,
l’huile, etc... étaient également fraudés. Les coupables étaient
traduits devant les tribunaux ; mais ils profitaient des len¬
teurs de la procédure judiciaire, de l’absence de loi sur les ma¬
tières alimentaires et de sanctions sévères,pour ne pas craindre
le magistrat ; il n’en sera peut-être pas toujours de même.
Les abattoirs, en 1922, étaient encore la propriété des
particuliers et leurs conditions hygiéniques étaient généra¬
lement défectueuses. La Préfecture de la Ville n’usait pas
assez de ses droits de contrôle sur ces établissements, dont
les plus importants sont situés au centre même de la ville.
Les abattoirs municipaux, qui étaient à cette époque en cons¬
truction, doivent remplacer complètement les abattoirs privés.
Les eaux potables. (1) — L’importance de l’étude hy¬
giénique des eaux d’alimentation dans une collectivité mi¬
litaire justifie le développement, qui a été donné à ce para¬
graphe ; nous nous étendrons principalement sur le système
hydraulique complexe de la région de Constantinople, si
plein d’intérêt et si peu connu encore, ainsi que sur la valeur
de ses eaux ; nous nous bornerons à quelques considérations
générales sur les eaux potables, consommées dans les autres
zones de stationnement de nos troupes.
A) SYSTÈME HYDRAULIQUE DE LA RÉGION
DE CONSTANTINOPLE
La ville de Constantinople étant située sur des hauteurs,
son ravitaillement en eau potable a toujours été difficile
et onéreux. Il fallut de tout temps aller chercher , loin dans
les environs, l’eau qui lui était nécessaire et que le sous-sol
(1) Nous nous sommes inspirés pour la rédaction de ce paragraphe de
la très intéressante documentation, fort obligeamment mise à notre dispo¬
sition par M. Huret, directeur de la Compagnie française des eaux de
Constantinople.
Dejouany ^
50 les ALLIÉS a CONSTANTINOPLE
ne pouvait par ailleurs lui fournir en raison de sa nature vol¬
canique, de sa composition géologique (calcaires et con¬
glomérats parsemés de failles) peu favorable à la formation
de nappes souterraines. Or, la population a toujours fait
une énorme consommation d’eau pour son alimentation,
pour l’embellissement de la ville et pour les ablutions ou
bains prescrits par la religion. Aussi des travaux considé¬
rables ont-ils été entrepris et développés à travers les siècles-
pour aboutir au système hydraulique, fort embrouillé, qui
dessert actuellement la région.
Les canalisations ou les ouvrages les plus anciens de ce
système sont dus aux Empereurs byzantins, qui firent col¬
lecter les eaux de ruissellement des hauteurs situées à l’ouest
de la ville ou eelles des deux rivières aboutissant a 1 extré¬
mité de la Corne d’Or, le Kiat-Hané-Sou et l’Ali-Bey-Sou,
pour les conduire dans leur capitale, réduite alors a 1 agglo¬
mération de Stamboul. De tous les travaux qu’ils édifièrent
dans ce but, beaucoup sont encore utilisés de nos jours dans
le système hydraulique de la forêt de Belgrade dont ils de-
vinrent une “dépendance : tels sont l’aqueduc de Valens
( Iv e siècle), qui s’élève en plein Stamboul, l’aqueduc de
Justinien (vi e siècle), situé au Nord de la Corne d’Or, la
grande Citerne de « Yeri-Batan » (1) ou « Cisterna Basihca »
( iv e siècle) qui se trouve près de la Mosquée de Sainte-So¬
phie Tels sont également les canalisations ou aqueducs qui
furent construits dans la région de Pyrgos, entre le vu®
et le xv e siècle. D’autres ouvrages de l’époque byzantine
ne subsistent actuellement qu’à l’état de souvenirs histo¬
riques. Il en est ainsi de nombreuses citernes qui étaient a
l’origine, comme la Cisterna Basilic a d’immenses réservoirs,
fl) Cette citerne est une des curiosités de Stamboul ; elle fut édifiée
,u iv® siècle par Constantin et restaurée par Justinien ; eüe mesure
Tl mètres sur 60 ; sa voûte splendide est supportée par plus de 300 co-
onnes merveilleuses et supporte elle-même le quartier qui s'étend entre
“ rue Kvan-Yolou et la Sublime-Porte. On y circule en barques sous
es lampes à arc. pendant que, par des ouvertures ménagées dans la voûte,
es habitants puisLt de l'eau à l'aide de seaux attaches a de longues,
ordes.
Bassin de Filtration
LE CADRE ET LE MILIEU
51
aménagés au sommet des quartiers à desservir, et dans les¬
quels aboutissaient les eaux des différentes conduites et des
aqueducs. Elles sont aujourd'hui très curieuses à visiter, en
raison de leurs vastes dimensions et de leurs détails archi¬
tecturaux, mais elles sont desséchées et envahies par la vase.
^ Au milieu du xv e siècle, en 1453, au moment où les Turcs
s’emparèrent de Constantinople, le système hydraulique,
édifié par les différents Empereurs païens ou chrétiens
au cours des quinze siècles écoulés, comprenait d’un côté les
canalisations amenant par l’Aquedue de Valens les eaux de
ruissellement de la région ouest de la Capitale (réseau Cons¬
tantin-Valens), de l’autre les conduites en provenance de
la vallée supérieure de l’Ali-Bey-Sou et du Kîat-Hané-Sou
et reliées à la ville par le bassin de Pyrgos et l’aqueduc de
Justinien (réseau Pyrgos-Justinien). La quantité d’eau ainsi
recueillie était bien inférieure aux besoins de la population.
De plus, seule l’agglomération de Stamboul en bénéficiait,
les Empereurs byzantins ayant complètement négligé les
vastes quartiers, qui s étaient progressivement élevés sur
la rive septentrionale de la Corne d’Or, aux emplacements
occupés aujourd’hui par Kassim-Pacha, Péra, Galata, Bé-
chiktache, Top-Hané, Dolma Bagtché.
Pour combler cette lacune, les Sultans édifièrent de nou¬
veaux ouvrages qui leur permirent d’obtenir un débit aug¬
menté, et d’alimenter en outre non-seulement les faubourgs,
jusque-la délaissés, mais encore la série des villages échelonnés
tout le long de la côte européenne du Bosphore. Ils utili¬
sèrent à cet effet, à l’intérieur même de la forêt de Belgrade
située à une vingtaine de kilomètres au nord de la ville, les
eaux de pluie ou d’infiltration recueillies dans l’excavation
des vallons avant qu’ils ne s’élargissent pour devenir val¬
lées ; de simples digues disposées en travers dans ces vallons
et les barrant en deux endroits, permirent d’obtenir dans
leur intervalle de vastes cuvettes. Ainsi furent réalisés de
grands réservoirs naturels, appelés « bends », dont les parois
furent renforcées à l’aide de travaux de maçonnerie. Le
bend inférieur, celui d’où partent les canalisations, fut muni
52 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
d’écluses encastrées dans une façade faite de la superposi¬
tion de splendides blocs de marbre, ornés d’inscriptions et
de motifs artistiques. Au xvi e siècle, cinq bends supplé¬
mentaires furent créés ; au xvii e siècle, quatre nouveaux
bends furent construits au Nord du village de Bagtchekeuy,
chargés d’alimenter Péra, Galata et la rive Nord du Bos¬
phore.
Ces bends du groupe de Belgrade furent facilement reliés,
près de la forêt, au système Byzantin, au niveau du bassin
de Pyrgos et de l’aqueduc de Justinien. L’artère unique, issue
en cet endroit du groupement des canalisations byzantine
et turque, fut fusionnée plus loin dans la région d’Eyoub
avec le système d’adduction des eaux amenées des hauteurs
ouest de la ville à destination de l’aqueduc de Valens.
Ainsi fut constitué, de ce côté, un réseau unique, résultat de
l’abouchement du système nouveau Ottoman au système
Pyrgos-Justinien d’un côté, et au système Constantin-Valens
de l’autre.
La canalisation, issue des bends de Bagtchékeuy à des¬
tination des localités riveraines du Bosphore et de Constan¬
tinople, dut être construite en entier ; il n’existait pas en
effet sur son parcours de travaux d’art ou de conduites. Les
bends et les canalisations qui en dépendent sont encore uti¬
lisés de nos jours. Ils relèvent du système des eaux de l’Evkaf,
dont nous parlerons dans la suite. Outre leur importance
pratique, ils offrent un intérêt considérable à la fois par leur
étendue et leur vaste développement, par les proportions
qui leur ont été données, et par le cachet esthétique et dé¬
coratif de la plupart d’entre eux.
Pour recueillir, avant leur distribution, les eaux amenées
aux portes de la ville ou dans ses différents quartiers, les
Turcs installèrent des réservoirs spéciaux, dits « taxims », qui
supplantèrent progressivement les citernes que les Empe¬
reurs Byzantins avaient d’ailleurs commencé à abandonner.
Les taxims sont de grands bassins de répartition aménagés
sous terre.
La ville de Constantinople resta alimentée, pendant de
LE CADRE ET LE MILIEU
53
nombreux siècles et jusqu’il y a encore 30 ou 40 ans, par les
seules eaux de sources ou de rivières captées dans le voisi¬
nage par les Byzantins, ou par les eaux de ruissellement re¬
cueillies à Belgrade par les Turcs, amenées les unes et les
autres jusqu’aux taxims. En 1883, une Compagnie Fran¬
çaise qui fut appelée par la suite « Compagnie Française des
eaux de Constantinople » entreprit, après autorisation impé¬
riale, des travaux de captation et de filtration des eaux du
lac de Derkos, qui furent conduites au moyen de canalisa¬
tions spéciales jusqu’à Constantinople, dont l’alimentation
en eau potable fut de la sorte considérablement augmentée.
Trois ans plus tard, en 1888, l’agglomération de Scutari, sur
la côte d’Asie, fut à son tour pourvue d’un système d’adduc¬
tion d’eau captée au moyen d’un bend. Plus récemment, les
eaux de source qui émergent sur la côte d’Europe, à l’est du
village de Pyrgos sur les bords de la rivière Kiat-Hané,ont
été exploitées par la ville, et utilisées pour l’approvisionne¬
ment d’une certaine partie de Péra et de ses alentours.
Il a été question, au cours de cet aperçu historique et sui¬
vant la tradition, de citernes dans lesquelles furent collec¬
tées pendant longtemps les eaux provenant des différentes
canalisations. Il est essentiel de préciser ici que c’est là un
terme impropre, puisque par définition, une citerne est un
réservoir destiné à recueillir directement les eaux de pluie.
Il existe bien à Constantinople des citernes vraies. On en
trouve même beaucoup dans tous les quartiers. Les habitants
les appellent communément et fort improprement puits . Il
n’y a pas ou il y a très peu de puits véritables à Constanti¬
nople, le sol rocailleux delà ville ne fournissant aucune nappe
d’eau. Les quelques rares puits qui existent ne produisent
qu’un volume d’eau très faible de mauvaise qualité, d’un
goût salé pour la plupart d’entre eux, à cause du voisinage
de la mer sur trois côtés.
Tel est, exposé à grands traits, le système hydraulique des
eaux d’alimentation de Constantinople ; examinons mainte¬
nant comment est ordonné son réseau de canalisations, les¬
quelles sont réparties en quatre groupes :
54
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
i° Les canalisations de l’Evkaf.
2° Les canalisations de la Compagnie des Eaux de Cons¬
tantinople.
3° Les canalisations des sources de Kiat-Hané.
4° Les canalisations delà Compagnie des Eaux de Scutari-
Kadi-keuy.
1° Les canalisations de l’Evkaf. — L’Evkaf ou Mi¬
nistère des fondations pieuses, était chargé de gérer les édi¬
fices religieux et les biens cédés à l’Etat par donations ; il
était distinct du Ministère du Culte Ottoman, du « Cheik-
ul-Islamat ». Nous ignorons s’il a été maintenu sous cette
forme par le régime nouveau ; son nom est en tout cas à
retenir en ce qui concerne la question des eaux potables.
C’est de lui, que relèvent les canalisations les plus anciennes
de Constantinople et qui comprennent :
a) le système des bends de la forêt de Belgrade, les aque¬
ducs, les conduites d’adduction et de distribution qui en
dépendent.
b) Les canalisations tributaires de l’aneien réseau Constan¬
tin-'Valons, amenant les eaux de ruissellement provenant des
hauteurs ouest de la ville.
c ) Le groupement des canalisations des eaux de source
de la région Ouest et Sud-Ouest de la ville, groupement dit
des sources d’Halkaly.
a) Bends. — Le système des canalisations émanées de
la forêt de Belgrade se décompose, avons-nous dit, en deux
branches distinctes correspondant aux deux groupes de
bends. Elles suivent chacune pour aboutir à la ville un trajet
distinct, séparées l’une de l’autre par le Kiat-Hané-Sou.
L’une issue de Bagtchékeuy, dite branche orientale , est des¬
tinée à la ville européenne (Réservoir du Taxim), Péra no¬
tamment, à ses faubourgs et aux villages riverains du Bos¬
phore. Elle parcourt un terrain à peine accidenté; aussi est-
elle à peu près en entier composée de conduits souterrains
en maçonnerie. A sa sortie de Bagtchékeuy cependant, elle
franchit la vallée encaissée du Buyukdéré-Sou au moyen de
LE CADRE ET LE MILIEU
55
l’aqueduc de Mahmoud, ouvrage d’art dominant le paysage
de sa masse imposante.
La branche issue de Belgrade, dite branche occidentale.
parcourt un terrain très accidenté ; elle décrit un grand
nombre de détours, franchissant les rivières, les ravins, les
dépressions à l’aide de 17 aqueducs. Les deux rameaux qui
la constituent à sa sortie des bends passent en deux points
différents sur un affluent du Kiat-Hané-Sou (aqueducs du
Sultan Suleïman et de Kavouk-Kémer) ; ils se réunissent,
dans le bassin de Pyrgos, en une seule artère qui franchit
PÀli-Bey-Sou par l’aqueduc de Justinien et arrive dans le
voisinage d’Eyoub, où elle opère sa jonction avec l’ancien
système Constantin-Yalens.
b) Système Constantin- Valens. — Ce réseau groupe les
eaux de ruissellement captées à l’ouest de la ville et celles
d’un ruisseau qui débouche dans la Mer entre Stamboul et
Makrikeuy. La branche unique résultant de la jonction des
canalisations de la branche occidentale de Belgrade et du
réseau de Constantin-Valens pénètre par la porte d’Egn-
Kapou dans Stamboul qu’elle traverse dans toute sa lon¬
gueur du Nord-Est au Sud-Est, donnant naissance à
une infinité de ramifications secondaires, à destination des
très nombreuses fontaines de la ville. Elle est sur tout son
parcours en maçonnerie. Les canalisations de distribution
de Stamboul sont en poterie, en fonte ou en plomb.
c) Canalisations de Halkaly. — On désigne sous ce nom
les canalisations, qui servent à conduire à Stamboul les eaux
de ruissellement et celles d’une infinité de sources de faible
débit, captées à l’ouest et au sud-ouest de la capitale. Ces
eaux, rassemblées dans des réservoirs situés en dehors des
fortifications, alimentent Stamboul par 17 canalisations,
dont chacune aboutit en principe à une mosquée, à l’usage
de laquelle elle a été construite a 1 origine. Les conduites ont
pris d’ailleurs le nom des mosquées qu’elles approvisionnent
(Fatih, Bayazid, Suleïmanié, Sultan Ahmed, Nouri-Osmanié,
etc...*). Mais des fontaines, des bains, des établissements pu¬
blics, des écoles ayant été par la suite branchés en différents.
56
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
points sur elles en dérivation, il en résulte un réseau d une
complexité inextricable. Les canalisations principales sont
en poterie ou en maçonnerie. Des tronçons de construc¬
tion récente sont en fonte. Le débit journalier des sources
d’Halkaly ne dépasse pas 2.000 mètres cubes.
2° Les eaux de Derkos. — Le lac de Derkos, exploite
pour l’alimentation de la ville et des faubourgs par la-Com¬
pagnie Générale des Eaux, est situe a 47 kilométrés de Cons¬
tantinople, au voisinage de la Mer Noire ; il est alimenté
par les eaux de pluie et par celles de la rivière Stranga. Après
aspiration et décantation à 1 origine, 1 eau est envoyée dans
quatre bassins de filtrage et refoulée ensuite à travers des
tuyaux en fonte jusqu’à un bassin de charge souterrain,
situé sur une crête voisine du lac à une altitude de 114 mè¬
tres. De ce bassin, elle descend par simple gravitation dans
une conduite d’amenée en maçonnerie voûtée et cimentée,
comprenant sur son parcours des siphons en fonte pour la
traversée des vallées ; elle arrive, à l’entrée de Péra, au ré¬
servoir de Férikeuy, dont la capacité est de 7.800 mètres
cubes.
Un embranchement se détache de la canalisation au ni¬
veau du village de Kiat-Hané, contourne la Corne d Or pour
aboutir au réservoir d’Edirmé-Kapou (capacité: 2.300 m s ),
d’où partent les ramifications destinées à Stamboul.
Le réservoir de Férikeuy alimente Pera, Galata et aussi,
par l’intermédiaire de trois réservoirs secondaires, les vil¬
lages de la rive européenne du Bosphore jusqu’à Boyadji-
keuy, au-delà de Bébek. L’usine élévatoire de Férikeuy sert
à approvisionner un château d’eau situé dans la partie
haute de la ville, à Chichli, d’où partent les conduits des¬
tinés aux quartiers élevés et aux étages supérieurs des mai¬
sons de Péra, ainsi qu’à l’agglomération importante d’Yldiz,
où résidait le Calife.
Le débit de cette canalisation est de 1.800 mètres cubes
par 24 heures, mais il peut être de 40.000 mètres cubes.
3° Canalisation des eaux de sources de Kiat-Hané. —
Eaux d’Hamidieh. — Cette canalisation, qui appartient
LE CADRE ET LE MILIEU
57
à la ville et à divers cercles municipaux, a été construite
assez récemment. Elle est ainsi plus perfectionnée que les
autres canalisations. Elle amène à Constantinople les eaux
de plus de 60 petites sources captées à l’est du village de
Pyrgos, sur les deux bords de la rivière de Kiat-Hané-Sou.
L’eau circule dans une conduite en fonte, qui aboutit à un
réservoir près du village de Kiat-Hané ; elle est envoyée de
là sous pression par une usine élévatoire à Yldiz, Béchik-
tache, Ortakeuy, Dolma-Bagtché, Nichantache, Pancaldi.
Les eaux de Kiat-Hané sont très appréciées pour leur
limpidité. Les conditions dans lesquelles elle sont captées
et distribuées offrent en outre des garanties, appréciables ;
malheureusement, elles sont peu abondantes en raison du
faible débit des sources d’où elles proviennent.
4° Canalisation des eaux de Scutari-Kadikeuy. —
Ce réseau alimente Scutari d’Asie et les villages échelonnés
tout le long de la côte et du Bosphore, de Kandili à Eren-
keuy sur la Marmara ; il groupe les eaux captées dans un
bend de deux millions de mètres cubes, situé à Gueuk-Souyou,
qui après filtration dans trois grands bassins sont refoulées,
à l’aide d’une machine élévatoire, jusqu’à un réservoir de
distribution de 6.000 mètres cubes, aménagé à Scutari,
B) LA VALEUR DES EAUX D’ALIMENTATION
A CONSTANTINOPLE
Quelle est la valeur d’eaux d’alimentation, de prove¬
nance si variée, amenées et réparties dans des canalisations
multiples, enchevêtrées, et dont la plupart très anciennes
sont en fâcheux état ? Un tel système est, on s’en doute
bien, passible de sérieuses critiques. La diversité des
organes administratifs, dont il relève, rend fort difficile
la surveillance de son fonctionnement ; le ministère de
l’Evkaf, la Préfecture de la ville, de nombreuses Compa¬
gnies, le ministère du Commerce et de l’Agriculture assurent
en toute indépendance, dans leur domaine propre, le contrôle
des canalisations qu’ils ont à gérer, sans que leurs interven-
58 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
tions respectives soient le moins du monde coordonnées par
un Bureau centralisateur, dont l’action serait cependant
bien utile. Ces graves inconvénients sont aggravés encore
par ceux qui résultent des tares, qui vicient la captation ou
la distribution ou même les deux à la fois. Ces tares, nous
les relevons à peu près partout. Pour les mieux exposer,
nous distinguerons les eaux, non plus suivant les réseaux
dont elles relèvent, mais suivant leur provenance, source,
puits, ruissellement, lac. Aussi bien certains réseaux sont
alimentés simultanément d’eaux d’origine différente, tel
celui de l’Evkaf, qui comprend les eaux de lac de la forêt
de Belgrade et celles de source ou de ruissellement, captées à
l’ouest de la ville.
Eaux de pluie. — Il suffit d’avoir vu comment sont ins¬
tallées la plupart de ces citernes dans lesquelles la popula¬
tion recueille et conserve les eaux de pluie, l’insouciance avec
laquelle on veille sur leur propreté, les impuretés et les
saletés qui souillent leurs abords immédiats, l’insuffisance
de la protection de leur ouverture au niveau du sol, pour se
rendre compte qu’on est en droit de tenir pour fortement
suspectes les eaux qu’elles renferment. La quantité de ces
eaux est, en outre, surtout au cours de certains étés pendant
lesquels les pluies sont rares, peu considérable et ne saurait
être considérée comme une réserve bien appréciable pour
les besoins des agglomérations.
Eaux de puits. — En raison de la nature rocailleuse du
sous-sol, les puits sont, nous le savons, rares à Constanti¬
nople et dans les localités voisines de la mer. Il faut s’éloigner
du rivage pour en trouver. Mais l’eau qu’ils fournissent est
d’un faible débit et, de plus, dans la grande majorité des
cas, impropre à la consommation sans purification préa¬
lable, en raison des souillures qui proviennent des infiltra¬
tions dues au voisinage des latrines, des fumiers, des ordures,
ou de sa contamination par les eaux usagées que les habi¬
tants jettent négligemment sur le sol, autour des puits.
LE CADRE ET LE MILIEU
59
i i
Eaux de source. — Ces eaux sont, à cause de leur fraî¬
cheur et de leur limpidité, les plus agréables et d’ailleurs les
plus recherchées. Malheureusement, elles ont un faible débit
et, exception faite pour les eaux d’Hamidieh, elles n’offrent
au point de vue de leur qualité aucune garantie sérieuse. Le
périmètre de protection est en effet inconnu pour la plupart
des sources exploitées, qui sont, par suite, exposées à des
risques permanents de contamination. L’eau qu’elles four¬
nissent est couramment recueillie sans aucune précaution
dans des tonneaux, et livrée au détail à travers la ville
moyennant rétribution ; si elle n’a pas été souillée à l’ori¬
gine, elle l’est au cours des manipulations que lui font subir
des marchands, de propreté plus que douteuse.
Eaux de ruissellement. —Elles proviennent des bends
de la forêt de Belgrade ou de ceux de la région de Scutari-
Kadikeuy ; elles alimentent en grande partie la région de
Constantinople et les localités de la rive asiatique. De graves
réserves ont été faites de tout temps à leur sujet. Les bends
dans lesquels elles sont collectées sont exposés eux-mêmes,
ainsi que leurs alentours, à toutes les causes de souillures
du sol, matières fécales et urines humaines ou animales,
cadavres d’animaux, végétaux pourris, etc... Les eaux de la
forêt de Belgrade ne sont soumises à aucune filtration ; elles
subissent seulement un simple dégrossissage. De plus, elles
doivent au délabrement de leur système d’adduction d’être
considérées comme étant de qualité fort incertaine, sinon
dangereuses. Ce système est composé de vieux aqueducs,
fissurés, lézardés, dans lesquels sont ménagées, de loin en
loin, pour permettre l’entrée des employés chargés de l’en¬
tretien ou d’un travail technique, des ouvertures fermées
sommairement à l’aide de couvercles en tôle placés au ras
du sol, et exposées à toutes les souillures. Il n’est pas rare
enfin que de simples particuliers ouvrent, à coups de pioche,
les canalisations qui se trouvent à bonne portée, près de
leur habitation ou dans leurs jardins, et puisent ainsi direc¬
tement à leur guise l’eau qui leur est nécessaire. On ne sau-
60
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
rait s’étonner, on le conçoit, que certaines analyses aient
révélé, dans l’eau des bends de Belgrade, une flore bacté¬
rienne inquiétante (120.000 aérobies et 100 colibacilles par
cm 1 ).
Les eaux de Scutari-Kadikeuy sont, à l’inverse des précé¬
dentes, amenées dans des canalisations en fer ou en plomb
et moins sujettes, de ce fait, à la contamination. Leur qua¬
lité risque malheureusement d’être fréquemment compro¬
mise, à leur origine, par d’autres facteurs en rapport avec le
voisinage de moulins, de parcs à moutons, de fermes et de
deux villages situés à proximité des ruisseaux d’où elles
proviennent. Elles sont bien amenées dans trois bassins ser¬
vant de filtres à sable submergés ; mais leur filtration y est
opérée dans des conditions défectueuses et ne les débarrasse
que très imparfaitement de leurs impuretés, ainsi que l’a
montré le laboratoire.
Eaux de lac. — Les eaux du lac de Derkos, autour duquel
n’existe aucun périmètre de protection, sont passibles des
mêmes reproches. Les eaux sont amenées dès leur sortie
du lac dans quatre grands filtres à sable submergés. Les
analyses ont démontré fréquemment qu’elles contenaient
des colibacilles à raison de un à dix par centimètre
cube, avant comme après la filtration, et que, parallèle¬
ment, le nombre des aérobies, qui était de 800 par centi¬
mètre cube à la sortie du lac, passait à 30.000 après la sortie
du filtre. Ces chiffres sont assez éloquents par eux-mêmes ;
ils prouvent que les filtres sont détériorés, non entretenus,
mal nettoyés et c’est très regrettable, car les canalisa¬
tions de distribution, qui amènent l’eau jusque dans les
maisons, sont toutes en fonte et donneraient une sécurité
suffisante.
En résumé, quelle que soit leur provenance, quel que soit
le réseau dont elles relèvent, les eaux de la région de Cons¬
tantinople sont, à l’exception cependant des eaux de source
d’Hamidieh qui sont captées et distribuées dans des condi-
LE CADRE ET LE MILIEU
61
tions répondant aux exigences essentielles de l’hygiène, de
qualité douteuse. C’est certainement à ces eaux d’Hamidieh
qu’il est fait allusion dans les guides, où il est signalé aux
excursionnistes que les eaux de Constantinople sont d’une
parfaite inocuité. Nous savons maintenant à quoi nous en
tenir à ce sujet. Les très nombreuses analyses qui ont été
effectuées en série un peu partout, pendant le séjour de nos
troupes, par le Laboratoire de Bactériologie du Corps d’oc¬
cupation, ont été absolument concordantes. La présence
intermittente de colibacilles, dont le nombre augmente
parfois dans de fortes proportions à la période des pluies,
témoigne, au même titre que le trouble que présente de
temps en temps l’eau à sa sortie des fontaines, de contami¬
nations superficielles flagrantes ou d’infiltrations souter¬
raines, qui se font à l’origine ou sur le trajet de canalisations
en mauvais état.
Les boissons rafraîchissantes (limonades, citronnades),
fabriquées avec les différentes eaux de la région et vendues à
chaque pas dans la rue, pendant la saison chaude, sont
également, pour la plupart, comme les eaux servant à les
fabriquer, sinon dangereuses, tout au moins suspectes.
Certaines, qui furent soumises à l’analyse par notre Labo¬
ratoire de Bactériologie, contenaient jusqu’à 2.000 coli¬
bacilles par litre. Leur vente et leur consommation furent
naturellement interdites dans les cantonnements de nos
troupes.
C) LES EAUX POTABLES
EN DEHORS DE LA RÉGION DE CONSTANTINOPLE
Aucune des localités, qui furent occupées par nous en Tur¬
quie d’Europe en dehors de Constantinople, ne dispose d’un
système de captation et d’adduction qui mérite, comme celui
de la Capitale, de retenir particulièrement l’attention. Dans
les villages existent des puits en rapport avec la nappe sou¬
terraine et des citernes dans lesquelles sont recueillies les
eaux de pluie. Les citernes prédominent dans les régions
62 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
voisines de la mer (San Stéfano, par exemple). Dans les
agglomérations, où les citernes et les puits ne pourraient
fournir un débit suffisant pour les besoins de la population,,
a été aménagé un système de réservoirs et de canalisations,
au moyen duquel ont été collectées les eaux de ruisselle¬
ment et de source du voisinage. Il en est ainsi, par exemple,
à Andrinople et à Tchataldja. Toutes ces eaux sont justi¬
ciables des critiques que nous avons retenues pour celles
de la région de Constantinople. Les analyses les ont révélées
de qualité très variable, bonnes parfois, mauvaises assez,
souvent, suspectes la plupart du temps. Leur consommation
sans purification préalable est donc à interdire.
L’Hygiène et la protection de l’enfance. — Le Ministère de
l’Instruction publique a sous ses ordres un corps d’ins¬
pecteurs Sanitaires, chargés d’exercer une surveillance
médicale sur les Etablissements Scolaires. Cependant un
grand nombre de ces établissements fonctionnent dans
des conditions hygiéniques médiocres. Les locaux sont le
souvent de simples maisons d’habitation incomplète¬
ment aménagées, et les crédits, alloués dans ee but
au Ministère de l’Instruction publique, sont tellement
faibles qu’ils excluent toute possibilité de réformes impor¬
tantes. Les soins et les exercices corporels des élèves sont
assez minutieusement surveillés : dans plusieurs établisse¬
ments scolaires on a institué le livret sanitaire individuel.
Malgré les efforts tentés, il reste beaucoup à faire dans
le domaine de l’Hygiène et de la protection de l’enfance.
Les différents orphelinats dirigés soit par l’Etat, soit par
les communautés locales, hébergent près de 5.000 orphe¬
lins ; la « Société privée » de protection des enfants offre,
de son côté, abri et soins de toutes sortes à une centaine
d’enfants abandonnés. Et c’est à peu près tout.
L’Hygiène corporelle. —Fidèles:aux principes admirables
du Coran, les Musulmans de Turquie, sauf dans les classes
indigentes, ont conservé un souci particulier de la pro-
LE CADRE ET LE MILIEU
6&
prêté de leur corps. Mais la pauvreté en empêche
beaucoup de fréquenter comme ils le désireraient les bains,
les Thermes, sî répandus partout en Turquie et à Cons¬
tantinople en particulier ; ce sont des bains de vapeur,,
fort intelligemment compris et où de forts gaillards, bien
musclés, se chargent du massage complémentaire. Il y a
des Thermes spéciaux pour les femmes ; dans les Thermes,
mixtes, des jours leur sont réservés. Ces dispositions ne-
sont pas surprenantes ; malgré l’indépendance qui lui a été
concédée de plus en plus large, la femme turque était
encore en 1923 fort surveillée dans la rue et les endroits-
publics, où elle était défendue par la collectivité contre les
entreprises éventuelles d’un étranger, et contre la pro¬
miscuité des hommes en général. Leur tenue dehors est
toujours correcte, même les nuits de Ramadan à
Stamboul, où cependant bien des libertés sont per¬
mises. Ce n’est pas à dire que quelques aventures amou¬
reuses n’aient pas charmé quelques solitudes ; mais il
convient d’être discret.
Nous ne pouvons faire mieux, pour terminer ce long cha¬
pitre d’hygiène publique, que de publier ici, sans les com¬
menter, des tableaux de morbidité et de mortalité pour la
ville de Constantinople (1). Ils ont été établis à l’aide de
documents, que nous a fournis avec la plus grande amabilité,
en 1922, V Administration ottomane de la Santé publique.
(1) C’est—â—dire Stamboul — Pera-Galata — Scutari’— Kadikeuy —
le Bosphore de Roumeli-Kavak et Beicos à Bostandjik.
64
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
mortalité Générale
Pendant les années 1915, 1916,
CAUSES DE MORTALITÉ
Choléra Asiatique.
Peste..
Typhus exanthématique.
Fièvre Typhoïde.
Variole.
Diphtérie.
Méningite cérébro-spinale épidémique
Dysenterie bacillaire...
Scarlatine .. • • ..
Rage.
Morve ..*
Septicémie puerpérale.
Tuberculoses..
Grippe.
Rougeole.
Coqueluche.
Maladies infectieuses non spécifiées
Paludisme.
Tumeurs malignes.-
Encéphalite léthargique.
Maladies du système nerveux.
Maladies de l’appareil circulatoire . ..
Maladies de l’appareil respiratoire .. .
Maladies de l’appareil digestif.
Maladies des reins et des voies urinaires .
Gastro-entérites infantiles.
Maladies constitutionnelles.
Maladies chirurgicales.
Avortements et Morti-natalité ....
Anomalies et faiblesse congénitales
Sénilité .. .
Suicide...
Mort violente.
Maladies diverses.
Totaux.
1915
1916
»
145
»
»
15
224
203
157
»
14
44
44
12
12
76
14
22
15
»
1
1
1
13
22
3.018
2.447
65
54
243
18
19
32
45
102
77
73
415
291
»
»
1.305
1.392
2.662
2.792
2.692
2.550
1.426
1.641
e. 119
156
697
828
.. »
»
.. »
»
»
»
ne 29
1
ent 117
10
209
515
777
1.027
1.563
88
19
... - 216
132
3.329
2.742
18.490
18.478
le cadre et le milieu
65
DE CONSTANTINOPLE
1917, 1918, 1919, 1920 et 1921
1917
1918
1919
1920
' SU-lig.j
1921
5
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»
1
»
»
24
24
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86
159
94
144
99
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188
6
19
66
66
48
40
15
7
8
4
10
10
84
37
36
129
67
9
10
1
8
2
»
»
»
»
#
»
»
2
»
»
10
18
27
36
21
2.513
3.515
2.546
2.731
2.652
33
443
287
431
126 1
26
13
43
49
92 J
28
33
18
14
14 !
46
55
45
60
79 1
116
144
115
80
51 1
286
287
241
294
291 1
D
»
»
21
9 1
1.104
1.590
817
1.510
1.498 I
3.237
4,017
2.407
2.777
2.189 J
2.626
7.916
3.173
3.565
2.932 J
2.530
1.343
996
906
872
156
132
153
158
133
1.229
1.548
901
775
640
»
»
»
1.046
1.079 I
»
»
»
127
371
»
»
»
70
166
1
»
41
12
17
13
11
6
25
24
165
192
315
540
551
789
930
995
1.494
1.141
1.714
2.458
1.002
975
887
17
36
39
30
23
192
152
336
317
220
3.028
7.390
2.688
703
277
20,859
33.616
=*"■1 ■*! Tiravït " i '
17.921
19.155
16.58 J
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5
LE CADRE ET LE MILIEU
67
MORTALITÉ PAR RAPPORT A LA POPULATION
ANNÉES
POPULATION
OTTOMANE
(i)
NOMBRE
t>E CAS
de mort
MORTALITÉ
POUR Ï.OOO
habitants
1915.
942.872
18.490
19,61
1916.
955.766
18.478
19,33
1917 . ..
975.297
20.859
21,38
1918.
983.368
33.616
34,18 fj
I 1919 .
990.459
17.921
18,09
1920 .
1.003.643
19.155
19,08 I
I 1921 .
1.016.414
16.581
16,31 I
I (1) Pour avoir le chiffre total de la population, il faudrait y ajouter les étrangers 1
qui ne sont pas de nationalité ottomane, soit 129.927 pour Tannée 1921. 1
CHAPITRE III
La Santé Publique Ottomane. — Les Commissions sanitaires
Interalliées et l’épidémiologie du (Proche-Orient.
La Turquie possède (1) deux sortes d’Organisation sani¬
taire publique : l’Organisation municipale ou communale et
l’Organisation d’Etat.
L’Organisation municipale a dans ses attributions : les
soins gratuits à donner à la classe indigente de la population,
l’assistance aux femmes en couches, la délivrance des permis
d’inhumer, la surveillance de l’hygiène des établissements
publics, le contrôle des substances alimentaires et des bois¬
sons, la vaccination et la revaccination jennerienne gra¬
tuites, qui sont, conformément à la loi, obligatoires pour tous.
Dans ce but, l’administration sanitaire municipale dispose
de médecins municipaux (40 environ), de sages-femmes et
de vaccinateurs ; elle est dirigée par un bureau central.
Elle entretient à Stamboul deux hôpitaux : l’hôpital de
Djerrah Pacha (250 lits pour maladies générales d’hommes)
et l’hôpital de Hasseki (300 lits pour maladies générales de
femmes) et trois établissements de désinfection (Stamboul,
Péra, Scutari) ; ces établissements de désinfection sont assez
complètement outillés : chacun d’eux est doté de deux
grandes étuves système Geneste-Herscher, une chambre à
formol, des pulvérisateurs, des voitures pour le transport
(1) Du moins possédait en 1922.
LA SANTÉ PUBLIQUE OTTOMANE
69
des effets ou objets désinfectés ou à désinfecter. Un Labora¬
toire, annexé au Service sanitaire municipal, est chargé de
procéder à l’analyse des substances alimentaires suspectes.
L’Organisation d’Etat se groupe autour d’un Ministère dit
Ministère de l’Hygiène, non autonome, dont le titulaire
était encore, en 1922, le ministre de l’Intérieur.
Le Ministère de l’Hygiène comprend deux Directions
générales : la Direction générale du Service de la santé pu -
blique et la Direction générale de V Administration sanitaire
des frontières .
A) La Direction générale de la santé publique n’est deve¬
nue gouvernementale que depuis une loi promulguée en 1916.
D’après cette loi, la Direction générale de la santé publique,
dont l’autorité, sous réserve du contrôle interallié pendant
l’occupation, s’étend à tout le territoire ottoman, a dans ses
attributions tout ce qui touche à la surveillance de l’hygiène
et la sauvegarde de la santé publique, donc à la lutte contre
les maladies infectieuses, les maladies épidémiques, les affec¬
tions vénériennes ; elle a aussi à connaître des questions
intéressant l’exercice de la médecine, de la pharmacie et de
toute autre branche de la science médicale.
Elle a à sa tête un Directeur général, assisté d’un sous-
directeur et elle comprend quatre sections :
1° Section d’hygiène publique (hygiène, maladies infec¬
tieuses et maladies vénériennes) ;
2° Section de la Statistique sanitaire ;
3° Section de pharmacie ;
4° Section de contrôle (inspecteur sanitaire chargé de
surveiller et de contrôler l’application des mesures d’hy¬
giène, inspection des pharmacies et drogueries).
En dehors du Conseil d’administration qui ne s’occupe
que d’affaires administratives, une Commission technique,
dite Conseil supérieur de santé , se réunit au moins une fois
par mois, sous la présidence du ministre, ou à son défaut,
du Directeur général ; le Comité comprend 32 membres,
70
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
dont 12 élus parmi les médecins les plus distingués de
Constantinople, les chefs de section de la Direction générale,
le directeur général de l’Administration des frontières, les
chefs du Service de santé militaire et naval, le doyen de la
Faculté de médecine, le directeur de l’Institut Pasteur, le
directeur du Service sanitaire municipal de Constantinople,
un délégué pour chacun des Ministères de l’Intérieur, des
Travaux publics, de l’Instruction publique, de la Justice,
du Commerce, de l’Agriculture. Ce Conseil supérieur de
santé étudie en dernier ressort toute question ayant trait à
l’hygiène publique, défère aux tribunaux les contrevenants
aux°lois sur l’exercice de la médecine et de la pharmacie,
élabore les projets de lois ou de règlements sanitaires. Sa
mission est des plus importantes.
A la Direction générale de la santé publique sont ratta¬
chés l’Institut Pasteur de Constantinople, 1 Institut chi¬
mique, l’Institut vaccinogène, l’Institut anti-rabique, le
Musée d’hygiène. L 'Institut Pasteur, à Stamboul, joue un
rôle de premier plan dan's la lutte contre les maladies infec¬
tieuses : il est un organe d’études et, plus encore, un vaste
laboratoire pour la préparation des sérums et vaccins théra¬
peutiques. Les Français Ch. Nicolle, Remlinger et Simon
ont été, tour à tour, directeur de cet Institut, qui a actuelle¬
ment à sa tête M. Refik bey, le distingué professeur de bac¬
tériologie à la Faculté de Médecine.
L’Institut vaccinogène, assez médiocrement outillé à Demir-
Capou, est chargé uniquement de préparer le vaccin jen¬
nerien : il en produit jusqu’à 5 millions de doses par année.
C’est Y Institut anti-rabique, installé en bordure des Jar¬
dins du Serai, qui a la charge du traitement contre la
rage. Bien qu’en 1910 la plupart des chiens errants de
Constantinople aient été transportés dans l’île d’Oxia, il
en reste encore beaucoup dans la capitale qui vont à 1 aven¬
ture, gîtant dans les décombres des maisons incendiées, se
nourrissant d’ordures ménagères et qui deviennent un
danger public, quand ils sont touchés par la rage. Au cours
de l’épidémie de 1922, plus de 900 personnes se présentèrent
LA SANTÉ PUBLIQUE OTTOMANE
71
à 1* Institut dans l’espace de deux mois ; 500 d entre elles
furent inoculées aussitôt ; toutes furent traitées avec succès,
à l’exception de trois malades qui, à leur arrivée à l’Institut,
présentaient déjà des prodromes de la redoutable affection.
L’Institut de Chimie procède à l’analyse des produits ali¬
mentaires, des drogues et des spécialités pharmaceutiques, »
des eaux minérales, soupçonnées d’être fraudées ou non
conformes à leur composition officiellement admise.
Le Musée d’hygiène, rue Divan Yolou, de fondation ré¬
cente, a été créé dans un but de vulgarisation des méthodes
employées dans la lutte contre les maladies épidémiques,
la tuberculose, les maladies vénériennes, l’alcoolisme. Il est
très fréquenté ; sera-t-il permis à des Français d’émettre le
vœu que l’on s’efforce d’y substituer aux productions alle¬
mandes, peut-être un peu nombreuses, des œuvres fran¬
çaises ? Le Musée y gagnerait en clarté et en élégance.
Le budget de la Direction générale de la Santé Publique
entretient à Stamboul quatre des hôpitaux de Constanti¬
nople : l’hôpital Hamidieh (250 lits pour enfants), l’hôpital
Halidji-Oglou (1) (400 lits pour maladies vénériennes), l’hô¬
pital de Toptachi (400 lits pour aliénés) et celui de Zeineb-
Kiamil (60 lits pour maladies mentales).
Un service important, de caractère provisoire, est aussi
rattaché à la Direction générale : c’est le service des épidé¬
mies, créé pendant la guerre sous la pression des dangers
courus, et conservé après l’Armistice en raison de son indis¬
cutable utilité. Il est dirigé par une Commission dite des
Epidémies , composée du Directeur de 1 hygiène publique,
de l’Inspecteur général du Service de santé, d’un bactério¬
logue spécialisé ; elle dispose pour l’exécution de ses pres¬
criptions de deux médecins-inspecteurs, de vingt médecins
de district et de plusieurs vaccinateurs. Les bains publics
et les établissements de désinfection municipaux sont uti¬
lisés en vue d’assurer la douche et l’épouillage à un grand
(1) Voir le chapitre VI sur la Morbidité vénérienne.
72
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
nombre de personnes, et toutes désinfections nécessaires
(locaux et objets) ; les vaccinateurs sont dotés du matériel
et des vaccins nécessaires pour la variole, les fièvres typho-
paratyphoïdes, la peste et le choléra.
Le budget annuel du Service de la Santé publique s’inscri¬
vait en 1922 au budget général pour un total de 227.722 livres
turques (Ltq. = 8 francs en moyenne en 1922), dont
145.488 livres turques pour le seul service des hôpitaux,
12.150 livres turques pour l’Institut Pasteur, 4.780 livres
turques pour l’Institut anti-rabique, 20.000 livres turques
pour le Service des épidémies, enfin 24.964 livres turques
pour l’Administration centrale.
B) L’Administration sanitaire des frontières a pour mis¬
sion :
1° D’empêcher l’importation en Turquie par voie de
terre, et principalement par voie de mer, des maladies infec¬
tieuses, en particulier des maladies dites pestilentielles
(peste, choléra et fièvre jaune) ;
2° D’empêcher la transmission de ces mêmes maladies
de la Turquie aux pays étrangers, notamment aux ports
de la Méditerranée et de l’Europe occidentale.
L’Administration sanitaire des frontières a, en somme, à
assurer (sous réserve du contrôle interallié pendant l’occupa¬
tion) l’application de toutes les mesures de Police sanitaire
maritime . La Convention sanitaire interalliée qui, pendant
l’occupation, a servi de base à l’application de ces mesures,
était la Convention de 1903 ; la Convention de Paris de 1912
avait bien été signée par les plénipotentiaires ottomans,
mais n’avait pas été ratifiée par la Turquie.
Pour accomplir sa tâche, l’Administration sanitaire des
frontières dispose d’une Direction générale et d’organes
d’exécution (Offices sanitaires, lazarets, etc...). La Direc¬
tion générale a à sa tête un directeur général, secondé d’un
inspecteur du Service sanitaire, lui-même doublé d’un
adjoint. Cet inspecteur sanitaire est le chef du Service
technique. L’Administration centrale comprend, en outre,
LA SANTÉ PUBLIQUE OTTOMANE 73
divers services ou bureaux et un Laboratoire de bactério¬
logie, dont nous redirons un mot.
Les Offices sanitaires sont chargés d’assurer ou de
prescrire l’application des mesures de police sanitaire : déli¬
vrance et contrôle des patentes de santé, « arraisonnement »
des navires ; mesures prophylactiques imposées par la Con¬
vention interalliée ou par les Autorités ottomanes qualifiées
(ou, pendant l’Occupation, interalliées); application des
taxes prévues ou imposition d’amendes encourues pour
infractions aux règlements, etc... L’Administration sanitaire
des frontières disposait, jusqu’en septembre 1923, de trois
Offices sanitaires principaux : celui de Tchanak, à l’entrée
des Détroits, pour les navires en provenance de la Médi¬
terranée et de l’Archipel, celui de Galata à Constantinople
et celui de Kavak à l’entrée du Bosphore, pour les navires en
provenance de la mer Noire ; un Office de minime impor¬
tance était organisé à Yeni-Capou (Stamboul) pour l’arrai¬
sonnement des petits voiliers, se livrant au cabotage de la
Marmara et de la mer Noire. Chacun des Offices princi¬
paux est dirigé par un médecin de l’Administration, secondé
d’un percepteur-comptable et de quelques commis d’écri¬
tures ; un canot à moteur permet au médecin de se rendre à
bord pour procéder à ses opérations de contrôle sanitaire.
C’est l’Office de Kavak qui a joué le rôle le plus important
de barrage, en raison des épidémies qui dévastaient la
Russie méridionale et même certains pays riverains de la
mer Noire, et le peu de confiance qu’on pouvait accorder
aux renseignements portés par les Autorités soviétiques sur
les patentes de santé.
Les Lazarets ont pour mission, dans certaines condi¬
tions imposées par les règlements et les autorités sanitaires,
d’abriter les suspects, de traiter et d’isoler les malades, de
procéder aux prélèvements bactériologiques, à toutes opé¬
rations de vaccination ou de désinfection et de dératisation
des navires, jugées indispensables. Ils sont gérés par un
médecin-directeur, assisté ou non d’un médecin adjoint, de
désinfecteurs, de mécaniciens-étuvistes, de gardes sani-
74
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
taires Deux lazarets ont fonctionné pendant l’occupation :
celui de Monastir-Aghzy, situé à Anatoli-Kavak sur la rive
asiatique du Bosphore, et .celui de Touzla sur le golfe d Is-
midt. Celui de Monastir-Aghzy a été le plus actif : il possédé
un outillage complet de désinfection, trois étuves, dont
deux à vapeur et une au formol, une grande salle d isolement
aménagée pour prélèvement des selles des passagers, un
hôpital de 30 lits en trois pavillons séparés pour les malades
généraux ou les contagieux (cholériques, pestiférés, etc...)*
et quatre pavillons de 150 lits chacun pour l’isolement des
passagers. L’installation est suffisante, mais la baie sur
laquelle est situé ce lazaret est fortement exposée aux vents
du nord ; les navires s’y abritent difficilement et le débar¬
quement des passagers est souvent impossible. Seules, des
questions d’argent ont empêché de réaliser le vœu, souvent
exprimé par l’Administration sanitaire ottomane et par les
Conseils interalliés, de transporter ce lazaret plus bas vers
Beycos. On sera un jour ou l’autre obligé d’en arriver là.
Le lazaret de Touzla est une station sanitaire moderne.
L’édifice est nouveau et bâti comme un plan bien étudié. Il
est moins important, comme capacité et comme moyens
d’action, que celui de Monastir-Aghzy bien que possédant
un laboratoire, trois grandes étuves à vapeur, une chambre
à formol et une lessiveuse à vapeur. Il a moins servi que
celui de Kavak, parce que les navires suspects ou contamines
venaient presque généralement du bassin de la mer Noire.
A titre de renseignement, les lazarets de Monastir-Aghzy
et de Touzla ont pratiqué du 1 er octobre 1921 au 25 sep-,
tembre 1923 :
25.797 Vaccinations anticholériqucs.
Du 1 er octobre 1,922 au 15 septembre 1923 :
2.506 Vaccinations antipesteuses.
28.327 » antivarioliques.
443 » antityphoïdiques.
Un Laboratoire de bactériologie, bien aménagé, fonc-
LA SANTÉ PUBLIQUE OTTOMANE
75.
tionnait encore en 1923, au siège central de l’Administration
sanitaire des frontières, sous l’active direction de M. le pro¬
fesseur G. Delamare, de la Faculté de Médecine de Constan¬
tinople. Il poursuivait et exécutait toutes recherches bactérie*
logiques ; mais il a surtout rendu d’excellents services dans
l’étude prophylactique de la peste (autopsies des rats cap¬
turés sur les navires — recherche du bacille de Yersin),
dans le dépistage des cholériques ou des porteurs sains de
vibrions parmi les voyageurs émigrés ou les équipages,
provenant de ports infectés de choléra. Ce laboratoire, du
1 er octobre 1921 au 1 er octobre 1922, n’a pas pratiqué
moins de 11.179 examens de selles suspectes, sans compter ses
examens pour la recherche de bacilles pesteux et les exa¬
mens de sang pour le diagnostic du typhus exanthématique
ou de la fièvre récurrente. (Recherche du Spirille d Ober-
meier, de la réaction de Weil-Félix).
Telle est, exposée dans ses grandes lignes, l’Organisation
Sanitaire ottomane. Pendant toute l’Occupation, aussi bien
l’Administration de la santé publique que, l’Administra¬
tion sanitaire des frontières, ont continué à fonctionner avec
leur personnel national, mais sous le contrôle et d’après les
directives des Alliés, et il faut le dire, en toute affectueuse
collaboration.
Deux Commissions interalliées furent instituées pour exer¬
cer ce haut contrôle : l’une, dite Commission samtaii’e mteral-
liée urbaine , avait pour mission d’ordonner les travaux de
l’administration Sanitaire d’Hygiène, l’autre, dite Commis¬
sion sanitaire interalliée maritime et des frontières , avait dans
ses attributions la décision dans toutes les questions de Po¬
lice sanitaire, traitées par 1 Administration sanitaire des
frontières. La première était présidée par le Directeur du
Service de santé du Corps d’occupation britannique, la
seconde par le Directeur du Service de santé du Corps d’occu¬
pation français. De ce chef, le Service de santé militaire des
Puissances alliées a, pendant l’Occupation, joué un rôle de
premier plan dans l’organisation et le fonctionnement des
Services de la Santé publique ottomane.
76
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
La Commission sanitaire interalliée urbaine comprenait,
outre son président britannique, les conseillers sanitaires
techniques civils des Hauts-Commissariats, des représen¬
tants des armées et des marines alliées, un représentant de
la direction générale de la Santé ottomane. Cette Commis¬
sion, puissamment aidée par des chefs de service Turcs de
grand mérite, (1) a eu véritablement en mains, pendant
trois années, la conduite de l’hygiène publique, le contrôle
des mesures prophylactiques à prendre à l’intérieur du vilayet
de Constantinople par la Direction générale de la Santé, les
Services municipaux, les Services de lutte contre les mala¬
dies contagieuses. Sa tâche a été très lourde mais fructueuse,
en raison de l’aide morale et surtout matérielle apportée
par les Alliés, à un moment de crise pour la Nation turque et
pour la population de Constantinople en particulier.
C’est à son action, c’est certain, que l’on doit d’avoir vu
s’éteindre rapidement des foyers épidémiques (choléra, peste,
variole) qui auraient pu devenir, s’ils n’avaient été combattus
à temps et avec rigueur, le point de départ de véritables ca¬
tastrophes. N’oublions pas les épidémies de peste de 1803 et
de 1813 qui dévastèrent la Capitale (260.000 victimes), ni
celles qui, de 1814 à 1816, partirent de Constantinople pour
ravager le littoral oriental de l’Adriatique et les îles Ionien¬
nes. Constantinople a longtemps été un centre d’endémie cho¬
lérique ; elle a payé un lourd tribut à toutes les épidémies
de choléra qui au cours du xix e siècle ont si durement frappé
l’Europe ; la variole, la fièvre typhoïde et le typhus exan¬
thématique y régnent en permanence. On comprend que,
dans ces conditions, le rôle joué par un organe directeur de
la Santé Publique ait été particulièrement important, sur¬
tout à une époque où pour des raisons d’ordre politique, la
capitale de la Turquie, toujours le carrefour des échanges
du Proche-Orient, a vu affluer dans ses murs des émigrés
(1) Nous citerons ici les D r Djeved—Bey et Arifi—Pacha, anciens direc¬
teurs généraux de la santé publique, le D r Galib-Ata, directeur de 1 Hy-*
giène, enfin le D r Zekki-Bey, directeur général adjoint qui fut le très
distingué délégué ottoman à la Conférence de Varsovie de 1922;
LA SANTÉ PUBLIQUE OTTOMANE
77
malades et misérables de la Russie méridionale, de la Géor¬
gie, de l’Anatolie, de la Cilicie et de la Syrie. A titre docu¬
mentaire, le tableau suivant indique le nombre de vaccina¬
tions qu’ont pratiquées à Constantinople la Commision sa¬
nitaire urbaine et la Direction générale delà Santé publique
du 1 er octobre 1921 au 1 er octobre 1922, malgré les
difficultés matérielles de toutes sortes rencontrées par elles,
et la résistance qu’une population inculte opposait souvent
à l’application des règles de l’hygiène moderne.
Vaccinations pratiquées dans la Ville de Constantinople
du 1 er Octobre 1921 au 1 er Octobre 1922
MOIS
PESTE
choléra
VARIOLE
FIÈVRE
TTPHOÏDB
Octobre 1921.
21.468
1.252
7.397
2.554
Novembre » .
3.852
0
9.179
1.961
Décembre » ......
760
0
6.142
3.530
Janvier 1922.
1.006
0
23.262
4.175
Février » .
0
0
45.810
1.739
Mars » .
0
0
40.920
868
Avril » .
2.390
0
35.083
991
, Mai .
882
0
24.725
2.899
Juin » .
681
1
11.225
1.805
Juillet » .
0
1.697
10.758
9.845
Août » .
1.883
1.547
7.211
16.551
Septembre » ......
12.664
21
14.994
26.568
Totaux ....
45.586
4.518
236.706
73.486
Si la Commission sanitaire interalliée urbaine a eu le
mérite d’arrêter le développement à Constantinople d’épi¬
démies graves ,la Commission Interalliée maritime et des fron¬
tières a eu le lourd privilège d’être chargée d’empêcher
l’importation dans la capitale et dans les Détroits et leur
diffusion en Europe des maladies infectieuses et des mala¬
dies pestilentielles, qui la menaçaient de toutes parts. Elle
<7g LES ALLIÉS a CONSTANTINOPLE
fut puissamment secondée dans sa tâche par l’Administra¬
tion sanitaire ottomane des frontières, dirigée par des fonc¬
tionnaires intelligents, désireux de collaborer utilement avec
les Alliés, et auxquels il est juste ici de rendre hommage (1).
Le Service de santé militaire français prit une part prépon¬
dérante aux travaux de cette Commission, qui était pré¬
sidée par le Directeur du Service de santé du Corps d occu¬
pation français, et comprenait les conseillers sanitaires tech¬
niques des Hauts-Commissariats de France, de Grande-
Bretagne et d’Italie, des représentants des armées et des
marines alliées et d’un Représentant (l’Inspecteur général
en principe) de la Direction générale du Service sanitaire
ottoman des frontières ; pendant de longs mois, un repré¬
sentant grec et un représentant russe participèrent aux de-
libérations (2). ..
Cette Commission, qui succédait pour ainsi dire au Con-
-seil supérieur de santé ottoman, fonctionna à Constantinople
•du 24 mars 1919 au 27 Août 1923, date de la ratification
du traité de Lausanne par le Gouvernement d’Angora. Sié¬
geant, pendant plus de quatre années, chaque semaine et
quelquefois deux fois par semaine, toujours sur la breche,
défendant la cause de tous contre les intrigues ou les inté-
(1) Nous citerons les D r » Said-Bey, ancien directeur général, Fuad-
Bey et Rifaat-Bey, inspecteurs généraux de l’Administration samtair
Elle fut présidée successivement par M. le médecin-inspecteur
Fourni al, M. le médecin-inspecteur Clouard, M. le médecin principal de
ire c ] ass e Dejouany et, en dernier lieu, par M. 1^e medecm principal de
ire classe Vidal. Dans le courant de l’année 1922, elle comprenait le*
membres suivants : . . T t * r
Prof. G. Delamare, conseiller sanitaire technique du Haut-Lomîmesa-
riat de ta République française. , _ . . . -,
D 1 Clemow, conseiller sanitaire technique du Haut-Commissariat e
la Grande-Bretagne. # , , .
D r Hobson, représentant l’Armee britannique.
D r Smith, représentant la Marine britannique. .
D r Senni, conseiller sanitaire technique du Haut-Commissariat d
Royaume d’Italie. . . ..
D* Pabis, représentant l’Armée et la Marine italiennes.
D r Antoniades, représentant le Royaume de Grèce
D r Rifaat-Bey, inspecteur général de l’Administration sanitaire de*
frontières.
LA SANTÉ PUBLIQUE OTTOMANE
79
Têts particuliers, n’ayant en vue que la sauvegarde du pays,
forte de cette mission qui lui commandait d’être pour l’Eu¬
rope occidentale le barrage sanitaire protecteur, la Commis¬
sion interalliée maritime et des frontières a accompli,
dans l’union la plus parfaite, une belle œuvre qui
mérite d’être connue. (1) Son histoire, que nous voulons
(1) Les chiffres suivants, qui indiquent le nombre, la nationalité et le
le tonnage des navires ayant touché Constantinople pendant une année,
témoignent de l’activité que la Commission interalliée maritime des fron¬
tières et l’Administration ottomane des frontières ont dû déployer pour
assurer leur tâche.
Mouvement de la navigation à Constantinople
du 15 Septembre 1921 au 15 Septembre 1922
NATIONALITÉS
NOMBRE
DH
Navire*
TONNAGE
Anglais .
822
1.053.376
Italiens .
880
968.905
Hellènes .. .
2.703
638.5-88 |
Français.
1.224
598.331
Américains.
133
303.275
Hollandais.
111
160.820
Roumains...
158
157.767
Ottomans.*.
4.971
117.250
Bulgares. ..
119
82.709
Russes . ....
314
39.320
Belges .
25
37.074
Norvégiens .
37
31.962
Suédois ..
35
25.018
Serbes .
72
18.682
Allemands . ...
6
9.596
Diverses .
106
141.240
Total .
11.716
4.383.913
A titre d’indication ; pendant cette période, 564 navires (au total 1.055.757
tonnes) ont traversé les détroits
en transit.
80
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
esquisser à grands traits, se confond, en effet, avec celle des
épisodes qui ont caractérisé de 1919 à 1923 l'épidémiologie
du Proche-Orient ; dans cet exposé, nous nous inspirerons
souvent du tableau saisissant que M. le médecin principal
Vidal a tracé de ces événements, d’après les comptes-rendus
de la Commission Interalliée maritime et des frontières,
dans le discours remarqué qu’il prononça le jour où cette
Commission, dissoute, se réunissait pour la dernière fois.
Année 1919- — Au moment où la Commission s’est cons¬
tituée, le typhus exanthématique règne à Constantinople,
en Russie Méridionale et dans le bassin oriental de la Mé-
diterranée ; les services de Police sanitaire ottomans, un peu
désorganisés par quatre années de guerre, doivent se re¬
prendre. Les six premiers mois de l’année sont consacrés
à cette tâche et à l’organisation de la lutte contre le typhus :
mise en service des Offices sanitaires d’arraisonnement de
Kavak (Haut-Bosphore), de Tchanak (Dardanelles) et de
Galata (Constantinople), c’est-à-dire de la barrière sani¬
taire, imposée à tous les navires quels qu’ils soient, même à
ceux qui régulièrement y échappaient encore ; aménagement
des Lazarets de Touzla et de Monastir-Aghzy, en vue d’assu¬
rer l’épouillage des voyageurs, émigrés pour la plupart, la
désinfection des navires, des vêtements et des objets trans-
portés.
En été et en automne, le choléra éclate et se développe
rapidement en Russie méridionale ; les évènements poli¬
tiques qui se déroulent dans ce pays, où les Armées Rouges
refoulent Denikine, l’avènement en Anatolie d’un fort parti
militaire (Mustapha Kemal, chef), qui décide de s’opposer
par la force aux conditions subies par le Gouvernement
Turc officiel, les maladies épidémiques qui régnent un peu
partout dans ces régions (1) expliquent l’importance que
(1) D’après le rapport du Medical Relief Expédition il y aurait eu en
Russie de 1918 à 1922, 10 millions de cas de typhus exanthématique
officiellement reconnus, et vraisemblablement trois fois plus de cas réels
et probablement 15 à 20 millions de cas dejièvre récurrente. Quant au
LA SANTÉ PUBLIQUE OTTOMANE 81
1 émigration prend alors parmi toutes ces populations mal¬
heureuses et traquées, émigration qui a pour objectif prin¬
cipal Constantinople, et qui pendant plusieurs années ne
devait pas se ralentir, tout en affectant des formes et des
modalités diverses.
Aussi la Commission, en dehors des mesures sanitaires
habituelles, impose la vaccination anticholérique aux pas¬
sagers et aux équipages des navires, provenant des régions
contaminées ou suspectes, la désinfection des navires et
des objets transportés et même éventuellement une pé¬
riode de quarantaine. Les bateaux arrivant à Constantinople
doivent se présenter obligatoirement à l’Office sanitaire
de Galata ; ceux, qui transportent en Grèce des émigrés en
provenance du Bassin de la mer Noire, sont contraints de
franchir les Détroits en contumace.
En octobre, on signale à Constantinople un petit foyer
de peste ; grâce aux mesures prises (vaccination, dératisa¬
tion, arrêt des émigrations, etc...) le foyer reste localisé
et se limite à 25 cas. Il est probable que cette affection a été
importée par des rats pesteux d’Egypte, de Syrie, de Smyrne
ou de Salonique, où régnait alors la peste et où d’ailleurs elle
règne d une façon à peu près endémique. La Commission
doit (et ce ne sera pas pour la dernière fois) tenir tête aux
Compagnies de navigation, aux intérêts desquelles se heurte
inévitablement toute mesure rigoureuse de Police sanitaire ;
elle impose cependant son point de vue, l’appuie d’une échelle
de sanctions sévères, et consacre à leur règlement ses der¬
niers travaux de l’année 1919.
Année 1920- — Le médecin principal Randon et le mé¬
decin-major Juvin, qui ont été envoyés en mission en Russie
méridionale, rendent compte que le typhus exanthéma¬
tique fait des ravages effrayants dans toutes les classes de la
choléra, il commença au printemps de 1918 à Astrakan et se propagea
vers l’Ouest. Pendant la sévère épidémie de l’Ukraine, en 1921, on releva
officiellement 183.000 cas de cette affection (Seyparth Ztschr i Klin
Med., 1924, vol. 100).
Dejouany g
82
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
société. Tous ceux qui ont quelque argent cherchent à fuir
les épidémies et l’Armée Rouge, qui talonne les derniers
défenseurs de l’Ancien Régime. Les émigrés ne se contentent
plus d’essayer de gagner en grand nombre Constantinople,
ils cherchent à se déverser sur les pays balkaniques et même
par l’Autriche sur l’Europe occidentale ;« Paris est avisé du
danger ». (Vidal). Des mesures draconiennes sont prises
contre les navires, dont certains, le Bulgaria par exemple,
transportent des typhiques en pleine évolution ; on ouvre
un troisième lazaret à Sevri-Bournou, on en projette un
quatrième à Sinope, on impose des quarantaines, on isole
dans les lazarets les malades et les suspects ; enfin on de¬
mande, devant l’afflux toujours croissant des arrivages, un
camp d’isolement et de mise en observation, où 1 épouillage
et les désinfections nécessaires seraient opérés ; on propose
même, peut-être sans grand espoir de succès, de demander
aux Autorités soviétiques d’exiger que les émigrés soient
épouillés, avant leur départ en Russie.
Au printemps 1920, le typhus est en décroissance, mais
le choléra apparaît en Russie méridionale et dans 1 armée
Wrangel, principalement en Crimée et à Sébastopol, où il
s’étend rapidement, pour marquer une détente appréciable
en été. Des mesures rapides lui barrent une fois encore la
route de la Capitale. Mais, avec le mois de Juillet, la peste
est à. nouveau signalée dans ses foyers habituels du bassin
de la Méditerranée orientale et aussi à Batoum, où l’affection
paraît vouloir revêtir un caractère plus sévère. A Constanti¬
nople, 13 cas sont relevés à Selimié dans un camp de prison¬
niers de guerre, mais le foyer épidémique reste circonscrit.
L’année s’achève, en novembre 1920, sur la foudroyante
et formidable émigration de l’Armée Wrangel jetée à la mei
par les Armées Rouges, entraînant à sa suite tous ceux qui,
réfugiés en Crimée sous sa protection, fuient avec elle les re¬
présailles cruelles. Le Service de Santé militaire français
joue, à cette heure critique, un rôle de premier plan, tant pm
son action dans les conseils de la Commission interalliée
maritime et des frontières, que par la tâche qu il accom-
LA SANTÉ PUBLIQUE OTTOMANE
83
plit en recueillant et en hospitalisant des milliers de ces mal¬
heureux, Un chapitre spécial est consacré, dans ce travail,
à l’exposé de ce problème d’organisation sanitaire et à l’étude
des maladies épidémiques (choléra, peste, typhus, fièvres
typhoïdes, etc...), auxquelles les groupements d’émigrés
russes, dans les camps principalement, payèrent, fin 1920
et en 1921, un lourd tribut.
Année 1921. — L’exode Wrangel n’eut pas sur la morbidité
de la population de Constantinople et des Détroits et sur
celle des Troupes alliées l’influence fâcheuse qu’on pouvait
craindre, étant données les conditions hygiéniques déplorables
dans lesquelles cette émigration en masse s’était effectuée.
Aussi les premiers mois de 1921 ne se signalent-ils, en dehors
des groupements russes, par aucune manifestation épidémique
sérieuse. Le lazaret de Sevri-Bournou est supprimé, ainsi
que l’arraisonnement à Haidar-Pacha. En mai, de nombreux
réfugiés de Géorgie arrivent de Constantinople ; leur si¬
tuation sanitaire est suspecte. « L’Àmerican Relief)) installe
pour eux. dans les environs de Monastir-Aghzy, un camp
d’isolement. Par ailleurs, la bataille se développant en Ana¬
tolie, de nombreux habitants quittent l’Asie Mineure tou¬
jours à destination de Constantinople ; ce sont des Grecs
ou des Ottomans qui souvent sont transportés par cabotage,
en évitant tout contrôle sanitaire ; certains d’entre eux ont
été signalés comme atteints de typhus. L’attention des au¬
torités turques intéressées est appelée par la Commission
sur cette émigration clandestine « perlée », fort dangereuse ;
paquets par paquets, 50.000 émigrés se sont ainsi essaimés
dans la capitale ; on les regroupe dans des camps, soumis à
une surveillance étroite.
En juin, le choléra éclate à nouveau dans la Russie mé¬
ridionale et dans le Caucase ; en raison de l’imprécision des
renseignements sanitaires fournis par les Autorités sovié¬
tiques, on avait déjà par prudence, depuis plusieurs mois,
exigé une patente de santé de tous les navires provenant
des ports de la Mer Noire, en rapport d’affaires avec Cons-
g4 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
tantinople. On devint plus rigoureux et la Commission pres¬
crit, à l’arraisonnement de Kavak, non-seulement la vaccina¬
tion anticholérique des passagers et équipages des navires,
arrivant dans le Haut-Bosphore, mais encore le prélèvement
des selles pour la recherche des porteurs de vibrions. Les
équipages résistent à la vaccination ; on emploie la persua¬
sion et grâce à l’intelligente médiation de M. Fonzi, prési¬
dent de la Chambre maritime de Constantinople, on arrive
â faire comprendre aux équipages et aux Compagnies de
Navigation qu’il y a intérêt pour tous à se soumettre ; on
acceptera d’ailleurs des certificats de vaccination, ayant
moins d’un an de date et délivrés par des Autorités compé¬
tentes et offrant des garanties. Au surplus, les équipages
sont prévenus, qu’en cas de refus le fait serait consigne sur
la patente par le médecin arraisonneur, et qu’ils se ver¬
raient empêchés de débarquer à Constantinople. Certains
bâtiments passant de nuit les Dardanelles, à destination
de la Méditerranée, ne sont pas arraisonnés ; la Commission
consciente de la gravité de son rôle, qui est aussi de défendre
les Ports de la Méditerranée contre toute contamination
venant de Constantinople, juge dangereux que ces navires
échappent au contrôle sanitaire de Tchanak. Malgré l’oppo¬
sition inévitable des Compagnies maritimes, la Commission
résiste et obtient satisfaction.
A part quelques cas de peste, signales à Batoum, les der¬
niers mois de 1921 ne sont marqués par aucun épisode épi¬
démiologique important. Une surveillance sévère continue
à s’exercer sur les navires, en provenance du bassin de la
Mer Noire toujours suspecte, et en particulier des ports de
la Russie méridionale, l’administration soviétique se mon¬
trant plus discrète que jamais sur l’etat sanitaire réel du
pays. De nombreuses vaccinations sont pratiquées dans les
Lazarets, contre la peste, la variole et le choléra.
Année 1922. — Les mouvements d’émigration à desti¬
nation de Constantinople continuent, aussi actifs, pen¬
dant toute l’année 1922 que pendant les années précédentes
LA SANTÉ PUBLIQUE OTTOMANE
85
comportant toujours les mêmes dangers et entraînant tou¬
jours, en riposte immédiate, des mesures de défense et de
protection. La Commission ne chôme pas. Pendant les pre¬
miers mois de Pannée, ce sont d’abord des émigrés de Cilicie,
que le Haut-Commissariat de Syrie dirige sur Constanti¬
nople ; ils ont la variole ; on les vaccine, on les isole ; on de¬
mande au Gouvernement Syrien, et on obtient de lui que
cette vaccination soit imposée à tout émigré avant l’embar¬
quement. Bientôt après, on annonce des mouvements de
réfugiés israélites et de réfugiés grecs, venant de Russie, dont
la situation sanitaire reste trouble et suspecté ; les premiers
ont comme destination finale la Palestine, les seconds la
Grèce, mais tous ont de bonnes raisons pour s’arrêter à Cons¬
tantinople, où ils risquent de constituer un grave danger
pour la capitale. Des difficultés de tout ordre surgissent dès
qu’on propose de leur interdire l’entrée de la ville. Des né¬
gociations sont engagées avec le Comité Sioniste de Constan¬
tinople pour isoler les Israélites dans un camp, où ils atten¬
dront l’heure de regagner la Palestine ; il fallut trois mois
de conversations avec tous, pour enfin obtenir pour eux
les médiocres casernements de Roumeli-Kavak. Àh ! tout
est lent en Orient !
Quant aux réfugiés grecs, leur émigration prend en été
1922, en Juillet et en Août principalement, une extension
inquiétante ; la situation menace de devenir tout à fait
grave, le choléra faisant rage en Russie méridionale et
dans les ports de la Mer Noire où ils sont embarqués (Odessa,
Sébastopol, Novorossik, Batoum, etc...). Dès le mois de
Juin, des mesures avaient été déjà prises contre les navires
en provenance de ces localités (Désinfection et évacuation
des eaux potables du bord, des eaux de cale — vaccination
anticholérique des passagers et des équipages, non porteurs
d’un certificat de vaccination datant de moins d’un an et
délivré par une Autorité compétente offrant toute garantie
d’authenticité). Bientôt ces mesures doivent être renforcées ;
les passagers sans passeport sont retenus au Lazaret de
Monastir-Aghzy jusqu’à ce que le Laboratoire, ayant exa-
86 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
miné leurs selles, ait confirmé qu’ils n’étaient pas porteurs
de vibrions. Les passagers munis de passeport, quelle que
soit leur classe, sont soumis en ville à une surveillance mé¬
dicale de 5 jours ; le passeport leur est retiré et ne leur est
rendu que le 6 e jour, quand on s’est assuré que le titulaire
du passeport est resté bien portant. Quelques semaines plus
tard, ces mesures sont encore aggravées, dans ce sens qu’elles
ne seront plus seulement applicables aux provenances des
ports déjà infectés par le choléra( Odessa, Sébastopol, etc...),
mais à tous les navires indemnes provenant de la mer Noire,
étant entendu que ces mesures seront prises automatique¬
ment envers les navires suspects ou infectés, si le médecin
arraisonneur de Kavak le juge opportun, après contrôle des
livres du bord et de la patente de santé.
Fin juillet, on annonce le départ prochain, de Russie mé¬
ridionale et des ports anatoliens de la mer Noire, de 12.000
réfugiés grecs à destination de la Grèce ; mais la Grèce fait
connaître officiellement qu’elle neles recevra pas. On nepeut
cependant songer, sans courir de très gros risques,' à accepter
à Constantinople, même momentanément, des passagers
provenant de navires qui arrivent suspects ou contaminés.
Par ailleurs, cette émigration se fait dans des conditions ma¬
térielles honteuses ; des armateurs indignes, préoccupés
seulement de gains élevés, parquent ces malheureux sur
les navires, comme des bêtes de boucherie. Le Thémis arrive
de Novorossik à l’office de Kavak au commencement de
septembre 1922 ; il est équipé pour 400 passagers, il en
porte 4.585 et son équipage ne comporte que 28 hommes pour
une telle masse ; il y a à bord 62 décès pour choléra et typhus.
Le navire est aux portes mêmes de Constantinople ; d’autres
navires suivent.
La Commission interalliée maritime et des frontièrés fait
un effort désespéré ; elle prescrit d’abord l’application in¬
tégrale des mesures sanitaires déjà imposées (3.000 passa¬
gers du Thémis sont vaccinés contre, le choléra par le La¬
zaret). Puis elle adresse aux Hauts-Commissariats la propo¬
sition draconienne de refuser l’entrée du Bosphore à tout
LA SANTÉ PUBLIQUE OTTOMANE
87
navire transportant de Russie des émigrés ou des masses
analogues ; elle prescrit en même temps d’imposer aux na¬
vires, en provenance des ports contaminés de la Mer Noire,
une quarantaine de 5 jours pleins, soit à bord, soit à terre,
suivant les possibilités, à partir du jour de l’arrivée à Kavak,
si le navire est indemne ; si le navire n’est pas indemne,
ou bien si on découvre à bord des porteurs de vibrions cho¬
lériques, cette quarantaine sera prolongée de cinq jours à
partir de la date de l’isolement du dernier cas de choléra
ou du dernier porteur de vibrions, et ainsi de suite. Les na¬
vires n’obtiennent la libre pratique qu’après l’exécution de
ces mesures quarantenaires, qui dès Septembre sont impo¬
sées même aux passagers de classe, transportes avec les
émigrés sur des navires d’émigrés ou de masses analogues.
Ces mesures d’ordre technique sont complétées par des me¬
sures administratives à l’adresse des armateurs qui, comme
ceux du Thémis y seraient enclins à s aifranchir de leurs obli¬
gations morales • des propositions dans ce but sont adressées
aux Hauts-Commissariats de Grande-Bretagne, d Italie et
de France, seuls qucdifiés pour les prescrire. Une conférence
générale a lieu à Thérapia en présence des Hauts-Commis¬
saires, entre leurs conseillers techniques sanitaires et les
représentants militaires et civils des Puissances Alliées* le
Directeur du Service de Santé du Corps d’Occupation Fran¬
çais y expose la gravité de la situation, le point de vue de la
Commission au nom de laquelle il parle, la nécessité de ne
pas se laisser circonvenir par des intérêts particuliers peu
recommandables et de prendre toutes mesures, mêmes les
plus graves, en vue de protéger le vilayet de Constantinople
et les Troupes alliées contre une épidémie éventuelle de
choléra, en faisant cesser l’émigration sous cette forme, si
elle devait se prolonger avec cette intensité. Un compromis
acceptable pour tous est adopté, la Grèce se montrant moins
intransigeante. Bien que la Commission n’ait pas obtenu
tout ce qu’elle demandait, elle obtient assez pour espérer
ainsi écarter tour danger immédiat. Au surplus, fort à pro¬
pos, pendant le dernier trimestre, une détente se produit ;
88
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
l’importance du mouvement des navires à émigrants se
ralentit, et la situation sanitaire des ports de la Mer Noire,
suivant une observation constante, s’améliore très sensible¬
ment à l’approche de l’hiver.
Année 1923. — Cette année 1923 est caractérisée par
l’exode massive des émigrants grecs d’Anatolie qui, après
s’être considérablement ralentie en octobre et en novembre
1922, reprend vers la fin de 1922, pour devenir inquiétante
pendant le premier semestre 1923, en raison du typhus
exanthématique, de la variole et du choléra qui font nombre
de victimes dans leurs rangs.
La Commission interalliée maritime et des frontières
s’efforce de prendre toutes dispositions que commande la
gravité de la situation : sans modifier les mesures déjà im¬
posées aux provenances des ports contaminés de la Russie
méridionale (Odessa, Sébastopol, Novorossisk), elle prescrit
que les navires provenant des ports anatoliens de la mer
Noire, transportant des émigrés, traverseront les Détroits
sous surveillance sanitaire ; s’ils ont à transborder, cette
opération devra s’effectuer sans retard à Kavak ; les émi¬
grés se trouvant à bord, ne pourront ni débarquer, ni com¬
muniquer avec la terre, et devront y séjourner jusqu’à
l’accomplissement de cette mesure ; les passagers ordinaires,
voyageant à bord de tels navires et autorisés à débarquer à
Constantinople, seront conduits en ville au moyen d’embar¬
cations fournies par les Agences de navigation qui ont affrété
les navires à bord desquels ils auront voyagé, et ce après
avoir été débarqués au Lazaret de Kavak, où ils seront sou¬
mis à l’épouillage, à la vaccination anticholérique et où les
désinfections nécessaires seront pratiquées. Aux provenances
des ports contaminés de la Grèce (Le Pirée, Corfou, Salo-
nique) sera imposée la visite médicale et, si c’est nécessaire,
la désinfection et l’épouillage.
Au milieu de l’année 1923, Constantinople est obligée
de se défendre contre le choléra, le typhus et la variole qui
l’enserrent, comme une proie désirée. En mai 1923, les me-
LA SANTÉ PUBLIQUE OTTOMANE 89
sures précédentes sont appliquées aux navires provenant
des ports de la Marmara, puis elles sont aggravées de dis¬
positions nouvelles : quelle que soit leur provenance, tous
les navires à émigrés débarqueront ces derniers et les hommes
d’équipage dans un des lazarets de Touzla ou de Monastir-
Aghzy, en vue d’y subir l’épouillage et la vaccination an¬
ticholérique, et d’y pratiquer les désinfections prescrites.
Les navires seront désinsectisés, si c’est possible ; sinon ils
seront désinfectés chimiquement. Après l’application de ces
mesures, les navires de cette catégorie seront consignés à
la surveillance des Autorités Policières, lors de leur arrivée
dans le port de Constantinople. En juin, juillet et août
1923, la Commission interalliée complète encore ses déci¬
sions, de façon à ne laisser aucune porte ouverte à la fraude ;
elle règle la question des navires provenant des ports con¬
taminés de Russie et qui, relâchant dans des ports indemnes
de la Mer Noire, ne se présentent que 21 jours au moins
après leur départ de Russie ; elle prescrit que les navires,
provenant de la Mer Noire et de la Méditerranée et ayant
accompli les opérations sanitaires aux Offices de Kavak
et de Tchanak, devront à leur arrivée à Constantinople se
rendre à l’office sanitaire de Galata, pour y subir l’arrai¬
sonnement et y recevoir la libre pratique ; la même forma¬
lité est imposée aux navires provenant de la Marmara, qui
se présenteront à l’Office de Galata ou à celui de Yéni-Ka-
pou.
L’effort accompli, au cours de cette année 1923, par la
Commission fut considérable ; les services qu’elle rendit
méritent d’être relevés, en dépit des difficultés que lui créa^
dans l’ordre politique, après la victoire kémaliste, la nou¬
velle organisation administrative ottomane du vilayet de
Constantinople. Son autorité, c’est certain, avait souffert
de l’emprise turque sur les rouages des Organisations Sa¬
nitaires et ce fut fâcheux, car malgré elle, dans l’hiver 1923,
25.000 réfugiés grecs d’Anatolie se trouvèrent disséminés dans
des camps, à l’intérieur de la Capitale et aux environs de
la Ville. Les conditions hygiéniques de leur existence sont
90
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
lamentables ; la mortalité est effrayante dans leurs rangs,
500 à 600 décès par semaine. Aussi, devant cette situation
angoissante pour la santé de Constantinople et celle des
Troupes Alliées, les Hauts-Commissaires de Grande-Bre¬
tagne, d’Italie et de France décident de constituer une Com¬
mission spéciale , dite des Réfugiés grecs , chargée de prendre
en mains, sous la présidence de M. le médecin principal Vidal,
Directeur du Service de Santé français, l’organisation
du secours à apporter et de la défense sanitaire à constituer.
Au labeur de cette Commission, qui fut riche en résultats
féconds, participent la Croix Rouge grecque, le Croissant
Rouge (professeur Akil-Mouktar Bey), le « Near East Re¬
lief » qui avait déjà pris en charge le ravitaillement des ré¬
fugiés Grecs, enfin les Corps d’occupation alliés et plus par¬
ticulièrement le Corps Français, dont le Service de santé
s’efforce d’apporter une aide utile en mettant du matériel
d’hospitalisation, de couchage, de désinfection, etc... à la
disposition de la Commission pour l’aménagement des Camps
installés en dehors de Constantinople à Selimié et à San
Stefano.
Des résultats encourageants suivirent ce premier effort
concerté, mais les ressources matérielles et pécuniaires man¬
quaient. En avril 1923, la Société des Nations intervint,
et, sous l’impulsion de son très distingué délégué M. Childs,
elle accomplit, avec ses moyens puissants, une œuvre ma¬
gnifique. La situation changea bientôt de face et le camp de
San Stéfano devint un camp modèle. Ce camp qui, en Avril
1923, au moment où M. Childs en prit la direction, conte¬
nait 2.000 réfugiés, en compta 7.000 en juillet. « Et pour¬
tant malgré cette augmentation progressive du nombre des
« habitants, le fonctionnement des camps se fit toujours
« d’une façon parfaite, sans à coup ; et l’état sanitaire ne
«cessa pas de s’améliorer. Le typhus et la variole avaient
« presque complètement disparu à la fin du mois de Mai et
« pendant les mois suivants la fièvre typhoïde y a été inconnue,
« grâce aux vaccinations antityphoïdiques pratiquées dès
« le début de l’été ; la dysenterie ne s’y est manifestée que
LA SANTÉ PUBLIQUE OTTOMANE
9i
« par quelques cas, grâce aux mesures d’hygiène rigoureuses
« prises pour en prévenir la dissémination .....
i • ..
« Aussi le bien-être et la santé sont-ils revenus très vite
« parmi les réfugiés, ainsi que l’indiquent d’une façon sai-
« sissante les chiffres suivants : alors qu’au mois d’avril avec
« 2.000 émigrés il y avait 80 à 85 décès par semaine, un
« mois après avec 4.000 réfugiés le nombre hebdomadaire
« de décès était de 20 à 25 par semaine et fin juillet pour
« 7.000 réfugiés le nombre de décès par semaine n’était plus
« que de 5 à 8 par semaine ; certains mouraient d’ailleurs
« pour la plupart de misère physiologique irrémédiable (1). »
C’est là une leçon de choses profitable à tous et qui montre
ce que peut faire l’Hygiène bien comprise, maniée par des
hommes instruits et décidés.
Cette Commission, dite des Réfugiés grecs, tint sa der¬
nière séance le 24 août 1923 ; trois jours après la Commis¬
sion interalliée maritime et des frontières clôturait à son
tour ses travaux. Le Traité de Lausanne faisait passer entre
les mains nationales tout le poids de l’Organisation sani¬
taire du pays (2) ; le rôle des Alliés était terminé.
Si l’on veut bien rapprocher les indications données dans
un chapitre précédent sur l’hygiène, la mortalité et la
morbidité de Constantinople, de l’exposé que nous venons
de faire de l’organisation bonne, robuste et bien comprise
de la Santé publique ottomane, on sera peut-être surpris
que les résultats obtenus par elle n’aient pas été pratique¬
ment meilleurs, malgré la valeur des hommes qui sont
à sa tête. C’est que ces hommes se heurtaient, dans
l’accomplissement de leur programme, à de multiples diffi-
(1) Médecin principal Vidal. Rapport à M. le délégué de la République
française à la Société des Nations (Section d’Hygiène) à Genève (août
1923).
(2) Aux termes de la déclaration signee le 24 juillet 1923 a Lausanne
par les Plénipotentiaires turcs, l'Administration sanitaire des frontières
s’adjoindra, pour une durée de cinq années, trois médecins spécialistes
européens comme conseillers techniques. Ces médecins seront des fonc¬
tionnaires turcs et dépendront du Ministre de la Santé.
92
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
cultés : insouciance hygiénique des habitants, gêne maté¬
rielle d’un pays appauvri par dix années consécutives de
guerre, et surtout inapplication des règlements sanitaires,
par carence des autorités chargées de les imposer. Une per¬
sonnalité ottomane, fort avertie en la matière, nous disait
en 1922 à peu près ceci : « Pour remédier au mal existant, il
faut d’abord libérer de sa tutelle le Ministère de l’Hygiène,
qui dépend du Ministère de l’Intérieur, lui donner un chef
indépendant et compétent. Puis, et c’est là le désideratum
le plus important à formuler, il faut faire que les lois et les
règlements promulgués pour la protection delà Santé pu¬
blique ne restent pas lettre morte ; tant que les règlements
sanitaires ne seront pas rigoureusement observés, l’organi¬
sation même la plus perfectionnée restera quasi impuis¬
sante. Les délits sanitaires doivent être poursuivis, en sui¬
vant une procédure plus simple et surtout plus rapide qu’elle
ne l’est actuellement ; les sanctions doivent être rigoureuses.
Le Ministère de l’Evkaf (Ministère des fondations pieuses),
qui a sous son autorité en grande partie l’alimentation en
eau potable de la Capitale, l’Administration de tous les ci¬
metières musulmans, de certains hôpitaux et de plusieurs
écoles, doit céder ces institutions, intimement liées à la Santé
publique, à un Département ministériel, plus entendu, mieux
armé en personnel et en matériel techniques, je veux dire
le Ministère de l’hygiène, libéré. $>
Il appartient à la jeune République Ottomane, avide de
réformes, de réaliser ce beau programme d’hygiène publique,
si indispensable à la santé de Constantinople : elle ne manque
pour cela ni d’administrateurs résolus, ni d’hygiénistes de
talent.
CHAPITRE IV
Le Service de Santé du Corps d’occupation français
SES MOYENS. SON FONCTIONNEMENT
L’organisation du Service de santé, les moyens dont il
disposait et les modalités de son fonctionnement avaient
été adaptés aurôle d’occupation qui, dans le cadre que nous
connaissons bien maintenant, incombait à ce Corps d’armée,
fort de 9 à 10.000 hommes, répartis en 2 groupements
principaux ; celui de Constantinople, Makrikeuy, Sas Stefano,
Hademkeuy, Tchataldja et celui de Gallipoli, Kilid-Bar,
Sebd-Ul-Bahr.
I. LES MOYENS
1° Le personnel. — La Direction du Service de santé du
Corps d’occupation a été assurée d’abord par un Médecin-
Inspecteur, puis par un Médecin principal de l re classe
ayant les attributions, prévues par le Règlement sur le Ser¬
vice de santé en campagne, de directeur du Service de santé
d’un Corps d’armée opérant isolément ; un médecin-major
et un officier d’Administration (deux au début) lui étaient
adjoints.
Le Directeur avait sous ses ordres immédiats un médecin
principal, remplissant les fonctions de médecin divisionnaire ;
cet officier supérieur était médecin-chef de la Place de Cons¬
tantinople et du Centre Hospitalier, chefferie étendue aux-
94
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
formations de la banlieue de la Capitale (Makrikeuy, Mal-
tépé, Ramis, San Stefano) ; il était également chargé de
transmettre aux Médecins-chefs des Hôpitaux et des Corps
de troupe du Corps d’occupation, éventuellement avec ses
prescriptions personnelles, tous documents, notes ou ins¬
tructions provenant du Commandement ou de la Direction
technique ; de même, il centralisait pour les transmettre
au Directeur, avec ses observations et ses propositions,
les situations périodiques et les rapports des hôpitaux et
des Corps de troupe, ainsi que toutes les questions qu’il ju¬
geait opportun de soumettre à la décision du Directeur.
Le personnel officier du Corps d’occupation comprenait
20 à 25 médecins, dont 4 ou 5 de l’Armée coloniale, deux
pharmaciens (réduits à la fin à un seul), chargés de la phar¬
macie de l’hôpital de base et de la gestion de la Réserve de
médicaments, enfin d’un nombre variable d’officiers d’ad¬
ministration, 8 au début, 5 seulement au cours de la der¬
nière année du séjour.
Le personnel infirmier, groupé en une Section de Marche et
administré par elle, appartenait à la 33° section d’infirmiers^
dont il constituait le « Détachement du Corps d’occupation
français » sous le commandement d’un officier d’administra¬
tion de 2 e classe. Son effectif théorique était fixé à 180 ;
mais il atteignit rarement ce chiffre ; en moyenne il fut de
10 sous-officiers, 15 caporaux et 135 hommes, soit au total
160 à l’effectif.
Cette question du personnel subalterne fut, pendant la
durée de l’occupation, un objet de préoccupations constantes
pour les chefs. Le Service de santé disposa rarement du
nombre d’infirmiers, qui lui aurait été nécessaire. Pour des
raisons diverses, économies à réaliser, difficultés éprouvées
par la Métropole pour faire face à tous les besoins en per¬
sonnel non-seulement sur son territoire, mais dans les pays
rhénans, au Maroc, à l’Armée du Levant... etc, défections
survenues avec l’embarquement dans les détachements dé¬
signés pour le Corps d’occupation (maladies, inaptitudes,
mutations diverses), les renforts arrivaient fort diminués.
95
LE SERVICE DE SANTÉ DU CORPS D OCCUPATION
par rapport au chiffre annoncé. Encore débarquaient-ils
plusieurs semaines après que les hommes libérables, qu ils
étaient destinés à remplacer, avait été renvoyés dans leurs
foyers, où ils avaient à jouir de leur permission normale de
détente avant d’être libérés. C’était là une complication
supplémentaire, dont les effets se faisaient durement sentir
dans les formations, qui étaient mises delà sorte pendant un
temps assez long après chaque rapatriement de contingent,
dans l’impossibilité de réaliser la soudure. La maladie avait
tôt fait d’augmenter les vides parmi les nouveaux anivés.
La médiocre qualité des renforts ne faisait qu’aggraver
les difficultés résultant de cette situation. Le niveau intel¬
lectuel de beaucoup d’hommes envoyés comme infirmiers
laissait fort à désirer; il se trouvait parmi eux des illettrés ;
beaucoup d’autres avaient une instruction trop rudimen¬
taire, pour pouvoir s’employer aussi utilement qu il 1 aurait
fallu dans les services auxquels ils étaient affectés ; eussent-
ils été capables d’ailleurs de développer leurs connaissances
professionnelles, qu’il eût été impossible de les soumettre
à une préparation spéciale, en raison de la brièveté du séjour
qu’ils effectuaient au Corps d’Occupation, séjour qui va¬
riait entre 8 et 10 mois. Les sujets moins frustes, plus ou¬
verts ou à instruction moyenne, suffisaient à peine à occuper
tous les postes de secrétaires, comptables, infirmiers de
visite, téléphonistes, plantons, ravitailleurs, dépensiers, etc...
Il faut noter enfin que les renforts comptaient toujours une
trentaine d’infirmiers Arabes, qui étaient juste aptes à
faire des manutentionnaires. Le commandement s em¬
ploya de son mieux à combler les lacunes provenant delà
pénurie de personnel, en mettant à la disposition du Service
de Santé des hommes prélevés dans les Corps de troupe. Il
s’agissait là plutôt d’un appoint de bras, d’hommes de corvée,
et non d’infirmiers véritables capables de se rendre utiles à
des malades. Par ailleurs, il fut procédé, dans les limites des
disponibilités budgétaires, à l’embauchage de quelques in¬
firmières recrutées dans la ville, principalement dans
la colonie émigrée russe, et qui venues renforcer nos
96
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
infirmières des hôpitaux militaires, au dévouement des¬
quelles il est juste de rendre ici un hommage mérité. Il
n’en est pas moins vrai que nos formations sanitaires éprou¬
vaient, à l’occasion des périodes d’activité, des embarras
autrement sérieux que dans la Métropole, où des difficultés
soulevées par des problèmes de ce genre peuvent, le plus sou¬
vent, être atténuées à l’aide de ressources, qu’il est malaisé
de se procurer en pays étranger.
Toutes ces difficultés n’ont pas été, nous le savons bien,
particulières au Corps d’Occupation de Constantinople ; le
Service de Santé les a éprouvées partout à l’époque dont nous
parlons. Si nous les signalons ici avec quelques détails, c’est
qu’il se dégage toujours de faits semblables un enseignement
utile à tous, et dont nous devons tous faire notre profit.
2° Les Formations sanitaires. — De toutes les formations
qui existaient à la fin de 1920, époque à laquelle l’Armée
d’Orient, regroupée et remaniée, devint « Corps d’occupa¬
tion de Constantinople », deux seulement furent conservées
à l’usage des troupes françaises : l’hôpital de Gul-Hané et
l’hôpital Giffard, dont les ressources, dans le courant de
1922, s’accrurent de moyens nouveaux, par suite de la créa¬
tion à Maltépé de l’infirmerie-ambulance Corroy. Nous ne
parlerons pas ici naturellement des hôpitaux de circons¬
tance, qui durent à ce même moment et pendant plusieurs
mois être ouverts pour recevoir les réfugiés russes de l’Armée
Wrangel ; nous aurons l’occasion d’y revenir longuement dans
le chapitre consacré à l’exode russe.
a) Hôpital de Gul-Hané . — (La Maison des Roses). C’était
un ancien orphelinat, dans lequel était installée, avant la
guerre, depuis 1875, l’Ecole d’application du Service de
santé militaire turc. Il avait été mis à la disposition du
Service de santé français, en janvier 1919, au moment où
l’armée d’Orient avait fixé son Quartier Général à Constan¬
tinople. Pendant la guerre, il avait été occupé par les Alle¬
mands. Situé dans un des quartiers les plus pittoresques de
Stamboul, en bordure de la mer et de la voie ferrée suivie
LE SERVICE DE SANTÉ DU CORPS D’OCCUPATION 97
par TOrient-Express, il comprend 3 corps de bâtiments dans
lesquels étaient organisés 352 lits, se répartissant de la façon
suivante :
Service de médecine générale. 68
» des contagieux. 40
» des paludéens et dysentériques. 50
» de chirurgie. 160
» des officiers. 34
La grande terrass.e, qui borde le bâtiment le plus rapproché
de la mer, était un lieu de repos recherché de nos convales¬
cents, qui pouvaient y contempler, sous la douce caresse de
la brise marine, un panorama unique au monde, embrassant
l’entrée du Bosphore, la mer de Marmara, les îles des Princes,
la rive d’Asie avec Scutari et Haïdar-Pacha.
D’incessants travaux, poursuivis dans ce vieil hôpital par
le Service de santé français, permirent d’améliorer l’amé¬
nagement de tous les services ; on réalisa, en particulier
dans les salles réservées au Service de chirurgie, et grâce
aux efforts des médecins-majors Clavelin et Mouchet, une
installation qui répondait à toutes les exigences de la chirur¬
gie moderne, et passait à juste titre pour la plus parfaite de
Constantinople. A ce service était annexé le service de Ra¬
diologie et d’Electrologie du Corps d’Occupation, Le labo¬
ratoire de Bactériologie était également installé dans l’Hô¬
pital, dans les locaux de l’ancien Laboratoire de l’École
d’application du Service de santé militaire turc ; il était fort
bien outillé et fonctionna avec activité sous l’impulsion
des médecins-majors Pauron et Robert.
Un service dentaire, assuré par un dentiste civil conven¬
tionné, aidé d’un mécanicien militaire fourni par la Section
d’infirmiers, fonctionnait enfin dans des locaux annexés
à l’Hôpital. Les militaires, justiciables de soins dentaires
ou de prothèse et appartenant à des garnisons éloignées du
Centre Hospitalier, étaient mis en route par les soins de leurs
Corps sur Constantinople, pris en subsistance dans les Unités
stationnées à côté de l’Hôpital pendant la période de leur
7
Dejouany
98
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
traitementet renvoyés ensuite à leur Unité d’origine. Les
mouvements de garnison à garnison étaient soigneusement
réglementés et surveillés ; ils avaient lieu périodiquement
à des dates fixées à l’avance.
b) Hôpital Giffard. — L’hôpital Giffard est depuis 1896,
date de sa construction, un hôpital français dépendant du
Ministère des Affaires Etrangères, destiné aux membres de
la Colonie française de la capitale et aux marins de passage.
De nombreux blessés turcs y furent soignés pendant les guerres
balkaniques. Pendant la Grande Guerre, il fut réquisitionné
pour les besoins de l’armée turque. Le Service de santé fran¬
çais s’ÿ installa après l’Armistice, et l’utilisa pour les besoins
de nos troupes de terre et de mer. C’est un Hôpital confor¬
table, très coquettement construit, avec façade sur la grande
rue de Péra. Il comprend, en plus des salles de médecine, une
installation chirurgicale complète avec salle de radiogra¬
phie. Dans le plan d’organisation générale, cette installation
chirurgicale fut mise en « sommeil » ; la formation fut ré¬
servée aux malades non contagieux des unités militaires et
des marins, stationnés dans les quartiers européens de Cons¬
tantinople ; des chambres très confortables y furent amé¬
nagées pour les officiers et, par autorisation spéciale du
Général Commandant, pour les femmes de militaires (offi¬
ciers et sous-officiers) qui y venaient faire leurs couches ;
au personnel de l’établissement composé de quatre sœurs
de Saint-Vincent de Paul, furent adjoints une vingtaine
d’infirmiers militaires et 1 sage-femme. La direction de la
formation fut confiée à un médecin-major de l re classe, et
la gestion à un officier d’administration du Service de santé.
Après le départ du Corps d’occupation, M.le médecin-major
Mouchet, professeur à la Faculté de médecine de Constan¬
tinople, y a installé un dispensaire bien achalandé et fort
actif ; il y poursuit avec bonheur son œuvre, qui est de
faire aimer notTe Pays à l’Étranger.
Depuis l’incendie qui l’avait privé de ses locaux, le Consu¬
lat général de France avait installé ses bureaux dans un pa¬
villon de l’hôpital, dont la capacité se trouvait ainsi réduite
LE SERVICE DE SANTÉ DU CORPS D OCCUPATION 99
ii 80 lits. A plusieurs reprises, le Consulat réclama la cession
entière de la formation. Le Service de Santé eut chaque fois
à défendre avec énergie son droit aux locaux qui lui étaient
restés affectés, notamment au quartier des officiers et des
femmes de militaires qu’il ne pouvait loger, faute de cham¬
bres convenables, dans les vieux bâtiments de Gul-Hane.
Par ailleurs, l’hôpital Giffard constituait une réserve pré¬
cieuse, en prévision de besoins éventuels à satisfaire (opé¬
rations militaires, épisodes épidémiologiques).
c) Infirmerie-Ambulance Corroy. — Cette formation fut
créée en Mai 1922, sous des baraquements contigus à la ca¬
serne de Maltépé, dans la banlieue immédiate de Constan¬
tinople, à 2 kilomètres des murailles (Porte-Top-Kapou).
Ces baraquements avaient servi de dépendances à l’hôpital
de contagieux, qui avait fonctionne dans la caserne en 1920
et une partie de 1921. Lors de la suppression de cet hôpital,
ils constituèrent une infirmerie de garnison pour les troupes
d’infanterie venues occuper la caserne Maltépé, et les Uni¬
tés d’artillerie casernées au quartier tout proche de Ramis.
Ces baraquements furent remis en état, complétés, ordonnés,
en vue de les utiliser comme infirmerie-ambulance ; le nom
de « Corroy » fut donné à cette formation sanitaire en sou¬
venir du médecin-major Corroy, mort en janvier 1921 de
typhus exanthématique, contracte au chevet de ses malades
à l’hôpital de Sélimié. Elle ouvrit ses portes le 20 mai 1922,
avec 80 lits dont le nombre fut porté par la suite à 110. Elle
continua à recevoir les petits malades des garnisons de Ramis
et Maltépé ; mais un service spécial y fut ouvert bientôt, dans
lequel furent réunis les malades du Corps d Occupation^
atteints d’affections cutanées et vénériennes. Un médecin,
major, secondé d’un sous-officier faisant fonction de Gestion¬
naire et de 14 infirmiers, fut chargé de sa direction.
Cette formation fonctionna jusqu’à la dissolution du Corps
d’Occupation et rendit, comme on le verra, les plus précieux
services.
d) Infirmeries Régimentaires. — Chaque unité ou chaque
groupement d’unités disposait d’une petite infirmerie régi-
100
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
mentaire ; pendant longtemps elles ne furent que des postes^
de secours de quelques lits ; plus tard, ainsi qu’il sera dit
plus loin, elles furent développées comme capacité, et grou¬
pées en vue de constituer des organes de traitement véri¬
tables.
e) Réserve de médicaments et Réserve de matériel sanitaire.
L approvisionnement en médicaments, objets de panse¬
ment et matériel des formations sanitaires et des Infirme¬
ries Régimentaires du Corps d’Occupation était assuré par
la Réserve de médicaments et par la Réserve de matériel
sanitaire, installées dans des baraquements situés à proxi¬
mité de 1 Hôpital de Gul-Hane. Ce sont ces deux réserves
qui furent chargées de liquider, dès 1921, les stocks de mé¬
dicaments et de matériel provenant des deux armées dé¬
rivées de l’Armée d’Orient, l’Armée de Hongrie et l’Armée
du Danube. Les matériels ou médicaments, qui existaient
en excédent des besoins présumés d’une année pour l’effectif
du Corps d’Occupation, furent suivant les directives du
Ministre expédiées soit à la Métropole, soit au Levant.
C’est ainsi que la Réserve de médicaments adressa :
1® A la Pharmacie Centrale d approvisionnement de Mar¬
seille, à la Pharmacie Centrale de l’Armée, à la Station-Ma¬
gasin de St-Cyr, 335 caisses d’un tonnage total de 23 tonnes
environ et d’une valeur de plus de 2 millions de francs.
2<> A l’Armée du Levant, 429 caisses, soit 31 tonnes d’une
valeur de plus d’un million.
La Réserve de matériel expédia de son côté : en France,
28 tonnes de matériel d’une valeur de 290.000 francs, à
l’armée du Levant 4 tonnes d’une valeur de 80.000 francs.
Nous avons tenu à citer ces chiffres qui donnent une idée
du travail considérable de liquidation auquel, pendant de
longs mois, se consacrèrent la Réserve de médicaments et
la Réserve de matériel sanitaire du Corps d’Occupation.
Ces Réserves furent constamment et très exactement
approvisionnées par la Métropole. Il n’y a eu à ce point de
vue aucun heurt ; seuls quelques vaccins durent être em¬
pruntés à l’Institut Pasteur de Constantinople, au moment
101
le service de santé du corps d’occupation
où il y eut de très nombreuses vaccinations à pratiquer chez
les Russes de Wrangel, mais ce ne fut que passager.
3° Le Budget. — Les ressources budgétaires, mises à la
disposition du Directeur du Service de Santé du Corps d’Occu-
cupation Français se sont traduites pour les années 1921,
1922 et 1923 par les chiffres suivants (chapitre E-22, para¬
graphe 10) :
1921
1922
1923
Pprunnnftl Civil
642.900
150.000
150.000
Frais de traitement de malades
1.018.000
963.300
963.000
Matériel, médicaments, panse-
198.000
225.000
225.000
Location d’immeubles et répa-
90.000
40.000
40.000
Total.
1.948.000
1.378.300
1.378.300 I
- '1
Ces ressources, maniées avec sagesse et économie, ont
suffi, et au-delà, à tous les besoins : elles n’ont même pas
été utilisées intégralement en 1921 et 1922 tout au moins ;
il y a lieu d’ajouter que les projets de budget, établis par le
Directeur du Service de Santé du C. O. F. C. pour 1922 et
1923 ne comportaient qu’une somme totale de 1.197.000
francs pour 1922 et de 1.220.950 pour 1923. Le paragraphe
« Frais de traitement » est celui qui prévoit le crédit le plus
élevé en raison de sa nature spéciale d’abord, en second lieu
parce’ que les militaires du C. O. F. C., traités dans les hôpi¬
taux militaires de France, d’Algérie ou de Tunisie, Vêtaient
à charge de remboursement par le budget du C. O. F. C. ; il
y avait même là une quasi impossibilité pour le Directeur
de « suivre son budget » car, n’étant pas mis au courant des dé¬
penses engagées pour ses militaires hospitalisés hors du Corps
d’occupation, il ne pouvait établir une balance convenable
-entre son doit et son avoir. Pour le budget de 1923, le crédit
102
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
demandé avait été basé sur une moyenne d’hospitalisés pré-'
sents de 300 environ, et sur le chiffre de 7 francs comme prix
moyen de la journée d’hôpital.
II. FONCTIONNEMENT GÉNÉRAL
Le Service de Santé du Corps d’Occupation a fonctionné,
a ord et pendant de longs mois, suivant les dispositions
du Règïemen 1 ; sur i e Service en campagne de 1910 ; mais la
stabilisation prolongée de nos troupes, ou du moins d’une
partie d’entre elles, justifia l’application des dispositions
u Service de Santé à l’intérieur au fonctionnement du ser¬
vice dans les garnisons et dans nos formations sanitaires.
Pour les périodes d’activité militaire on adopta, suivant les
circonstances, une organisation « atypique », mais souple
et conforme aux besoins du moment.
Quelques points, relatifs au fonctionnement général du
service, méritent de retenir l’attention.
La Direction. — L’action directoriale a été très centra¬
lisée. Est-ce un bien, est-ce un maP? Tout dépend, c’est cer¬
tain, du caractère du chef, de sa conception du commande¬
ment, de ses méthodes de travail et, il faut le dire, de sa vi¬
gueur intellectuelle et physique. Quand elle peut être réali¬
sée, il y a profit pour tous ; l’impulsion qui vient d’en haut
est alors réelle et effective ; la réalisation du programme, que
tout chef doit s’imposer en prenant des fonctions nouvelles,
est poursuivie dans le détail par celui-là même qui l’a établi’
d après ses directives et ses conseils, sous son contrôle in¬
cessant ; il y a un travail en commun, dont la valeur n’échap¬
pe pas même aux plus petits. Chacun dans sa sphère d’ac¬
tion personnelle sait où il va, jusqu’où il a le droit d’aller,
assuré en toutes circonstances de trouver à sa tête le Chef
ienveillant, mais décidé, conscient de ses responsabilités
et les acceptant avec courage. Il en résulte une action asso¬
ciée, menée par tous d’après un plan commun vers un but
„ SERVICE OE SANTÉ .C CORPS ^OCCUPATION
m
commun. Les résultats obtenus ne sauraient etre douteux.
Zis l’autorité du Chef d’un grand service, comme le
nôtre ne saurait s’exercer efficacement, sous cette forme,
, f „: t eû plein accord avec le Commandement,
que si ce chef agit eu pieiu , n nput-être
auquel il reste inévitablement subordonne. On peut e
i l la légère d’une certaine « autonomie complété a du
P ai e ^ • •. . i„ Kqoa des revendications du
Service de Santé, qui serait a la base des reve
Corps et comme l'article premier de sa charte^ DM -
connaître profondément l’essence meme et le fonctionne
me», de 1. machine m.litaire, si complet pour »***»*
mi pareil objectif. Dans tout organisme militaire, a que q
échelon qu'on l'étudie,il ya un Chef militaire qui, ^
l’ensemble ,» qui, seul et pour «ou, a ^
. . • doit avoir l’autorité suprême. Quelle raison
rtpour.
JrîCnisme m,H,aire, don, ils font
Pa Mals qui dit subordination militaire, ne dit P as forc ®'
ment tutelle humiliante et stérile, ne dit pas abandon de
toute dignité, de toute autorité, grand
technicité joue un si gran r ^ ^ ^ ^ collaborateur
service, comme le not , P voudra,
Î ioi'^clm.. Cette colla-
tympaThie, le Commandement
P- r— ^ Jcti—t de,
TeJe'cs »r T, programme qu'il s'es, tracé, s "
"«Ttmé: 3 Z hommes est
104
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
si grande, c est aller au devant de dures désillusions (1). Pour
le Commandement comme pour le chef de service, l’entente
est indispensable : l’autorité technique et la situation morale
d un Directeur de Grand Service ne se trouveront pas di¬
minuées, au contraire, par une collaboration étroite qui,
connue de tous, donnera plus de poids à ses instructions et
plus de valeur à sa personne.
., L I î° SP * t ® h ® atlon ' ~ Une des premières préoccupations
un Chef de Service de Santé, en pays d’occupation, est né-
cessairement de s’assurer une capacité hospitalière, suscep-
tible de repondre aux besoins normaux et aux besoins éven¬
tuels, s, difficiles à prévoir. A ce point de vue, la situation
était assez indécise au Corps d’Occupation de Constanti¬
nople, au lendemain de l’effort consenti en faveur des Ré-
fugiés Russe 8 de l’Armée Wrangel. A ce moment le C. O
P. C d un effectif de plus de 8.000 hommes (effectif porté
ans ia suite à 10.000), ne disposait que d’infirmeries peu
eveloppees et de 450 lits d’hôpital, dont 360 à Gul-Hané
et 80 à Giffard ; 250 malades et blessés y étaient en traite¬
ment Le « volant d’hospitalisation ,, de 200 lits était faible et
insuffisant dans une région très vulnérable au point de vue
epidemmlogique, à l’avenir toujours incertain ; il paraissait
donc indispensable de prévoir l’extension de cette hospita-
îsation. Dans ce but des propositions furent adressées au
Commandement, qui les accepta d’ailleurs sans difficulté
et aida à les faire aboutir. Le programme, une fois établi
'iTTr P ro , visoire sur Emploi tactique des grande,
tammenTau courr a. i “.’ 11 - eSt donc indispensable qu’il soit cons-
ju^ror P Ses a a a vTf
105
V7
LE SERVICE DE SANTÉ DU CORPS D OCCUPATION
fut poursuivi pendant de longs mois jusqu’à réalisation
complète ; il consista essentiellement à :
1° Utiliser au mieux les Hôpitaux de Gul-Hané et de Gif-
fard.
2° Décongestionner ces Hôpitaux de base :
a) en créant dans certains groupements de troupes des
Infirmeries de garnison à capacité élevée, de façon à y re¬
tenir une partie notable des malades et blessés évacues
jusqu’alors sur Constantinople et qui n’avaient pas besoin
d’une hospitalisation urgente ; cette mesure permettait en
outre de rendre au plus tôt à leurs unités les malades traités
sur place, auprès d’elles.
b) en équipant plus complètement les Infirmeries des
troupes éloignées (Presqu’île de Gallipoli).
c) en augmentant, suivant les besoins, la capacité des au¬
tres Infirmeries Régimentaires.
30 Prévoir l’installation, dans la banlieue immédiate de la
Capitale, d’une Formation sanitaire nouvelle (la future In¬
firmerie-Ambulance Corroy), à organiser dans des baraque¬
ments annexés à la Caserne Maltépé et qui, occupés autre¬
fois par le Service de Santé, lui avaient été laissés sur sa de-
mande pressante.
a) Le premier effort s’adressait donc à l’amélioration du
service médical des Corps de troupe. Tous les Corps et Ser¬
vices furent répartis en secteurs, dont le service fut assuré
par un ou deux médecins , suivant l’étendue territoriale
et l’importance des unités à desservir. Chaque secteur fut
pourvu d’une Infirmerie gérée par la principale des unîtes
occupantes. Au début, ces infirmeries n’avaient été que de
grands Postes de Secours ; par la suite, au moment où s affir¬
mait la stabilité du Corps d’Occupation, on transforma
ces Postes de Secours, un peu sommaires, en véritables In¬
firmeries, confortablement aménagées, et pouvant admettre,
coucher et soigner les malades, dont l’hospitalisation ne
s’imposait pas. . , ,
Les garnisons de Makrikeuy, de San Stefano, de Maltepe,
d’Hademkeuy et celles plus éloignées de Gallipoli, de Km
106
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
Bahr, furent ainsi dotées d’infirmeries à grande capacité;
celle de Makrikeuy ne comptait pas moins de 80 lits. Les
infirmeries des secteurs de Constantinople même comptaient
une trentaine de lits. Ces infirmeries furent largement appro¬
visionnées de matériel de couchage, de matériel sanitaire, de
médicaments et de matières de pansement, et l’alimentation
spéciale y fut assurée par entente directe entre le médecin,
chargé du service médical de l’infirmerie, et les Comman¬
dants d’unités. Les organisations réalisées de la sorte, à
la faveur de la stabilisation progressive du Corps d’Occupa-
tion, finirent par être très semblables à celles prévues dans la
Métropole par le Règlement sur le Service de Santé à l’In¬
térieur, pour le service médical des corps de troupe.
b) Des dispositions d’ordre intérieur permirent d’accroître
sensiblement la capacité hospitalière des deux hôpitaux de
base de Gul-Hané et de Giffard, peu extensibles d’ailleurs.
Mais la lutte fut chaude pour pouvoir conserver ces hôpi¬
taux malgré l’évidence éclatante de leur «indispensabilité »,
et l’impossibilité de se procurer à Constantinople des
ressources hospitalières correspondantes. A plusieurs re¬
prises, en 1921 et surtout en 1922, une offensive bruyante
fut menée par les Turcs d’une part, par le Consulat de
France de l’autre, pour nous arracher nos deux hôpi¬
taux, les Turcs pour réinstaller à Gul-Hané leurs cliniques
émigrées à Haïdar-Pacha, les Français pour étendre leurs
bureaux. La riposte fut vigoureuse et condensée dans
deux rapports copieux et documentés ; fort heureusement
des Chefs clairvoyants, tant à Constantinople qu’à Paris,
comprirent la gravité d’une mesure qui priverait, sans com¬
pensation, le Corps d’Occupation, déjà très gêné au point de
vue hospitalisation, de Formations indispensables au fonc¬
tionnement du Service de Santé ; l’une et l’autre offensive
aboutirent à un échec, et nous pûmes continuer à utiliser
et à perfectionner jusqu’au bout nos organisations hospi¬
talières essentielles.
c) La création, au printemps de 1922, de l’Infirmerie-Am¬
bulance Corroy permettait de constituer, en cas d’épidémies
107
LE SERVICE DE SANTÉ DU CORPS D OCCUPATION
massives (le choléra par exemple, toujours à craindre) ou
d’événements militaires, une réserve précieuse impatiemment
attendue et susceptible d’extension rapide, par empiète¬
ment éventuel (c’était la pensée secrète du Directeur du
Service de Santé) sur les 1.000 lits possibles du casernement
limitrophe de Maltépé. Les événements démontrèrent par
la suite combien cette conception avait été sage. Dans le
courant de l’hiver 1922-23 des épidémies graves de grippe,
de rougeole et d’oreillons, éprouvèrent durement nos troupes
et, comme on le verra dans le chapitre suivant, embouteil¬
lèrent rapidement les hôpitaux de Gul-Hané et de Gilford.
Il ne fut possible alors de faire face à toutes les obligations
imposées par une situation sérieuse, que grâce à l’utilisation
de toutes les ressources propres de l’Infirmerie-Ambulance,
augmentées de celles de la caserne de Maltépé, que le
Commandement mit de suite à la disposition du Service de
Santé. ^ 5
Le Service médical de nos hôpitaux fut réglé d une façon
générale comme il l’est dans nos hôpitaux de la Métropole ,
point n’est besoin d’y insister. Il y a lieu seulement de si¬
gnaler ici, en marge de l’Hospitalisation, deux organisations
un peu spéciales du Corps d’Occupation, dont il convient de
dire un mot : la Commission de Rapatriement et la Com¬
mission de Réforme.
La Commission de Rapatriement était composée du Mé¬
decin Principal, Médecin-Chef du Centre Hospitalier de Cons¬
tantinople, et des Médecins-Chefs des Hôpitaux Giffard et
Gul-Hané ; un médecin de la marine lui était adjoint. Elle
se réunissait tous les trente ou quarante jours, un peu avant
l’arrivée en rade d’un des deux navires-hôpitaux de l’Etat,
le « Tourville » et le « Vinh-Long », spécialement, amé¬
nagés pour le rapatriement des militaires et marins du Le¬
vant et du Corps d’Occupation. Elle arrêtait et soumettait
à l’approbation du Général Commandant la liste des mili¬
taires et des marins inaptes aux T. O. E., ou justiciables d’une
admission dans une formation sanitaire de la Métropole ou
de l’Afrique du Nord, d’un congé de convalescence, d une
108
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
décision militaire, etc... Chaque évacué était porteur d’une
pochette contenant tout son dossier médical mis à jour, et
destiné au Médecin-Traitant de la Formation destinataire.
En quittant Constantinople, le navire-hôpital se rendait à
Beyrouth où il prenait les évacués de l’Armée du Levant ;
de là il touchait à Bizerte, où étaient laissés les militaires
appartenant à des unités Nord-Africaines, et débarquait à
Toulon, terme de son voyage, les marins et les hommes comp¬
tant à des Unités Métropolitaines, Marocaines, Noires, Mal¬
gaches ou Annamites. Par raison d’économie, le service des
navires-hôpitaux fut supprimé à partir de février 1923 ; le
rapatriement de nos malades fut assuré par des navires du
commerce (Messageries Maritimes ou Cie Paquet). Le nom¬
bre de militaires, rapatriés entre le 1 er octobre 1920 et le
1 er octobre 1923, a été de 1709.
Une Commission de Réforme fut créée à Constantinople
à la fin de 1921, par décision spéciale du Ministre, dans le
but de statuer sur les cas d’application de la Loi du 30 avril
1920 et de permettre aux militaires en activité, servant au
Corps d’Occupation, de faire éventuellement valoir leurs
droits à pension. Ce fut donc une Commission à compétence
très limitée. Son activité fut médiocre ; dans toute l’année
1922, elle n eut à examiner que 14 dossiers seulement (5 offi¬
ciers ; 8 sous-officiers et 1 homme de troupe).
L’instruction du personnel — L’instruction militaire et
technique du personnel ubalterne a été l’objet d’une atten¬
tion particulière ; elle fut très surveillée ; des prescriptions
méticuleuses l’avaient réglée, tant dans les corps de troupe
pour les Infirmiers Régimentaires, que dans les Formations
sanitaires pour les militaires de la Section de marche ; les
manœuvres de garnison furent des occasions favorables, pour
faire exécuter à nos infirmiers-brancardiers des exercices
pratiques de relève et de transport de blessés.
En ce qui concerne les Officiers, il avait paru au Général
Commandant et au Directeur du Service de Santé qu’il était
hautement désirable, que les médecins du Corps d’Occupa-
r
LE SERVICE DE SANTÉ DU CORPS D OCCUPATION 109
tion fussent tenus au courant des questions medicales et chi¬
rurgicales à l’ordre du jour dans les milieux scientifiques.
Déjà le Ministre avait bien voulu, sur notre demande, abon¬
ner le Corps d’Occupation à une série de publications pé¬
riodiques, qui étaient venues grossir la modeste biblio¬
thèque médicale de Gul-Hane : ces publications étaient adres¬
sées en communication aux médecins qui en faisaient la
demande, quand ils étaient éloignés de la Capitale. Dès le
mois d’août 1921 eurent lieu à l’Hôpital de Gul-Hané, une
fois d’abord, puis deux fois par mois, des réunions, où se
groupaient autour du Directeur tous les médecins de la ré¬
gion de Constantinople que ne retenaient pas, ces jours-là,
des obligations impérieuses de service. Ces réunions, au
cours desquelles étaient faites alternativement des démons¬
trations pratiques, des communications avec présentation
de malades ou des exposés d’actualité scientifique, furent
très suivies et très profitables, la discussion sur les questions
soulevées par les rapporteurs restant ouverte à tous. Elles
n’eurent pas seulement pour résultat utile de développer la
culture médicale de chacun, elles permirent de conserver
entre les médecins du Corps d’Occupation une liaison cons¬
tante et affectueuse ; à se mieux connaître, on s’estime da-
vantage.
Les prévisions et le fonctionnement en cas d’opérations
actives. Les évacuations- — A) La quasi-stabilisation du
Corps d’Occupation ne devait pas faire oublier, que ses trou¬
pes étaient susceptibles de prendre part à des opérations de
police ou à des opérations de guerre. Le Service de Santé
dut constituer des formations sanitaires, mises en réserve
en cas d’opérations actives de campagne. L’état précaire
des routes, souvent réduites, même dans la banlieue presque
immédiate de Constantinople, à de mauvais chemins de
terre, ne permettait pas de compter beaucoup, pour le ma¬
tériel comme pour les évacués, sur des moyens de transport
automobiles ou même toujours sur des moyens hippomobiles,
du modèle de ceux qui sont utilisés sur nos belles routes
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
110
macadamisées. C’est le type de montagne allégé, modifié
suivant nos ressources, qui fut adopté pour ces Formations
qui ne comportaient au début, en principe du moins, qu’une
Ambulance alpine et une Section de Groupe de Brancardiers
(réduite par la suite à une 1/2 Section). La composition
atypique d’ailleurs de ces Formations avait été établie, sui¬
vant qu’elles étaient à charger sur des animaux de bât ou
sur des fourgons du Service de Santé ; le tableau suivant in¬
dique le personnel troupe, les moyens de transport et les
animaux nécessaires à la constitution d une Ambulance et
d’une Section de Brancardiers Divisionnaires :
Ambulance (type montagne modifié)
r Sous-Officiers
2
3
20
Caporaux.
Détachement d’infirmier*,
Infirmiers
Ordonnances d’Officiers montés : 3(2 Médecins, 1 Officier d Administration.)
A) L’Ambulance est chargée ( Sous-Officier.... 2
sur des animaux de bâts. I Brigadier. 3
(1) v Conducteurs .... 58
1
Détachement du
Train des Équipages
Groupe de Brancardiers (1 Section type 1910 modifié)
Sous-Officiers.
ent d'infirmiers... ] Caporaux.
( Infirmiers... ..
2
3
30
Détachement d'infirmiers.
30 hommes auxiliaire* à prévoir pour renfor¬
cer le contingent d’infirmiers et à prélever
sur les troupes du C. O. F. G.
Brancardiers
Ordonnances d’Officiers montés : 4 (2 Médecins, 1 Officier d’Administration
et 1 Aumônier).
(1) 31 animaux pour les cantines, ballots, brancards, réservoirs à eau, etc..,
2 animaux pour la cuisine roulante, 14 animaux pour les cacolets, 4 animaux
pour les litières, 2 animaux haut le pied.
(2) 4 fourgon* du S. S. (8 animaux), i fourgon à vivres (2 animaux),
1 cuisine roulante (2 animaux), 1 attelage haut le pied (2 animaux).
I.E SERVICE DE SANTÉ DU CORPS d’oCCUPATION 11
t Sous-Officiers... 2
( A) Le G. B. D. est chargé \ Brigadiera . 3
Détachement du \ sur animaux de bâts (1). ( Conduc t eurs .... 51
Train des équipages j B j Le G. B. D. est chargé ( Sous-Officiers... 2
( sur fourgons (2). ( Conducteurs.... 18
En réalité, aucune de ces formations n’existait effective¬
ment sous cette forme. Le matériel seul était stocké et entre¬
tenu dans les magasins de la Réserve de matériel du Service
de Santé ; les animaux et les voitures prévus étaient à four¬
nir, le moment venu, par le Dépôt de Remonte mobile et
le Parc d’Artillerie, le personnel devait être réuni par prélè¬
vement sur la dotation du Corps d’Occupation. Si ces Forma¬
tions n’eurent pas l’occasion d’être constituées comme cela
avait été prévu, le matériel mis sagement en dépôt fut, à
plusieurs reprises, utilisé pour des opérations décidées a 1 im¬
proviste et rendit de grands services (Opérations de police,
Secteur de Tekataldja, Occupation de la Thrace Orientale).
Au surplus, des dispositions de même ordre avaient ete prises,
dans les Corps de troupe, exposés à se déplacer en fonction
d’événements toujours possibles; il était indispensable qu ils
fussent assurés de disposer à l’avance d’approvisionnements
sanitaires de réserve au complet. Or, les approvisionnements,
composant le matériel normal de réserve des Corps de troupe,
n’étaient, pas considérés comme tels et servaient pour le
service courant. Il fallut reconstituer ces approvision¬
nements ; plusieurs mois furent nécessaires pour mener
à bien cette tâche ; dès le mois de septembre 1921, tous
les corps de troupe étaient dotés de leur materiel règ e-
mentaire de Réserve, lequel, dûment scellé, était stocké
dans chaque unité. Les Corps de troupe, appelés en 1922 a
(1) 25 animaux pour cantines, ballots, réservoirs à eau bnnmnb.etc. 2
animaux pour la cuisine roulante, 14 animaux pour cacolets, 4 animaux pour
litières, 2 animaux haut le pied. . .
(2) 1 voiture médicale (2 animaux), 4 petites voitures de blesses (4 animaux)
1 fourgon du S. S. (2 animaux), 1 fourgon à vivres (2 animaux), 1 2 ?‘2
de parc (pour brouettes porte-brancards) (2 animaux), 1 cuisine roulante (2
animaux), 1 attelage haut le pied (2 animaux).
112 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
constituer dans un délai très court le Secteur de Tchataldja
et en 1923 à occuper la Thrace Orientale, partirent pourvus
de tout le matériel et de tous les médicaments qui leur étaient
nécessaires.
B) En effet, de 1921 à 1923, le Corps d’Occupation fut
appelé à prendre part, en 1921 à une opération de police
dans la région de Tchataldja, en 1922 à collaborer avec
les troupes anglaises et italiennes à l’établissement du Sec¬
teur d’Hademkeuy-Tchataldja (menace grecque sur Cons¬
tantinople), et en 1922-23 à l’Occupation de la Thrace Orien¬
tale. L’opération de police, destinée à réprimer des actes de
rapine et de brigandage dans un pays difficile, fut conduite
par une colonne de troupes de toutes armes (32° R. T. I.,
66° R. I., détachements de Cavalerie, d’Artillerie, etc...)
opérant en deux groupements. Chaque groupement eut
son médecin-chef de service aidé d’infirmiers et de bran¬
cardiers, dotés du matériel règlementaire *, il fut mis à la dis¬
position de chacun d’eux 2 mulets porteurs de cacolets, 1
mûlet porteur de litière, 2 mûlets porteurs de médicaments,
de matériel sanitaire et de brancards, 1 mûlet porteur de 2
tonnelets de 30 litres d’eau et une araba. Une Infirmerie
Gite d'Etapes fut constituée à la gare de Tchataldja, sous les
ordres d’un médecin-major de l re classe, avec mission d’y
constituer une base d’évacuation pour les troupes en opé¬
rations, de retenir les intransportables absolus, les tout petits
malades et blessés rapidement récupérables, de donner tous
les soins nécessaires aux blessés en instance d’évacuation
(sérum antitétanique, etc...), enfin d’assurer dans des con¬
ditions satisfaisantes l’acheminement des patients sur le
Centre hospitalier de Constantinople. Les mesures les plus
minutieuses d’hygiène étaient prescrites, en vue d’assurer
la protection de la santé de nos troupes.
Nous avons dit ailleurs (page 23) comment avait été cons¬
titué militairement le Secteur défe?isif de T trace (Hadem-
keuy-Tchataldja), les unités qui y avaient participé, le
temps que l’occupation avait duré. Le service de santé fran-
LE SERVICE DE SANTÉ DU CORPS d’oCCUPATION 113
çais y avait été organisé dans ses grandes lignes de la fa¬
çon suivante : Un médecin-major de l re classe (M. M. l re
classe Cheynel, du cadre colonial) assura les fonctions de
Chef du service de santé du secteur ; il installa et dirigea à
Hademkeuy une Infirmerie de Secteur et un Point d’Eva¬
cuation, Le service médical des Unités était assuré par 5
médecins, répartis chacun avec un groupement d’unités
(Kabakja, Sinekli, Tchataldja, Sayak-Tépé, Mohakeuy, Ha¬
demkeuy, Buyuk, Baba-Nanache). Dans chaque Groupe¬
ment on avait constitué un Poste de Secours-Infirmerie,
équipé pour donner les premiers soins aux blessés, assurer
la visite médicale journalière et conserver les petits indis¬
ponibles pour quelques jours ; les autres catégories étaient
acheminées sur le point d’évacuation d’Hademkeuy ; la
petite formation sanitaire, qui y fonctionnait, comprenait
-50 lits et a pu faire face à toutes ses obligations, comme pre¬
mier organe de traitement. Bien installée dans de bons lo¬
caux, elle était largement dotée de matériel, de médica¬
ments et de désinfectants ; elle était chargée d’approvision¬
ner, sur bons, les unités en ligne et se ravitaillait elle-même
à la R. M. S. de Constantinople. Y étaient conservés les
intransportables absolus, et les petits malades et blessés,
justiciables d’une prompte récupération ; les autres étaient
évacués sur le Centre hospitalier de Constantinople.
Les unités étaient dotées de leur matériel règlementaire
de réserve, reconstitué l’année précédente ; chaque bataillon
d’infanterie disposait de deux brouettes porte-brancards
et d’une petite voiture hippomobile pour blessés. Le point
d’Evacuation disposait de 2 autos sanitaires (1), de brouet¬
tes porte-brancards, d’une réserve de cacolets et de litières
et de deux wagons sanitaires aménagés, sur l’utilisation
desquels nous reviendrons.
Des instructions précises avaient été adressées dès le dé¬
but (renouvelées et contrôlées même sur place par le Direc-
(1) Le Corps d’occupation ne disposait que d’une Section sanitaire
automobile.
Dejouany
8
114
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
teur) relatives à l’appareillage des fractures, au traite¬
ment des garrots, aux injections antitétaniques à pratiquer
très tôt et au plus tard à Hademkeuy, enfin aux mesures
spéciales d’hygiène qui s’imposaient en raison de la situation
épidémiologique de la région, des fatigues supportées, des
pénibles chaleurs du moment (on était au mois d août), de
la disette et de la mauvaise qualité des eaux. L’attention
de tous fut particulièrement attirée sur les points suivants -
a) Vaccinations et revaccinations à pratiquer au secteur
contre les fièvres typho-paratyphoïdes, la variole, le choléra.
b) Javellisation ou ébullition de toute l’eau consommée (1).
c) Entretien et désinfection des feuillées.
d) Port obligatoire de la ceinture de flanelle.
e) Quininisation préventive (0 gr. 20 par jour).
f) Désinsectisation des hommes.
La Maison Publique d'Hademkeuy fut autorisée à rester
ouverte. Tout y fut réglementé, même l’hygiène de l’amour ;
une cabine prophylactique y fut installée et fonctionna cha¬
que jour après 17 heures. Au surplus, les pensionnaires dont
le nombre avait doublé depuis l’arrivée des troupes en sec¬
teur, étaient l’objet d’une surveillance médicale attentive.
Mais quelle joie pour les Sénégalais et les Tirailleurs !... et
même pour les nôtres. Cette initiative hardie n’entraîna
aucun heurt d’aucune sorte.
Le transport des blessés des points de groupement des
troupes à Hademkeuy, puis d’Hademkeuy sur Constanti¬
nople a été assez difficile à bien réaliser, en raison de l’état
déplorable de certaines routes, de pistes plutôt, détrempées
à la moindre pluie. Dès le début, une étude des routes, pistes
et sentiers utilisables au point de vue particulier des Eva¬
cuations, en fonction du mode de transport à utiliser, avait
été mis rapidement au point pour tout le secteur. L ache¬
minement sur Hademkeuy eut lieu soit par le train (Smekli,
Kabakja, Tchataldja), soit, pour les unités éloignées du
(1) Deux voitures à javellisation, du type Bourron, furent utilisées à
la satisfaction des usagers. Une carte des points d’eau avait été établie*
LE SERVICE DE SANTÉ DU CORPS d’oCCUPATION 115
Tail, par mulets, brouettes porte-brancards, petites voitures
hippomobiles pour blessés, autos sanitaires.
Les évacuations d’Hademkeuy sur le Centre hospitalier
de Constantinople avaient lieu par voie ferrée, soit par le train
de ravitaillement quotidien pour quelques assis isolés, soit
par deux wagons sanitaires aménagés, qu’on accrochait à la
rame. Ces wagons rendirent de précieux services ; ils avaient
autrefois, dans des conditions assez incertaines, servi au
transport de blessés, puis avaient été abandonnés sur une
voie de garage ; ils furent mis en état en 3 jours à Constan¬
tinople, grâce à un travail intensif fourni de jour et de nuit,
par les monteurs de la gare de Sirkedji. Chacun d’eux com¬
prenait douze brancards sur 3 étages, bien suspendus grâce
à des ressorts à boudins perfectionnés ; ils donnèrent toute
satisfaction. Les évacués étaient enlevés à la gare de Sir¬
kedji par des autos sanitaires de la Place de Constantinople
et répartis dans nos hôpitaux;les wagons libérés reprenaient
le lendemain matin de bonne heure (ou même dans la nuit)
le chemin d’Hademkeuv,
Le séjour en Thrace Orientale (1922-1923) de nos troupes
n’avait pour objet qu’une occupation pacifique, ne compor¬
tant aucune action de guerre. On s’inspira, pour l’organisa¬
tion du Service, des errements suivis dans les secteurs mé¬
dicaux. Des Infirmeries de Cantonnement , destinées à recevoir
et à traiter sur place les malades et blessés non justiciables
d’une évacuation, furent aménagées : les ressources locales
permirent en général de leur donner une certaine étendue,
et de réduire ainsi les évacuations sur Constantinople aux
cas indispensables. A Àndrinople, on put organiser une for¬
mation de base dans un Etablissement hospitalier local.
Partout ailleurs à Lulé-Burgas, à Kirk-Kilissé, à Hademkeuy,
les évacués furent acheminés sur Constantinople à l’aide
des deux wagons sanitaires, dont il a été question plus haut ;
ces wagons furent poussés, l’un jusqu’à Andrinople, l’autre
jusqu’à Kirk-Kilissé ; ils étaient accrochés, soit au train
journalier dit « Conventionnel », dont les arrêts fréquents
116 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
permettaient un « ramassage » pratique, soit à 1 Orient-
Express ; la durée du trajet Andrinople-Constantinople
était de 14 heures avec le «Conventionnel», et de 9 heures
avec « l’Orient-Express ». Ce voyage était donc long et fati¬
gant et la rotation des wagons demandait deux jours. Fort
heureusement ces évacuations restèrent peu fréquentes,
l’état sanitaire de nos troupes en Thrace orientale s’étant
montré excellent. Des autos sanitaires furent détachées à
Andrinople, à Lulé-Burgas; mais en raison de l’état des
routes, elles ne furent utilisées que pour les besoins des
cantonnements ou dans leurs environs immédiats ; elles
purent, dans certains cas, assurer les transports jusqu’à la
voie ferrée.
L’action hygiénique et prophylactique. Les mesures
d’hygiène et de prophylaxie, qui s’imposent d’elles-mêmes
au chef qui a la responsabilité de la santé d une troupe, pre¬
naient au Corps d’occupation de Constantinople une impor¬
tance de premier plan, du fait des conditions climatiques,
de l’extrême vulnérabilité de la capitale, exposée à tous les
contages, de la situation épidémiologique toujours troublée
du bassin oriental de la Méditerranée. La fièvre typhoïde,
la variole, le typhus exanthématique sont endémiques à
Constantinople et en beaucoup de points de la Turquie d’Eu¬
rope ; la peste et le choléra ont fait pendant notre occupa¬
tion une apparition impressionnante dans la capitale et il
a fallu toute l’énergie des Services de santé alliés, dont
nous avons déjà au chapitre précédent exposé le rôle,
pour la préserver d’épidémies redoutables. Il importait
donc que toutes dispositions fussent prises pour protéger
nos troupes ; cette tâche, complexe quand on est si loin de
la Métropole, fut poursuivie avec une opiniâtreté têtue,
jamais lassée, et avec une rigueur que justifiait la gravité
du problème. Entre toutes, deux questions sollicitèrent jus¬
qu’au bout et sans défaillance l’autorité du Directeur du
Service de santé et du Commandement, si attentif à tout cc
qui touchait l’hygiène et la santé de ses hommes ; nous vou-
LE SERVICE DE SANTÉ DU CORPS D OCCUPATION 117
Ions parler de la pratique réglée des vaccinations et des re¬
vaccinations, et de la stérilisation des eaux de boisson.
A) Théoriquement, tout militaire envoyé au Corps d’oc¬
cupation de Constantinople devait, avant de quitter la
France ou l’Afrique du Nord, avoir été vacciné ou revacciné
contre les fièvres typho-paratyphoïdes et la variole ; des
instructions spéciales prescrivaient, si nécessaire, l’inocula¬
tion contre la peste et le choléra. En réalité, cette quadruple
vaccination fut pratiquée presque constamment, au départ
ou à l’arrivée, sur la presque totalité de l’effectif du Corps.
Mais de la théorie à la pratique il y a loin. Malgré les ins¬
tructions sans cesse renouvelées et si sages cependant du
Ministre, les Centres de groupement ne pratiquaient pas
ces vaccinations complètement et surtout négligeaient
les écritures indispensables, c’est-à-dire 1 inscription, bien
faite et signée du médecin, des résultats des opérations pra¬
tiquées, inscriptions qui devaient être portées à la fois sur
le livret individuel et sur le livret médical de l’homme. Du¬
rant des mois, on dût lutter âprement pour obtenir des
Centres de groupement ces renseignements, et des Corps
d’origine les livrets médicaux, si précieux à divers titres ;
malgré les notes du Directeur, malgré les instructions cepen¬
dant impératives du Général commandant, il faut avouer
que l’on ne put obtenir entièrement satisfaction. Il en résul¬
tait cette conséquence grave, qu’à leur arrivée en Orient,
des hommes ne pouvaient administrer la preuve des vacci¬
nations qu’ils prétendaient avoir subies ; certains étaient
sincères, d’autres espéraient esquiver une opération redou¬
tée, on ne sait pourquoi, de trop de militaires encore. Dans
le doute et en raison des dangers courus, tous les nouveaux
arrivants, qui n’étaient pas en règle, recevaient les vaccina¬
tions prescrites pour tous et quelques-uns pour la seconde
fois.
Le contrôle des vaccinations fut poussé très loin. Il fut
établi dans chaque unité un registre spécial dit des « Vacci¬
nations et des Revaccinations », sur lequel furent mentionnés,
par sous-unité (compagnies, batteries, etc...) et par lettre
H8 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
alphabétique, tous les militaires faisant partie de cette
unité ; en face de chaque nom, dans des colonnes appro¬
priées (une par catégorie de vaccination), étaient inscrites
(avec la date) toutes les opérations subies par l’homme. Ce
registre était tenu rigoureusement à jour ; en cas de muta¬
tion (hospitalisation, changement de corps de troupe ou de
service, etc...) des mesures de détail étaient prévues, pour que
l’homme muté n’échappât point à son sort ; une fiche le
concernant le suivait où il allait. Dans ces conditions d’ordre
et de méthode, il devenait facile pour le médecin chargé du
service médical de ne pas perdre de vue les opérations à pra¬
tiquer dans son unité, de suivre les vaccinations qui avaient
été différées pour des motifs divers, et d’établir plusieurs
fois par an les relevés des hommes ayant à subir une revac¬
cination d’entretien.
Le médecin divisionnaire, médecin-chef du Centre hos¬
pitalier de Constantinople, vérifiait lui-même les registres,
dont on lui adressait des copies ; quelques médecins, qui
s’étaient intéressés à cette besogne ardue mais indispen¬
sable (médecins-majors Demerliac, Cros, etc...), avaient créé
un système ingénieux de fiches mobiles, qui assurait la
contre-partie de leur registre. Le Directeur ne se contenta
pas seulement de donner, et à de multiples reprises, ses
ordres par écrit et sous toutes les formes, même par la
voie du Commandement ; il n’hésita pas à aller lui-même
exercer, personnellement sur place, son action de contrôle.
Soutenus par leur chef technique et par le Général com¬
mandant, les médecins des corps de troupe mirent leur
amour-propre à accomplir avec conscience leur tâche ingrate,
non sans heurts inévitables, c’est certain, avec quelques
commandants d’unités, peut-être mal avertis de l’impor¬
tance capitale des mesures, si jalousement imposées.
B) Les eaux d’alimentation des villes ou bourgades de la
Turquie d’Europe et principalement celles de la région de
Constantinople, étaient, nous l’avons vu, plus que suspectes,
souvent fort dangereuses. Leur consommation ne fut auto¬
risée qu’après stérilisation préalable par l’ébullition (thé,
119
LE SERVICE DE SANTÉ DU CORPS D OCCUPATION
café) ou par javellisation ; mais que de difficultés d’applica¬
tion 1 II a fallu au Service de santé, très aidé par le Comman¬
dement, toute sa foi pour ne pas se laisser décourager par
les négligences, cependant fortement sanctionnées ; malgré
les difficultés, la javellisation fut installée partout ; en cer¬
tains points favorables (médecin-major Bahier), on réalisa
même la javellisation automatique , qui a le double avantage
de supprimer tonneaux et récipients suspects, et d avoir
raison de la résistance des hommes, qui, répugnant à se servir
d’une eau « médicamentée », la boivent ainsi sans le
savoir et sans y songer. Il est hors de doute que la javelli¬
sation est, de tous les procédés d’épuration des eaux
d’alimentation, le plus efficace et le plus simple dans une
collectivité militaire ; mais elle peut constituer, si elle est
mal faite, un danger redoutable, ainsi que nous l’ont montré
certaines analyses d’eau javellisée pratiquées au Laboratoire
de Gul-Hané, eau qui contenait de très nombreux coli¬
bacilles. Là, aucune faute ne peut être autorisée ; il faut une
bonne organisation, une surveillance attentive, un contiôle
incessant; il faut que le Général commandant impose, sous
sa signature, aux chefs militaires sous ses ordres Vapplication
stricte des prescriptions techniques , et ces prescriptions sont
les suivantes : la javellisation doit être pratiquée avec un
extrait de Javel concentré rigoureusement titré ; les réci¬
pients (tonneaux ou cuves en ciment) doivent être d’une
propreté absolue, munis de robinet et fermés par le haut
hermétiquement, vidés complètement tous les jours et stén
lisés chaque semaine avec une solution plus concentrée
d’eau de Javel ; les tonneaux doivent être nettoyés a a
chaîne flottante ; ils doivent être bien placés à 1 abri c u
soleil, de la pluie et de la poussière. Ce n’est qu’en réglant,
minutieusement les détails d’installation et les conditions
d’entretien, ce n’est qu’en exerçant une surveillance de
tous les instants, qu’un chef peut honnêtement imposer à une
troupe celte excellente méthode.
C) Malgré leur importance, la pratique des vaccinations
et des revaccinations et l’épuration des eaux potables ne*
120 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
furent pas les seules questions d’hygiène, à la solution des¬
quelles s’attacha le Chef du Service de santé. Des instruc¬
tions techniques précises et renouvelées, appuyées de direc¬
tives et de conseils donnés sur place, indiquèrent à tous les
médecins les mesures les plus propres à garantir la santé de
nos troupes, mesures relatives à la propreté individuelle, à
la qualité de l’alimentation et des boissons, à la tenue des
casernements, des cuisines, des W.-C. (grave problème en
Turquie), à l’éloignement des eaux usées et des ordures
ménagères (des fours incinérateurs furent construits un peu
partout), à l’hygiène des cours, des locaux disciplinaires et
des postes de police, si souvent oubliés, à la lutte contre les
parasites, les insectes, les maladies vénériennes, l’alcoo¬
lisme. Les instructions techniques étaient transmises, sui¬
vant le cas et suivant le but poursuivi, soit sous le timbre
de la Direction du Service de santé, soit sous forme de para¬
graphes incorporés à l’Ordre général (2 e partie) ; cette der¬
nière procédure avait l’avantage de s’imposer de façon
directe à l’attention des chefs d’unités ou de services, en
raison de l’autorité qui s’attachait au signataire : le Général
commandant.
Il ne suffisait pas de prêcher la bonne parole aux chefs
responsables, commandants d’unités ou médecins ; il parut
profitable de s’adresser aux hommes eux-mêmes, en répan¬
dant partout dans les quartiers, casernes et foyers, des
affiches de propagande hygiénique, et en distribuant dans
les rangs des tracts de même caractère ; à titre documen¬
taire, voici la copie de l’un d’eux, distribué au commence¬
ment de l’été.
CORPS D’OCCUPATION DE CONSTANTINOPLE
SERVICE DE SANTÉ
N° 2.398/T.
CONSEILS AUX HOMMES
Surveillez votre hygiène , surtout pendant la saison chaude
ti vous conserverez une bonne santé.
LE SERVICE DE SANTÉ DU CORPS d’oCCUPATION 121
Propreté du corps.
Soyez soigneux de vous-même et veillez à la propreté de
votre corps (bains, douches, pris fréquemment).
Débarrassez-vous des poux dès qu’ils apparaissent ; re¬
passez les coutures et faites désinfecter vos vêtements ;
changez de linge ; demandez à votre médecin des médica¬
ments pour les détruire.
Lavez-vous la bouche ; lavez-vous les mains, surtout
avant les repas et après les visites aux latrines.
Ayez toujours vos vêtements et vos chaussures propres ;
vous éviterez ainsi de transporter, dans les casernements,
germes et microbes.
Portez votre ceinture de flanelle, surtout la nuit.
Aliments.
Protégez votre viande, votre pain contre les poussières,
contre les mouches qui souillent les aliments.
Ne mangez que des fruits mûrs et sans exagération. Peu
de crudités (racines, salades) ; ne les consommez qu’apres
les avoir nettoyées soigneusement.
Méfiez-vous de la charcuterie.
Boissons.
L’alcool ruine la santé, il ne faut pas en boire.
Le vin, la bière peuvent être consommés, mais en quantité
raisonnable.
Ne buvez que de Veau javellisée ou bouillie (café-thé): vous
éviterez ainsi la fièvre typhoïde, le choléra et les maladies de
l’intestin fréquentes dans ce pays, car ces maladies se pro¬
pagent surtout par l’eau de boisson.
Si vous souffrez de diarrhée, même légère, n’hésitez pas
à aller de suite consulter le médecin.
Propreté du casernement.
Faites une chasse impitoyable aux ordures, aux flaques
122 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
d’eau, aux débris de végétaux, papiers souillés, que vous
verrez dans les cours du cantonnement ou du casernement.
Toutes les ordures et tous les immondices doivent être
recueillis, chaque jour, dans des poubelles fermées pour être
enfouis ou incinérés.
Nettoyez tous les jours les locaux que vous habitez au
faubert humide.
Entretenez soigneusement la propreté de votre literie
et détruisez chaque jour les punaises au moyen de pétrole, du
formol ou de la poudre de pyrèthre.
Les latrines sales et non désinfectées peuvent être la
source d’épidémies redoutables ; que personne de vous ne
considère comme inutile de veiller à l entretien de leur pro
prêté constante, et à leur désinfection journalière.
Protégez-vous des moustiques, qui donnent la fièvre palu¬
déenne, par des moustiquaires bien placées et toujours en
état.
Dans le même ordre d’idées, il fut décidé que la dictée,
imposée à l’arrivée aux hommes de renfort, ne traiterait
plus un sujet banal, mais comporterait une série de conseils
hygiéniques, susceptibles de prémunir les nouveaux arrivés
contre les dangers, qui menaçaient leur santé dans la vieille
capitale. Ce sont là, dira-t-on, petits moyens ; nous sommes
de ceux qui pensent que le prosélytisme ne doit pas les
mépriser. L’activité constante et soutenue du Chef du
Service de Santé, dans ce domaine hygiénique, est chose
féconde pour une collectivité militaire, s il sait faire com¬
prendre, aux Chefs comme aux subordonnés, l’utilité des
mesures qu’il propose ou qu’il prescrit, s il sait communiquei
à tous son enthousiasme et sa foi sincère.
CHAPITRE V
La Morbidité et la mortalité do Corps d’occupation.
L’État-civil
La morbidité de nos troupes, pendant les trois années de
leur séjour sur le territoire ottoman, tire ses principaux
caractères de l’influence associée de facteurs dont nous
avons parlé plus baut i les conditions climatiques, le nn-
lieu, les apports épidémiques.
Nous nous sommes assez étendus déjà sur le facteur milieu
/chap. II), et sur l’histoire épidémiologique du Proche-Orient
pendant ces trois années (chapitre III), pour qu il soit
opportun d’y revenir ici.
Le climat, avons-nous dit, est froid et pluvieux l’hiver,
pluvieux et encore humide au printemps, chaud 1 été a\ec
des nuits fraîches, doux l’automne. Il est sujet en tout
temps, au cours d’une même saison ou d’une même journée,
à des variations brusques et inattendues, auxquelles 1 orga¬
nisme humain est des plus sensibles. Il n’est donc point
étonnant que les affections des voies respiratoires, les mala¬
dies a frigore , soient, contrairement à ce que beaucoup de
gens pensent, particulièrement fréquentes en Turquie.
Aussi les angines, les trachéo-bronchites, les bronchites et
les atteintes plus graves de l’appareil respiratoire, ont-elles
été observées en grand nombre parmi nos troupes, à partir
du mois de décembre et jusqu’au mois de mars et d avril,
époque à laquelle apparaissait le rhumatisme articulaire.
De même, à la faveur des chaleurs, ce sont les affections
► ••
I
124
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
§ Wi
gastro-intestinales, inséparables habituellement de la saison
estivale, qui se sont montrées avec une fréquence marquée.
Les coliques, la diarrhée, les embarras gastriques simples et
fébriles, les entérites, les troubles dyspeptiques les plus
divers, étaient très répandus en juin, juillet et août dans nos
infirmeries et dans nos formations sanitaires ; ils Tétaient
dans la population civile où la pullulation des germes, des
parasites de toutes sortes et des insectes, en rapport avec
les défectuosités hygiéniques et avec les souillures, offraient
un terrain favorable à leur développement.
A la base donc de la morbidité générale de nos troupes
nous trouvons, comme dans les garnisons de la Métropole,
mais ayant présenté à certaines époques, en fonction du
milieu, une plus grande fréquence et peut-être un caractère
plus sévère, les affections des voies respiratoires et les affec¬
tions gastro-intestinales. Bien que les premières se soient
manifestées plus spécialement en hiver et au printemps, on
les a constatées également aux autres périodes de Tannée.
C’est là une particularité qu’il importe de souligner. Le
nombre des malades qui ont été traités dans les hôpitaux en
plein mois de juillet pour angine, bronchite, congestion pul¬
monaire et pour rhumatisme articulaire aigu, est anormale¬
ment élevé, quoique assurément inférieur au nombre de
malades de ces catégories pendant la mauvaise saison. Il est en
rapport avec les écarts brusques de température de la saison
estivale. Ces affections a frigore de la période d’été provo¬
quaient des atteintes dans toutes les unités, sans distinction
de catégories de militaires. Les soldats de couleur étaient
cependant frappés davantage. Ils sont très sensibles aux
refroidissements (1), auxquels, par ailleurs, ils s’exposent sou-
(1) La fréquence et la gravité des affections des voies respiratoires,
dans les contingents noirs, sont mises en lumière par les chiffres suivants :
en 1921, le Corps d’Occupation comprenait (moyenne annuelle) 1.368 Sé¬
négalais du 12 e R. T. S. ; le nombre de décès relevés dans le Service de
Médecine Générale et des Contagieux de l’Hôpital de Gul-Hané fut de 25;
sur ces 25 hommes décédés, 13 étaient des Sénégalais, et leur mort avait
été uniquement déterminée par des affections des voies respiratoires. Au
mois de mars 1922, il y eut une recrudescence marquée d’affections
MORBIDITÉ ET MORTALITÉ DU CORPS d’oCCUPATION 125
■vent avec la plus grande insouciance et la plus déconcertanta
naïveté. Que de fois en a-t-on vu se déshabiller complète¬
ment pour se mettre au frais, et rester ainsi exposés au cou¬
rant d’air, parfois très vif, qui souffle du couloir du Bos¬
phore. Ce courant d’air, qui rafraîchit si agréablement Stam¬
boul les soirs d’été, après de dures journées, était aussi
redoutable aux baigneurs qui musardaient dévêtus sur la
plage, qu’aux dormeurs imprudents, insuffisamment cou¬
verts pour la nuit.
La morbidité générale a varié dans des proportions assez
notables au cours des trois années étudiées. Les années 1920,
1921 et 1922 ont été extrêmement favorables, et l’état sani¬
taire s’est maintenu splendide, malgré tant d’appréhensions
si légitimes ; l’année 1923 s’est traduite au contraire, ainsi
qu’il sera dit à la fin de ce chapitre, par un accroissement
marqué et inquiétant du taux de la morbidité et de la mor¬
talité, en raison de l’apparition d’une épidémie concomi¬
tante de grippe, d’oreillons et de rougeole. A titre documen¬
taire, voici quelques chiffres, puisés dans la seule statistique
établie, celle du 1 er octobre 1921 au 30 septembre 1922, et
qui expriment, pour certaines maladies et pour 1.000 hommes
d’effectif, la morbidité hospitalière du Corps d’occupation
pendant cette période.
Pendant la même période de 12 mois, d’ailleurs très favo¬
rable, il y a eu au total 1.351 entrées dans les hôpitaux, sans
compter la marine, soit une morbidité hospitalière de 164
pour 1.000 hommes d’effectif. En 1913, cette morbidité a
été de 189 en France pour l’intérieur et de 257 pour l’Algérie-
Tunisie.
pleuro-pulmonaires dans le Corps d’Occupation Français ; le Service de
Médecine Générale de l’Hôpital de Base enregistra alors, pendant ce
même mois, 127 entrées, dont 61 pour des Sénégalais. .
Par ailleurs, d’une statistique, établie d’après les registres du Service
Chirurgical de l’Hôpital deGul-Hané, portant sur un nombre détermine
de Français, d’Annamites, d’indigènes de l’Afrique du Nord et de Séné¬
galais, hospitalisés dans ce service du 24 octobre 1919 au lo avril 1922,
fl ressort que la proportion de tuberculeux chirurgicaux a été, pour 100
hospitalisés de chaque race : de 4,5 pour les Français, de 6,9 pour les
Indo-Chinois, de 9,2 pour les Indigènes de 1 Afrique du Nord et de 17,7
pour les Contingents Noirs (Sénégalais).
126
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
MORBIDITÉ HOSPITALIÈRE
(1er Octobre 1921-30 Septembre 1922)
maladies
NOMBRE
d’intrées
dans les
Hôpitaux
NOMBRE
DH cas
pour 1000
hommes
d’effectif
Rougeole. . . t .. . .
14
1,7
1,09
0,24
2,07
6,21
Scarlatine .. f t . ..
9
2
Grippe..... . • i >••••••<><•••• • •
17
Oreillons ............ ..
51
Diphtérie ..,..
14
1,7
0,6
1,09
1,21
0,36
3,16
4,62
2,68
0,24
1,82
0,72
3,65
11,68
3,80
10,35
3,10
23,14
11,08
4,26
4,62
Fièvre paratyphoïde
5
Fièvre typhoïde t *..
9
Typhus exanthématique
10
1 Dysenterie bacillaire. .. ...
3
Dysenterie amibienne....
26
( Ire invasion...
38
Paludisme < .
/ 2 m ® mvaBion...
22
Lèpre.... • ...
2
Filariose..........
15
Morsures par animaux Buspects de rage , . ..
6
Rhumatisme articulaire aigu. ....
30
Angine aiguë .....
96
Embarras gastrique simple et fébrile .............
32
Diarrhée fit entérite aiguës . .. ,...
85
Ictère catarrhal
26
Trachéite et bronchite aiguës.. .,..
190
Pneumonie et congestion pulmonaire, .,. r . .
91
Pleurésie sèchfi fit séro fibrineuse..
35
Tuberculose pulmonaire et pleurale.
38
Examinons maintenant quelle a été la part, dans cette
morbidité, des affections contagieuses à caractère épidé¬
mique (1).
(1) II y a intérêt à rapprocher les chiffres de morbidité, indiqués dans
ce chapitre, des chiffres d’effectifs mensuels inscrits sur les tableaux du
chapitre VI.
morbidité et mortalité du corps d’occupation 127
La Fièvre de trois iours. — Malgré sa bénignité, la fièvre
de trois jours, la dengue pour certains, occupe par le nombre
de ses atteintes la première place parmi ces affections. L’un
de nous a résumé ailleurs (1), de la façon suivante, les obser¬
vations faites à son sujet par les médecins du Corps d’Occu-
pation de Constantinople :
« La maladie règne, dans ces régions du Proche-Orient
(Constantinople et Dardanelles), du commencement de juin
à la fin août environ, avec maximum net en juillet. Les at¬
teintes sont nombreuses : elles intéressent, suivant les points,
20 à 90 % de l’effectif ; la 5 e Compagnie du 66° R. I., à Stam¬
boul, par exemple, a en six semaines, pendant l’été 1922,
129 hommes touchés sur 150 comptant à l’unité. Les indi¬
gènes de l’Afrique du Nord sont frappés dans les mêmes con¬
ditions que les Européens : il n’y a pas d’immunité de race.
Y a-t-il même une immunité réelle conférée par la mala¬
die ? C’est peu probable, si l’on en juge par les rechutes,
à échéance éloignée, qui ressemblent fort à des réinfections,
et par ce fait constaté à Kilid-Bahr, par exemple, que des
hommes, ayant eu la fièvre de trois jours en 1921, l’avaient
eue à nouveau en 1922 (Méd. Maj. Roche).
La maladie apparaît généralement avec les moustiques,
et en particulier avec les phlébotomes , que tous les médecins
du Corps d’occupation, sans exception, accusent formelle¬
ment d’être l’agent propagateur du contage. À Kilid-Bahr,
où une grosse épidémie fut parfaitement observée en 1922,
par M. le Médecin-Major de 2 e classe Guillermin, les offi¬
ciers qui logeaient au centre du village, à peu près exempt
de phlébotomes, ne furent pas atteints, pas plus d’ailleurs que
les marins du chalutier « Coquelicot », qui faisait l’arraison¬
nement à Tchanak et qui n’avait pas de phlébotomes à bord.
En revanche, à l’infirmerie de Kilid-Bahr, où pullulaient ces
insectes, tous les occupants, infirmiers et malades, furent
touchés. Le phlébotome est un. petit diptère de 2 à 3 milli-
(1) Dejouany. — Bulletin de la Société des Médecine militaire française ,
n 09 3 et 4 (mars 1925).
128
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
mètres, de forme plus trapue que le moustique courant et
dont les ailes sont relativement plus larges ; il habite les
broussailles desséchées par le soleil, les pierres des murs, les
maçonneries délabrées et les maisons isolées dans la campagne ;
il est plus rare au centre des villages. « Dans ces habi¬
tations, dit M. Guillermin, il se tient, le jour, dans les angles
supérieurs des pièces, dans les placards et tous les recoins;
le soir, il descend en se déplaçant d'une façon caractéristique ,
volant à courte distance, au ras du mur, en décrivant de
petits arcs de cercle de 15 centimètres environ de longueur,
dont la concavité est toujours dirigée en haut, orientés dans
un sens presque horizontal, légèrement obliques, comme le
montre le schéma encontre ; il vole sans bruit et pique sans
avertissement. Sa piqûre est prurigineuse et siège princi¬
palement aux endroits habituellement découverts (face, poi¬
gnets, avant-bras) ; il ne semble pas capable de piquer
comme le moustique, à travers un drap ou un vêtement,
même léger. »,
Le phlébotome est sans doute un réservoir de virus, d’un
virus filtrant, si j’en crois l’opinion du Médecin-Major
Robert, chef du laboratoire du Gul-Hané ; mais quel est
l’agent infectieux ?
La durée de l’incubation n’a pu être déterminée : cer¬
tains la fixent arbitrairement entre deux et sept jours, sans
preuves à l’appui,
La symptomatologie de la fièvre de trois jours a été par¬
faitement décrite ici par nos camarades : début foudroyant
avec température de 39°, 40°, 41° et même 41° 8 (Guiller-
MORBIDITÉ ET MORTALITÉ DU CORPS D’OCCUPATION 129
min) ; céphalée frontale intense, avec globes oculaires dou¬
loureux, rachialgie aiguë, violente, courbature généralisée :
l’homme est littéralement terrassé. La congestion de la face
et du cou, des conjonctives est constante. Le pouls est en
rapport avec la température, sans cependant dépasser 100 :
il est quelquefois singulièrement ralenti, 60 et même 50
pulsations avec 39° de fièvre (Méd. Maj. Durieu). Les phéno¬
mènes gastro-intestinaux sont inconstants et variables dans
leur forme; langue sale, saburrale, même rôtie au début,
mais cédant comme par enchantement ; vomissements ali¬
mentaires ou porracés, douleurs vives épigastriques.
Quelquefois apparaît une éruption du type morbilleux
ou urticarien, généralement très prurigineuse ; on a signalé
(Méd. Maj. Maniel) des troubles nerveux, des réveils d’affec¬
tions éteintes ou en sommeil (un médecin a vu reparaître chez
lui une otite suppurée, refroidie depuis dix ans). Lefoie,lesreins,
la rate, l’appareil respiratoire sont généralement indemnes.
L’affection est de courte durée : la température redevient
normale en trois ou quatre jours ; sa chute régulière ne se
fait pas en lysis comme dans la fièvre typhoïde ; la courbe
est un clocher sans clochetons (Méd. Maj. Le Lyonnais).
La convalescence suit, souvent longue et pénible, traînante ;
elle peut durer de quinze à vingt jours et elle s’accompagne
d’un degré très marqué d’asthénie tenace. Cette forme de
convalescence, si peu en rapport avec la courte durée de la
maladie, un vrai feu de paille, est caractéristique de cette
« fièvre de trois jours ».
Les rechutes ne sont pas rares ; certains l’ont observé
dans 20, 30 et même 50 % des cas, dix à douze jours après la
première atteinte (Guillermin et Garrigues), trois à quatre
semaines (Robert).
Le traitement est purement symptomatique : des pur¬
gatifs, des antithermiques à la période d’état ; puis, pendant
la convalescence, de l’arsenic, du quinquina, delà strychnine.
La prophylaxie vise d’abord la destruction du phlébo-
tome, jusque dans ses repaires ; il ne résiste ni au formol,
ni au crésyl ; le lavage des parois intérieures des habita-
Q
Dejouany
/
130 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
tions avec une solution crésylée à 3 % est efficace. Enfin,
malgré tout ce qu’on a dit et même écrit, on peut se proté¬
ger de l’insecte, au lit, en se servant d’une moustiquaire à
mailles un peu plus serrées que celles des moustiquaires
officielles, et cela sans gêne respiratoire véritable : la ven¬
tilation est suffisamment assurée.
La fièvre des trois jours est-elle la dengue , ou bien une affec-
rion différente ? Les signes sur lesquels on a voulu s’appuyer
pour les séparer sont bien légers, et toute discussion sur ce
point, tant qu’on ne connaîtra pas l’agent infectieux, me
paraît ne devoir rester qu’une discussion byzantine : le
mot est d’occasion. Sans trop m’avancer, je crois pouvoir
affirmer que la plupart des confrères, qui ont vécu en Orient,
partagent l’opinion que la dengue et la fièvre des trois jours
ne sont qu’une seule et même maladie.
Quoi qu’il en soit, c’est une affection bénigne, puisqu’il
n’y a pas 10 0 /O de malades hospitalisés et que, sur plusieurs
milliers de cas observés au Corps d’occupation de Constan¬
tinople, en 1921 et 1922, il n’y a eu aucun décès. Elle offre
cependant son intérêt ; les jeunes médecins, appelés à servir
dans le bassin oriental de la Méditerranée, doivent la bien
connaître, d’abord pour ne pas la confondre, au début du
moins, avec d’autres infections de grande gravité, et aussi
parce que la massivité des atteintes disloquant les unités,
il leur appartient de documenter et de rassurer le Commande¬
ment, toujours inquiet, quand il s’agit de fonte des effectifs ».
La Dysenterie. — La dysenterie amibienne est peut-être, de
toutes les maladies contagieuses, celle qui s’est montrée avec
le plus de constance. Rares sont les mois, où l’on ne retrouve
pas trace de ses atteintes. Cela n’est pas pour nous
étonner, si nous nous rappelons les défectuosités du milieu
civil dans lequel étaient placés nos soldats, et les risques de
contamination auxquels ils étaient exposés en dehors des
cantonnements, dans les restaurants, dans les cafés, chez
les marchands de fruits, de crudités, de limonade. Ce qui est
surprenant même, c’est que l’on ne relève en trois ans
MORBIDITÉ ET MORTALITÉ DU CORPS p’oÇCUPATION 131
que 176 cas de dysenterie amibienne. Une vingtaine de
çes derniers se rapportent à l’automne 1922, à la période
des déplacements de troupes qui, après la menace Grecque
sur Constantinople, assurèrent les relèves du secteur
d’Hademkeuy-Tchataldja. Les Unités, venues en ren¬
fort de l’Armée du Levant, furent plus particulièrement in¬
téressées ; elles comptaient déjà dans leurs rangs des sujets,
ayant eu de l’amibiase en Syrie ; ceux-ci apportèrent
des kystes amibiens, qui provoquèrent vraisemblablement
la poussée, constatée à ce moment-là, et d’ailleurs vite
jugulée. Mais pendant l’été 1923, l’affection prit une allure
franchement épidémique, se traduisant par 104 cas, dont
17 en juin, 66 en juillet, 13 en août, 8 pendant la première
quinzaine de septembre. Parallèlement à cette épidémie, se
manifestèrent un grand nombre d’affections des voies diges¬
tives, des entérites dysentériformes, des embarras gastriques.
Les diarrhées glaireuses et rosées, non amibiasiques, furent
assez fréquemment observées. Elles sont au surplus de consta¬
tation presque courante dans le milieu civil. Le micros¬
cope décela cependant assez souvent la présence d’amibes
dans les selles de malades, chez lesquels le syndrome dysen¬
térique était à peine ébauché, ou bien même était absent.
Le traitement des malades atteints d’amibiase fut conduit
suivant la méthode de Ravaut : émétine, novarsénobenzol.
U donna des résultats tout à fait rapides et favorables. Le
stovarsol, essayé par l’un d’entre nous, après l’épidémie, sur
lui-même et sur deux dysentériques chez lesquels la thé¬
rapeutique par l’émétine et le novarsénobenzol n’avait eu
qu’une action imparfaite, s’est montré en très peu de jours
d’une efficacité absolument remarquable. Il semble que Ton
ait en ce produit un agent de tout premier ordre, qu’il serait
intéressant d’expérimenter sur un grand nombre de malades,
La dysenterie bacillaire n’a occasionné, à l’inverse de l’ami¬
bienne, qu’un très petit nombre d’atteintes, sept en 3 ans;
quatre d’entre elles étaient dues au bacille de Shiga et ont été
heureusement influencées par la sérothérapie spécifique-
trois étaient dues au bacille de Flexner ou de Hiss,
132 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
La mortalité s’est traduite par 2 décès, tous les deux sur¬
venus pendant la grosse épidémie de juillet 1923 ; 1 un chez
un Sénégalais, à la suite d’une dysenterie amibienne à type
extrêmement grave ; l’autre, constaté chez un soldat Métro¬
politain, a été consécutif à une association de dysenterie
‘ bacillaire et de dysenterie amibienne.
Le paludisme. — A Constantinople et ses abords, aux
Dardanelles et dans la plus grande partie de la Thrace Orien¬
tale, l’index endémique est très faible. De plus, si les mous¬
tiques, genre Culex, y pullulent, les Anophèles en revanche
y sont peu nombreux. Ces conditions ne pouvaient donc
faire redouter une morbidité élevée par l’infection palu¬
déenne. Aussi, dès le début de l’occupation de ces régions
par les contingents de l’Armée d’Orient, aucun cas de palu¬
disme primaire n’y a été constaté, et la pratique de la quinini¬
sation préventive y a été jugée inutile. Au cours de l’été 1920,
des atteintes de paludisme de première invasion donnèrent
l’alarme. L’augmentation et la dissémination des réservoirs
de virus, représentés par les anciens paludéens existants
dans les régiments d’indigènes Nord-Africains ou de Séné¬
galais, imposa, par précaution, la quininisation préventive et
l’usage de la moustiquaire aux troupes stationnées dans
les localités situées à l’ouest de Constantinople, Zeitin-
Bournou, Makrikeuy, San Stéfano, ainsi que dans la pres¬
qu’île de Gallipoli et à Hademkeuy-Tchataldja. Ces mesures
de préservation furent ordonnées à nouveau, les années sui¬
vantes, du 15 avril au 15 octobre. Elles n’étaient certes pas
superflues. Au cours de l’été 1922 et de celui de 1923, l’appa¬
rition, en différents points, d’un certain nombre de cas de pa¬
ludisme de première invasion montra qu’elles étaient abso¬
lument nécessaires,les anophèles, existants par endroits, pou¬
vant trouver à s’infecter auprès des militaires impaludés ou
même parmi la population civile. Elles durent être étendues
et renforcées.
En août 1922, quatre cas de paludisme primaire furent
observés chez des militaires venus en renfort de l’Armée du
Vw'
MORBIDITÉ ET MORTALITÉ DU CORPS D OCCUPATION 133
Levant, et tombés malades aussitôt après leur débarquement
à Constantinople ; un autre cas fut noté chez un spahi
Marocain, contaminé dans le secteur d Hademkeuy-
Tchataldja. Enfin huit autres survinrent chez les
hommes d’un régiment métropolitain, presque tous des
sapeurs, qui avaient séjourné dans les champs de tir des en¬
virons de Constantinople, où leur régiment avait effectué
des exercices. Ce fut là un fait nouveau. L’attention n’avait
jamais été attirée du côté de ces zones d’impaludation. Une
enquête minutieuse montra, qu’il existait dans ces der¬
nières des gîtes d’anophèles et des réservoirs de virus,
représentés par des soldats Turcs, préposés à la gai de d un
certain matériel de guerre Ottoman, et chez lesquels l’exa¬
men du sang fut tout à fait concluant. Les mesures qui
s’imposaient, et qui étaient pratiquement réalisables,
furent prises immédiatement.
Les mois suivants, grâce à ces mesures, deux cas seulement
se produisaient dans ces champs de tir. Mais un nouveau
foyer se révélait ; 10 artilleurs du groupe d’artillerie de Ra-
mis, cantonnement resté jusque là indemne, entraient à
l’hôpital, présentant les symptômes du paludisme primaire.
Les anophèles, apparus contre toute attente en ce point,
s’étaient infectés auprès de porteurs de germes qu’avait
emmenés avec lui le 415 e R. I., régiment qui, dès son arrivée
de l’Armée du Levant, avait occupé la caserne d’artillerie
pendant quelques jours ; ils inoculèrent ensuite les artilleurs
qui étaient venus se substituer au 415 e R. I., dans cette
même caserne, à leur retour du secteur d’Hademkeuy. Là
aussi, la lutte fut engagée contre l’infection et contre les
agents porteurs de virus;les atteintes diminuaient aussitôt.
Il n’en était plus observé que six le mois suivant, pendant
lequel des cas isolés survenaient également à Hademkeuy,
à Lulé-Bourgas en Thrace Orientale occupée, à Tchanak où
une compagnie stationna pendant une semaine aux côtes des
Anglais, au moment de l’avance Kémaliste sur les détroits.
Ainsi donc, pendant l’été 1922, le paludisme occasionna
25 atteintes, pour redevenir silencieux les mois suivants.
134
LÉS ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
Il fit sa réapparition en juillet 1923. Mais dans les champs
de tir et à Ramis, l’infection Se heurta anx mesures prophy¬
lactiques précoces, dont l’expérience faite 1 année précé¬
dente avait montré l’intérêt ; deux cas furent observes à
Ramis, aucun ne survint aux champs de tir.
Par contre, le bataillon d’infanterie et 1 escadron de spahis,
stationnés à Kara-Agatch, allaient payer un certain tribut
à l’infection. La région marécageuse de la Maritza est loin
d’être aussi salubre que le territoire de la Turquie d Europe.
Les anophèles y abondent et l’index endémique de la popu¬
lation civile est, suivant l’opinion des médecins qui soignent
cette dernière, assez élevé. Il s’agit donc là d une zone tout
à fait différente de la zone Turque. Du 1 er août au 15 sep¬
tembre, 27 malades de la garnison de Kara-Agatch, présen¬
tant des manifestations de paludisme primaire, furent admis
à l’hôpital de Gul-Hané, à Constantinople. Les mesures pro¬
phylactiques avaient cependant été prescrites dès le mois
d’avril ; mais furent-elles intégralement appliquées par tous ?
Le sang de 25 malades atteints de paludisme de l re Invasion,
examiné au mois d’août 1923, a décelé : chez 9 de ces malades
la présence du plasmodium vivax, chez 11,1a présence du
plasmodium malariae , chez les 5 derniers, la presence du
plasmodium proecox. Il y a eu en général chez les paludéens
prédominance du plasmodium malariae , de janvier a juillet,
et au contraire prédominance du plasmodium proecox d août
à décembre.
Des formes cliniques tout à fait embarrassantes ont été
observées, particulièrement chez des malades présentant des
accidents de première invasion ou de réinfection avec mani¬
festations viscérales précoces, prononcées, portant notamment
sur le foie et l’intestin, et dont la véritable nature ne fut
déterminée que par l’examen microscopique du sang.
En résumé, il a été constaté au Corps d Occupation pen¬
dant 3 années, 66 cas de paludisme de première invasion,
120 cas de paludisme secondaire : c’est peu. De toutes les
régions qui ont été occupées en Turquie d’Europe par nos
troupes, seule la zone de Kara-Agatch, comme toute celle
MORBIDITÉ ET MORTALITÉ DU CORPS D OCCUPATION 135
de la Maritza d’ailleurs, est réellement insalubre au point
de vue du paludisme. La banlieue ouest de Constantinople
et la presqu’île de Gallipoli sont très suspectes ; les autres
sont plus saines. Il ne faudrait pas les considérer cependant
comme ne présentant aucun danger. Les anophèles y existent,
peu nombreux il est vrai, en beaucoup d endroits ; ils peuvent
apparaître à la faveur de conditions climatiques particu¬
lièrement favorables, en des points qui sont considérés comme
étant habituellement indemnes, et puiser l’hématozoaire
dans des réservoirs de virus mobiles. L’attention la plus vi¬
gilante s’impose donc ; de même sont indiquées les mesures
de prophylaxie usuelle et de quininisation préventive.
La diphtérie. — Chose surprenante, cette affection n’a
pas été observée au Corps d’Occupation pendant les trois
derniers mois de l’année 1920, pendant toute l’année 1921
et pendant les 4 premiers mois de l’année 1922. Il faut arriver
au mois de mai 1922, pour trouver trace de sa première mani¬
festation. Encore n’a-t-elle occasionné ce mois qu’un seul cas.
Elle disparaît en juillet, pour reparaître en août. Elle a donné
lieu alors à une petite épidémie de 18 cas, qui sévit parmi
les Unités arrivées en renfort du Levant, par lesquelles elle
avait d’ailleurs été importée. Dans la suite, l’affection n’a
cessé de manifester une certaine activité ; plusieurs cas spo¬
radiques furent observés tous les mois, aboutissant pendant
l’été 1923 à une nouvelle épidémie de 38 cas, ayant intéressé
différentes unités de la garnison de Constantinople (31 cas),
et les troupes stationnées à Kara-A.gatch sur la Maritza (7
cas). Cette épidémie put être jugulée grâce aux mesures
prises, à la recherche et à l’isolement systématique des por¬
teurs de germes. Elle était à peine éteinte cependant au mo¬
ment du rapatriement du Corps d’Occupation, 39 porteurs
de germes durent rester isolés jusqu’au dernier jour ; ils
furent envoyés en France le 26 septembre, au moment de
l’évacuation de Constantinople, par le bateau-hôpital « Le
Tourville », à bord duquel ils restèrent en observation jus-
à leur arrivée dans la Métropole.
136 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
Au total, la diphtérie a occasionné en trois ans 78 atteintes,
dont 1 seul décès survenu à l’occasion de la poussée épidé¬
mique de l’été 1923, chez un militaire de la garnison de Kara-
Agatch, qui succomba presque subitement à l’hôpital de
Gul-Hané à Constantinople, 24 heures après son arrivée ;
il fut emporté par une intoxication bulbaire brutale, bien
qu’il n’ait présenté qu’une angine d’apparence bénigne et
à exsudât tardif.
La scarlatine. — Quelques cas de cette affection se sont
bien manifestés dans le Corps d’Occupation au cours de
l’année 1921, mais ils ont été isolés et n’ont pas constitué
un foyer menaçant pour la collectivité. En décembre 1921,
2 cas surviennent parmi des hommes, arrivés quelques jours
auparavant en renfort de France, en provenance du Cen¬
tre de rassemblement d’Avignon et du Camp-Ste-Marthe,
à Marseille, où la contamination s’était faite avant l’embar¬
quement. Au début de l’hiver 1922, l’affection prit une
allure épidémique, s’essaimant un peu partout dans les diffé¬
rents casernements, occasionnant 2 atteintes en novembre
et en décembre, 3.en janvier 1923, 10 en février, 12 en mars
6 en avril, 9 pendant les trois mois qui suivirent. Grâce aux
moyens mis en œuvre, les divers petits foyers, apparus en
plusieurs points, ne purent prendre un sérieux développe¬
ment. Cette petite épidémie fut sans doute importée de
France par le croiseur cuirassé « Metz », à bord duquel un
cas de scarlatine se produisit dès l’arrivée du bâtiment en
rade de Constantinople, fin novembre. Ce cas fut suivi,
parmi l’équipage du navire, de 5 autres en décembre et de
4 en janvier 1923, soit 10 cas constatés chez des marins, et
qui, joints à ceux observés parmi nos troupes, portent à
52 cas le nombre total des atteintes de scarlatine pendant
cette année 1923.
Cette manifestation épidémique fut inquiétante, non pas
à cause de sa tendance à la dissémination, mais par la gra¬
vité des atteintes : 4 de nos malades et 3 matelots succom¬
bèrent en peu de jours à une forme ataxo-adynamique. Le
MORBIDITÉ ET MORTALITÉ DU CORPS D’OCCUPATION 137
personnel de l’hôpital de Gui-Hané, chargé de les soigner,
fut très éprouvé ; la maladie frappa le Médecin traitant de la
Division des Contagieux et 2 infirmiers, dont l’un fut emporté.
La méningite cérébro-spinale. — Cette affection n’a occa¬
sionné que quelques atteintes rares et isolées, pendant les
deux premières années du séjour du Corps d’Occupation.
Au cours des 6 premiers mois de l’année 1923, elle fit son
apparition dans plusieurs unités, témoignant d’une activité
plus grande, d’une certaine tendance à se diffuser ; mais à
aucun moment, elle ne provoqua la formation de foyers épi¬
démiques. Ses atteintes furent sévères ; au total, 27 cas (dont
23 en 1923) et 10 décès ; soit 37 p. 100 de mortalité.
L© typhus exanthématique. — Cette affection est une
de celles, contre lesquelles la collectivité militaire a été le
mieux défendue, puisqu’en 3 ans elle s’est signalée par 22
atteintes seulement, dont 4 décès. “Notre camarade, le
Médecin-Major de 2 e classe Corroy, succomba victime de
son dévouement, frappé par la maladie au lit des typhiques
qu’il soignait en janvier 1921, à l’Hôpital de Sélimié. La
plupart de ces 22 atteintes se sont manifestées parmi nos
troupes pendant l’hiver 1920-1921, en étroite relation avec
l’épidémie de typhus qui sévit à ce moment là parmi les
Réfugiés Russes, recueillis dans les hôpitaux du Service de
santé Français. Quelques cas isolés apparurent l’hiver sui¬
vant, 3 cas pendant l’été 1922, un seul pendant l’année 1923,
en janvier.
A aucun moment, par conséquent, la maladie n’a pris l’ex¬
tension qu’aurait pu faire redouter son endémicité dans la
capitale, entretenue d’ailleurs par des éléments Russes de
l’Armée Wrangel qui s’étaient fixés à Constantinople (voir
chapitre vu). Le danger fut cependant conjuré grâce aux
mesures d’hygiène et de désinfection, qui furent rigoureu¬
sement et inlassablement appliquées. L’appareil à douches
et l’étuve existaient dans les moindres cantonnements, et
suivaient les troupes dans leurs déplacements.
j38 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
Les marins furent assez éprouvés par le typhus exanthé-
matique, puisqu’ils présentèrent 18 cas de cette maladie»
(dont 1 décès). En octobre 1922,12 hommes de l’équipage
du croiseur cuirassé « Jean Bart » furent atteints en quelques
jours. Ils avaient été contaminés à l’occasion des operations
de sauvetage de réfugiés, auxquelles ils avaient participé
fin septembre à Smyrne, lors de l’incendie de la ville.
Les infections typhoïdes. — Comme le typhus exanthé¬
matique, les infections typhoïdes existent à l’état endémique
parmi la population. Comme lui, elles ont donné lieu par
moments à des épisodes aigus, inquiétants, mais le gros nuage
est passé sur nos têtes. Rarement, en effet, on trouve réunies,
en un même lieu, des conditions aussi propices au développe¬
ment des infections typhoïdes et à leur dissémination : eaux
polluées, infiltrations souterraines, légumes, salades et fruits
consommés crus et souillés dans les cultures maraîchères,
ou encore exposés aux étalages à toutes les-souillures de
l’air et des mains, hygiène générale civile inexistante, etc...
etc... Et cependant les infections typhoïdes n’ont occasionné
en 3 ans qu’un nombre peu élevé d’atteintes, grâce à l’emploi
de cette admirable vaccination anti-typho-paratyphoïdique,
dont nous avons précisé dans le chapitre précédent les
modalités d’application.
Le nombre de fièvres typhoïdes a été de 23, avec 1
décès ; il y eut 2 cas de paratyphordes A, sans décès
et 7 paratyphoïdes B, avec un décès. Ces 32 atteintes
se répartissent sur les 36 mois, pendant lesquels a duré
l’Occupation. A aucun moment, elles n’ont été groupées
en foyers ; jamais l’affection n’a présenté une allure mas-
sive.
Les marins ont eu de leur côté :.
Fièvre typhoïde : 16 cas, dont 3 décès.
Para-typhoïde : 2 cas, sans décès.
Ces chiffres constituent, eu égard aux effectifs, une propor¬
tion d’atteintes, bien supérieure à celle constatée dans le Corps
d’Occupation. La vaccination est bien réalisée dans la Manne,
MORBIDITÉ ET MORTALITÉ DU CORPS d’oCCUPÀTION 139
comme dans les troupes métropolitaines, mais la pratique
des injections se heurte à des difficultés d’application, qui
tiennent aux nombreux déplacements imposés aux équi¬
pages et à leur genre de vie spécial, qui rendent malaisé
l’indispensable contrôle.
La varicelle. — 25 cas de varicelle ont été observés en 3
ans 15 étaient groupés en un petit foyer épidémique ayant
évolué;pendant les trois derniers mois de l’Occupation, dans
un contingent de Sénégalais, arrivés en renfort de la Métro¬
pole, d’où le premier cas avait vraisemblablement été im¬
porté.
La variole. — Cette redoutable affection existe à l’état
endémique parmi la population civile. Elle se réveille chaque
hiver, et fait d’assez nombreuses victimes. Elle donna lieu,
à la fin de l’année 1922 et au début de l’année 1923, à une
épidémie des plus meurtrières, allumée en plein cœur de
Constantinople par des Réfugiés Grecs, arrivés dans la ville
après l’évacuation de l’Anatolie. Tous les militaires du Corps
d’Occupation de Constantinople furent alors systématique¬
ment revaccinés , ainsi que les familles d’officiers et de sous-
officiers ; mais, avant même que cette mesure n’ait eu son
plein effet, 2 cas de variole apparaissaient dans la popula¬
tion militaire. Le premier frappa, en janvier, un gendarme,
vivant un peu en dehors de toute surveillance médicale, em¬
ployé à la Base Militaire à la vérification des passeports des
passagers et réfugiés. Ce gendarme était ainsi, plus que qui¬
conque, exposé à la contagion. Il avait été vacciné avec un
succès douteux un an auparavant. Il mourut de variole
hémorragique.
A la Caserne Ney, où ce gendarme avait son domicile, un
2 e cas de variole, peut-être en rapport avec le précédent,
fut constaté chez la femme d’un gendame également em¬
ployé à la Base militaire. La malade ne présenta qu’une va¬
riole bénigne, heureusement terminée en quelques jours par
la guérison. Le mois suivant, la femme d’un Officier Payeur fut
140 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
atteinte à son tour de variole hémorragique, à laquelle elle
succomba. Elle s’était fait vacciner quelques jours avant
le début de sa maladie, qui la surprit en période d’immuni¬
sation. Enfin, quelques semaines plus tard, la femme d un
capitaine qui avait commis l’imprudence, malgré les con¬
seils de l’un de nous, de venir à Constantinople sans se
faire revacciner, mourait de broncho-pneumonie survenue
au 15 e jour d’une variole de gravité moyenne. Elle avait
négligé de se soumettre, dès le début de l’épidémie apparue
en milieu civil, aux opérations de revaccination, auxquelles
toutes les familles avaient été invitées de la façon la plus
pressante.
Au cours de l’année 1921, deux cas de variole avaient ete
déjà constatés chez des militaires du Corps d Occupation.
L’un d’eux succomba aux atteintes d’une variole hémorra¬
gique ; il avait été vacciné sans succès à son corps en France,
plusieurs mois auparavant ; à son arrivée à Constantinople,
par suite de circonstances malencontreuses (dont le mé¬
decin n’était d’ailleurs pas responsable), il ne fut pas re¬
vacciné, bien qu’il fut ordonné de soumettre àla série des vac¬
cinations les arrivants, dont les livrets n étaient pas tout à
fait en règle. Moins de trois mois après son débarquement,
il entrait à l’hôpital pour la plus évitable des maladies. Ceci
illustre singulièrement tout ce que nous avons écrit plus haut,
sur le soin avec lequel les hommes envoyés aux T. O. E. de¬
vraient être vaccinés à leur départ, et le contrôle farouche
qu’il appartient aux Chefs d’exercer sur la stricte applica¬
tion des mesures prescrites.
Le second de ces militaires un sous-officer d’un régiment
d’infanterie, présenta en avril 1922 une variole, d’évolution
bénigne. Il avait été vacciné 6 mois auparavant avec un
résultat qualifié : « Succès positif » !
Les épidémies au début de l’année 1923. - Ainsi que nous
l’avons signalé, une épidémie de grippe, de rougeole et
d’oreillons a sévi sur le Corps d’Occupation, pendant les
premiers mois de l’année 1923. La période, pendant laquelle
MORBIDITÉ ET MORTALITÉ DU CORPS D’OCCUPATION 141
ces épidémies se manifestèrent, s’étend des derniers jours
de janvier à la fin de mai. Elle revêtit, on le conçoit, une
physionomie toute particulière. Ce fut, au point de vue sa¬
nitaire, la période de beaucoup la plus troublée, la plus in¬
quiétante même du séjour du Corps d’Occupation ; aussi
méritait-elle une relation spéciale.
1° La Grippe . — Cette affection a fait son apparition
vers le 25 janvier, alors que l’état sanitaire était partout
satisfaisant. L’éclosion inattendue d’affections des voies
respiratoires, à allure grippale, vint subitement le grever
lourdement et transformer la situation, occasionnant en
peu de jours une augmentation considérable des indisponi¬
bilités dans les Corps, et amenant dans les Infirmeries ainsi
que dans les hôpitaux une grande affluence de malades.
Presque sans transition, le chiffre des entrées à l’hôpital
s’éleva à lui seul de 10 à 25 et 30 par jour ; les affections
dominantes étaient les trachéites, les rhinites, les trachéo¬
bronchites, les congestions pulmonaires, les broncho-pneu¬
monies ; leur allure, leurs caractères cliniques, leur
rapide diffusion permirent de les attribuer dès le début à
l’infection grippale.
Elles prirent, dans le courant de février, un développe¬
ment considérable. Limitées d’abord aux jeunes soldats, qui
venaient d’arriver en renfort de la Métropole, elles s éten¬
dirent ensuite aux anciens soldats, qui furent cependant
atteints dans une bien moins grande proportion. Les jeunes
soldats, qui furent les premiers touchés, avaient débarqué à
Constantinople pendantla deuxième quinzaine de janvier. Cer¬
tains signalèrent, lors de l’enquête étiologique qui fut entre¬
prise auprès de tous les malades, qu ils avaient eu froid dans
les Centres de rassemblement de France avant l’embarque¬
ment, ou à bord des navires qui les avaient amenés. Il ne
fut pas possible de préciser les faits. Les recherches, auxquelles
fit procéder à Marseille et à Avignon le Ministre de la Guerre,
montrèrent que l’hébergement des renforts dans ces villes,
ainsi que les opérations d’embarquement, avaient ete effec¬
tués avec des précautions suffisantes. Peut-être l’affec-
142
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
tion est-elle imputable à la contamination de ces sujets par
la population civile de Constantinople, parmilaquellela grippe
était déjà signalée dans le courant de janvier.
" Un fait particulier mérite d’être souligné. Les jeunes sol¬
dats, qui firent, avant tous les autres, les frais de l'infection
grippale, comptaient à peine deux mois de service au mo¬
ment de leur départ pour les T. O. E. Ils furent mis en route
é la mauvaise saison, encore insuffisamment débrouillés
«t adaptés aux conditions de la vie militaire. Après de mul¬
tiples déplacements qui n’allèrent pas sans fatigues, ils arri¬
vèrent à Constantinople à la période la plus défavorable
de l’hiver, au moment où le climat est le plus agressif. Il est
difficile de définir l’influence, qu’ont pu avoir ces divers
facteurs sur l’origine et le développement de l’épidémie. Les
considérations qui précèdent autorisent cependant à penser,
qu’il est prudent de ne pas envoyer des hommes aux T. O. E.
avant que n’ait été réalisée chez eux, dans les corps de la
Métropole, par un entrainement progressif, une adaptation
parfaite aux conditions matérielles de l’existence militaire;
cette adaptation ne semble pas pouvoir être obtenue en
deux mois.
Quoi qu’il en soit, l’épidémie de grippe, après avoir atteint
une grande intensité pendant le mois de février, commença à
décroître légèrement en mars. Fléchissant ensuite franche¬
ment et progressivement en avril, elle s’éteignait dans la
première quinzaine de mai. Elle était complètement terminée
à la date du 15. Elle avait frappé presqu’exclusiveraent les
troupes de la place de Constantinople et celles des garnison*
voisines de Remis et Maltépé. Elle avait épargné à peu près
complètement les places de Makrikeuy et de San Stefanô,
celles plus éloignées de Gallipoli et de Kihd-Bahr. A Hadem-
keuy et Tchataldja, elle avait manifesté quelque activité,
mais sans revêtir à aucun moment une allure inquiétante.
Dans ses foyers principaux à Constantinople, à Ramis et k
Maltépé, toutes les Unités sans exception lui payèrent un
lourd tribut. Le tableau comparatif suivant indique, par
anciens et jeunes soldats, le nombre d’atteintes du début à
I
MORBIDITÉ ET MORTALITÉ DU CORPS D’OCCUPATION 143
la fin de l’épidémie. Par jeunes soldats , il faut entendre les
militaires du 2 e échelon de la classe 1922, arrivés quelques
jours à peine avant le commencement de l’épidémie. Les
anciens soldats comprennent tous les militaires du 1 er éche¬
lon de la classe 1922, qui se trouvaient au Corps d’occupa¬
tion depuis plusieurs mois quand éclata l’épidémie, et les
autres catégories de militaires.
DU 25
JAKVIF* AU
28 février
DU le*
AO
31 Mars
DU 1«
AU
30 Avril
DU l«r
AU
15 Mai
TOTAL 1
!
Anciens 1
! ' 350
220
45
10
625
Exempts
soldats )
)
de
Jeunes )
' 1,000
760
315
120
2.195
Service
•oldats )
1
Total..
1.350
980
360
130
2.820
Anciens ,
i ■
)
1
80
60
25
15
180
I
soldats 1
)
î Entrés
Jeunes
)
à l’Infir¬
soldats
( 150
160
120
45
475
merie
Total..
230
220
145
60
655
Anciens
( 70
50
20
5
145
soldats
Il Entrés
Jeunes
1 à
220
130
70
21
441
soldats
B T Hôpital
.
1
Total..
290
180
90
26
586
Il n’a pas été tenu compte des catégories (Métropolitains,
Indigènes nord-africains, Indigènes coloniaux) auxquelles
appartiennent leë militaires atteints, les garnison^ des loca¬
lités, dans lesquelles la grippe a sévi, étant composées surtout
d’éléments métropolitains et ne comprenant qu’une propor¬
tion peu élevée d’indigènes de l’Afrique du Nord. Les
troupes sénégalaises des autres garnisons ont été à peu près
144 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
épargnées ; les quelques atteintes signalées dans leurs rangs
ont été, en revanche, tout à fait graves.
L’épidémie a occasionné, du 25 janvier au 15 mai, 29 dé»
cès qui se répartissent ainsi qu’il suit : 12 anciens soldats
(1er échelon de la classe 1922 et autres classes), 11 jeunes
soldats (2 e échelon de la classe 1922) et 6 Indigènes, dont
3 Sénégalais et 3 Indigènes N. A.
Sur ces 29 décès, 1 est survenu fin janvier, 15 en février,
7 en mars, 5 en avril et 1 en mai.
2° La rougeole. — L’épidémie de rougeole a commencé
en même temps que l’épidémie de grippe. Dans le courant
de janvier, quatre cas, en effet, étaient constatés dans les
Unités de la Place de Constantinople et de Ramis. Les trois
premiers, ne paraissant avoir aucun lien entre eux,
étaient vraisemblablement en rapport avec les atteintes
endémiques, qui étaient observées parmi la population civile.
Le quatrième concernait un homme arrivé en renfort de
France, le 24 janvier, et hospitalisé le jour même. Ces
quatre cas étaient suivis rapidement de beaucoup d’autres.
L’épidémie se diffusait dans toutes les casernes de Constan¬
tinople, s’étendait à Zeitin-Bournou, occasionnant 68 at¬
teintes du 1 er au 28 février, 92 du 1 er au 31 mars. A partir
de ce moment elle décroissait progressivement, tombait à
47 cas en avril, 23 en mai, 7 en juin ; les 5 derniers cas
étaient observés en juillet. Le chiffre total des atteintes était
donc de 246.
L’épidémie, plus étalée que l’épidémie de grippe, éche¬
lonnée sur 6 mois de l’année, occasionna 19 décès, dont un
pour endocardite infectieuse et 18 pour broncho-pneumonie.
Ces décès se répartissent ainsi qu’il suit : 2 en février, 5 en
mars, 6 en avril, 2 en mai et 4 en juin.
3° Les oreillons. — L’épidémie d’oreillons a pris nais¬
sance presque en même temps que les épidémies de grippe
et de rougeole. Nous trouvons, en effet, à son origine, 4 cas
au mois de janvier, 3 au bataillon d’infanterie caserné à
Maltépé, 1 dans une compagnie du génie stationnée à Cons¬
tantinople. L’étiologie de ces cas ne put être établie. Ils
MORBIDITÉ ET MORTALITÉ DU CORPS D’OCCUPATION 145
doivent vraisemblablement être dus à la contagion urbaine.
En février, 7 cas nouveaux se produisent dans les mêmes
Unités et dans d’autres de la Place de Constantinople et de
Ramis. Ils deviennent le centre de foyers, qui se dévelop¬
pent rapidement pendant le mois de mars • du 1 er au 31 mars,
on relève 113 cas. L’épidémie se propage à la garnison de
Zeitin-Bournou. Elle décroît à partir du mois d’avril (83 cas) ;
son fléchissement s’accentue en mai (66 cas), en juin (11 cas),
elle s’éteint complètement au mois de juillet, pendant lequel
elle n’occasionne que 7 atteintes. Le total des cas de janvier
à juillet est de 291, tous limités aux garnisons de Constanti¬
nople, Zeitin-Bournou, Ramis, Maltépé, Makrikeuy. — San
Stefano, Hademkeuy, Gallipoli, Kara-Agatch restèrent
indemnes. Aucun des cas observés ne revêtit de gravité.
L’épidémie fut surtout gênante par l’étendue de son déve¬
loppement, et par l’encombrement qu’elle entraîna dans les
infirmeries régimentaires et les hôpitaux.
Les chiffres suivants montrent quelle répercussion eut sur
la morbidité générale le développement concomitant de ces
trois épidémies, dont nous venons de tracer l’histoire à
grands traits.
MOIS
Effectifs
EXEMPTS
DB
Service
ENTRÉS
A
l'Infirmerie
ENTRÉS
l’HôpiUI
Novemb.1922
9.960
1.961
321
217
Décembre
»
9.313
2.743
336
267
Janvier 1923
9,565
2.893
315
265
Épidémies de '
^Février
»
9.597
5.183
458
608
Grippe, Rougeole
/Mars
»
9.939
4.892
523
593
et Oreillons
iAvril
»
10.344
3.788
486
490
(Mai
»
9.829
3.186
427
448
Fièvre de 3 jours
(Juin
»
9.654
4.477
640
354
et Dysenterie
^Juillet
»
9.694
6.190
846
451
amibienne
Août
i
»
9.332
4.452
579
312
La lecture de ce tableau montre que l’état sanitaire resta
Dbjouany
10
146 LES ALLIÉS A CONSTANTinOPLE
lourdement, chargé, longtemps après la fin des épidémies,
dont nous venons de parler. La dysenterie amibienne et la
fièvre de trois jours, apparues uè- le mois de juin, au mo¬
ment où Ton était en droit d’espérer une détente, expliquent
en grande partie la persistance d une morbidité élevée. Par
ailleurs, la grippe et la rougeole, qui avaient frappé nos
troupes avec force, laissèrent beaucoup de sujets dans un
état de moindre résistance physique, qui les rendit très ré¬
ceptifs à l’égard d’autres affections.
L’afflux massif de malades dans les formations sanitaires
créa de grandes difficultés. Les différents services furent
comprimés et resserrés dans les hôpitaux ; de nouvelles
salles purent ainsi être ouvertes, pour loger des grippés et
des rougeoleux. On fut amene à faire fléché de tout bois, et
à installer les malades partout où il était possible de monter
des lits. Il fallait renoncer à trouver ailleurs dans Coristan-
tinople des bâtiments ou autres établissements, suscep¬
tibles d’être utilisés pour satisfaire des besoins aussi excep¬
tionnels. La ville surpeuplée n’offrait, pour l’hospitalisation
de nos soldats, aucune disponibilité. Nos ressources, très
limitées en personnel, ne nous permettaient pas d’ailleurs
de songer à créer de nouvelles formations- L’infirmerie-
ambulance Corroy permit heureusement de résoudre l’an¬
goissant problème qui se posait. Les malades vénériens et
cutanés, qu’elle abritait, furent refoulés dans des locaux, qui
furent cédés au Service de santé dans la caserne de Maltépé
(Henrys), presque mitoyenne. Les petits malades de l’hôpital
de Gul-Hané ou Giffard leur furent substitués, laissant
ainsi dans ces deux formations des places vacantes pour les
hospitalisés graves. Dans la suite, l’aménagement à l’infir-
merie-ambulance Corroy d’une baraque, spécialement affec¬
tée aux oreillons, dégagea les services de Gul-Hané qui
purent héberger, sans trop de gêne, tous les autres conta¬
gieux. Ces faits confirmèrent la justesse de la prévision qui
avait conduit, au début de l’année 1922, à l’organisation
de l’infirmerie-ambulance Corroy pour y recevoir les véné¬
riens et les cutanés en temps normal, et surtout pour servir
MORBIDITÉ ET MORTALITÉ DU CORPS d’OCCUPATION 147
de formation de réserve pour les autres hôpitaux, s’il se
produisait une grave épidémie, toujours à redouter à Constan¬
tinople.
Par ailleurs, le Service de santé n’eut qu’à se féliciter
d’avoir su, avec vigueur, résister aux offensives qui avaient
cherché à le dépouiller des hôpitaux Giffard et Gul-Hané;
cela prouve combien prudente doit être la conduite du
Chef, en matière de prévisions hospitalières.
Le personnel très réduit du Service de santé eut, on le
conçoit, à l’occasion de ces épidémies et de la période pénible
qui suivit, une tâche des plus ardues. Il dut être augmenté.
Des infirmières furent recrutées sur place, des employés
furent embauchés. Les corps de troupe fournirent aux for¬
mations un grand nombre de subsistants. Les bras ne man¬
quèrent pas. Ce qui fit défaut, c’est le personnel soignant
qualifié. Le dévouement, l’activité laborieuse et la bonne
volonté de tous permirent cependant de faire face aux diffi¬
cultés réelles, auxquelles se heurta l’exécution du service, et
nos soldats n’eurent *pas à pâtir de cette crise.
La Mortalité du Corps d’occupation, dont nous avons déjà
dit quelques mots, s’est traduite, au cours des trois années,
par les chiffres suivants :
Première année (1 er Octobre 1920 au 30 Septembre 1921)
62 décès dus à
2 Méningites cérébro-spinales.
1 Typhus exanthématique.
19 Affections de l’appareil respiratoire.
5 Tuberculoses.
31 Affections générales non contagieuses,
4 Accidents.
Deuxième année (1 er Octobre 1921 au 30 Septembre 1922)
1 2 Typhus exanthématique.
1 Fièvre typhoïde.
1 Variole hémorragique.
8 Affections de l’appareil respiratoire.
7 Tuberculoses.
7 Affections générales non contagieuses.
1 Aocidont.
148
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
Troisième année (1" Octobre 1922 au 30 Septembre 1923)
I 29 Grippes.
20 Rougeoles.
2 Varioles.
4 Scarlatines.
1 Dysenterie.
114 décès dus à < $ Méningites cérébro-spinales.
1 Paratyphoïde B.
13 Affections des voies respiratoires.
17 Tuberculoses.
13 Affections générales non contagieuses.
\ 6 Accidents.
Soit une mortalité globale, pour 1.000 hommes d effectif,
de 6,4 la première année, 3,2 pour la seconde et 12,9 pour
la troisième. Il y a lieu de signaler le taux élevé de cette
mortalité, surtout pour l’année 1923 et même pour la pre¬
mière et la deuxième année, d’état sanitaire cependant si
favorable. Ce taux de mortalité pour 1.000 hommes d’effectif
a été, dans la Métropole, de 3,44 en 1911, 2,53 en 1912 et
2,52 en 1913 et respectivement de 6,25, 5,39 et 3,62 pour
l’Algérie-Tunisie.
Pour ne pas avoir assumé la tâche complexe qui s est
imposée à lui dans la zone des armées, l’Etat-civil n’en a
pas moins accompli à Constantinople une besogne impor¬
tante, qu’il nous a paru intéressant de signaler en quelques
mots à la fin de ce chapitre. Dans ce coin de terre d’Orient,
où ont été inhumés ceux de nos malades décédés au cours
de cette période dans nos formations sanitaires, reposaient
déjà un assez grand nombre de soldats français, morts au
cours de la guerre de Crimée, ou tombés aux mains des Turcs,
lors des combats qui se livrèrent en 1915 dans la presqu’île
des Dardanelles, et morts ensuite en captivité.
En liaison étroite avec le 1 er Bureau de 1 Etat-Major, un
Officier d’administration du Service de santé a non seule¬
ment réglé toutes les questions ressortissant à 1 Etat-civil
MORBIDITÉ ET MORTALITÉ DU CORPS d’oCCUPATION 149
du Corps d’occupation (inhumations, rapatriements des
corps réclamés par les familles), mais il a encore été chargé
du regroupement des tombes. Nos morts sont maintenant
rassemblés dans les cimetières de la région, ou à proximité
des localités importantes dans lesquelles ils sont décédés.
Au cimetière de Férikeuy, situé à la lisière de Péra, ont été
réunies, à côté de l’ossuaire des morts de Crimée qui s’y
trouvaient déjà, 236 tombes de sujets catholiques, 5 tombes
de protestants. Le cimetière de Top-Kapou, créé en dehors
de Stamboul, à la sortie de la porte du même nom, a été
réservé aux soldats musulmans et comprend 175 tombes.
Trois petits cimetières militaires ont été, en outre, organisés
à Zoungouldak (17 tombes), Gallipoli (12 tombes), à Kilid-
Bahr (18 tombes).
Tous ces cimetières, ornés et fleuris par le Corps d’Oc-
cupation français, ainsi que l’ossuaire de la baie de Morto,
où reposent sur la rive européenne des Dardanelles les sol¬
dats français tombés au Champ d’Honneur en 1915, ont
été, lors de notre départ, confiés à la garde de Y Union des
Anciens Combattants et du Souvenir Français de Constanti¬
nople. Leur remise à ces Sociétés a ete faite solennellement
au cours d’une cérémonie émouvante, qui eut lieu dans les
derniers jours du mois d’août 1923 aux cimetières de Fé¬
rikeuy et de Top-Kapou, et à laquelle participèrent les
Généraux alliés, ainsi que les délégations des Corps d occu¬
pation anglais et italien. Les familles peuvent être assu¬
rées, que le soin de veiller sur la sépulture de leurs chers
morts a été confié à des mains pieuses et ferventes.
CHAPITRE VI
La Morbidité vénérienne
La lutte contre les maladies vénériennes est un des pro¬
blèmes les plus graves de prophylaxie, qui se soient posés
au Service de santé des Corps d’occupation alliés. Le déve¬
loppement monstrueux de la prostitution à Constantinople,
la diffusion des maladies vénériennes, l’insuffisance des
règlements de police et la carence du Service des mœurs
ont non seulement sollicité l’action vigoureuse de chaque
Corps d’occupation, mais encore rendu indispensable
l’intervention concertée des Alliés. Des résultats encoura¬
geants ont suivi. C’est l’étude de ces différents points qui
fait l’objet du présent chapitre.
I
LA PROSTITUTION ET LES MALADIES
VÉNÉRIENNES A CONSTANTINOPLE
Il est très difficile de réunir des renseignements précis,
sur ce qu’était la prostitution à Constantinople avant la
guerre. Il résulte des informations, qui nous ont été fournies
par un des médecins fonctionnaires de la Direction de l’Hy¬
giène, qu’elle resta longtemps à l’abri de toute réglementa¬
tion et de tout contrôle. Sa reconnaissance officielle remonte
d’ailleurs à peine à l’année 1856, époque de la guerre de
LA MORBIDITÉ VÉNÉRIENNE
154
Grimée. L’affluence des étrangers dans la ville amena les
Autorités à s’occuper à ce moment de son statut. Il
faut arriver cependant à 1 annee 1S97, pour trouv er des
Ordonnances la concernant. A partir de cette date, la Mu¬
nicipalité de Péra est saisie de tout ce qui se rapporte à elle ;
elle est chargée de faire examiner, au moins une fois par
semaine, par des médecins spécialement désignés à cet
effet, les prostituées, et à hospitaliser celles reconnues
atteintes de maladies vénériennes. Une loi, intervenue le
5 octobre 1915, transfère les pouvoirs de la Municipalité à
la Préfecture de police, qui ne conserve plus, en 1920, que
des attributions administratives, le contrôle de l’hôpital
spécial ou des dispensaires étant confié à partir de ce mo¬
ment par décret à la Direction générale de la Santé otto¬
mane. On le voit, une règlementation sérieuse de la prosti¬
tution est intervenue tardivement ; elle ne fut en tout cas
solidement mise au point, qu au cours des huit ou dix der¬
nières années. Ses dispositions, dans leur ensemble, ne
diffèrent guère de celles en vigueur dans la plupart des
pays occidentaux. (1)
m>, D’ a près le règlement administratif annexé à la loi du 5 octobre
1915 aucune maison de prostitution ne peut être ouverte sans une au¬
torisation préalable et en dehors des zones désignées par la police ; celles
oui se trouvent ouvertes clandestinement devront etre fermées. L auto¬
risation est demandée par une enquête adressée à la Préfecture de police
et n’est accordée qu’après une requête approfondie sur le personnel et
sur les conditions sanitaires de la maison. Les personnes n ayant pas
encore accompli leur 25® année d’âge, ou poursuivies pour des crimes,
ne sont pas autorisées à diriger une maison publique, ,
Les tenancières sont tenues de communiquer a la police, dans les 24
heures qui suivent leur admission, le nom, l’âge, le lieu de naissance et
la nationalité de tout le personnel féminin ou masculin de la maison,
écrits sur une feuille datée et signée, et accompagnée de deux portraits
ainsi que des papiers d’identité de la personne mteressee. Les domesti-
mies au-dessous de 25 ans et les servantes qui n ont pas encore 20 ans
accomplis ne sont pas autorisées à servir dans les mîusons publiques.
Chaque prostituée doit être munie d’un carnet d identité délivré par
la police sur lequel le nom, l’âge, la nationalité de cette femme seront
inscrits et sa photographie sera apposée. Les femmes, n étant pasen
Possession de carnet d’identité, ne sont pas autorisées à exercer leur pro¬
fession et les maisons acceptant ces femmes seront termees.
Los tenancières des maisons publiques ne sont pas autorisées à engager
le» prostituées au-dessous de 18 ans accomplis, meme avec le consente-
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
152
Il ne semble pas que les résultats obtenus aient été satis¬
faisants ; nous manquons d’informations sur le nombre des
prostituées et la fréquence des maladies veneriennes à
cette époque. Il résulte de la seule indication qui nous a été
fournie à ce sujet, que le nombre des syphilitiques dans
l’armée et la marine turques représentait, en 1921, 2,78 %
de l’effectif mobilisé. Au surplus, les maladies vénériennes
sont encore considérées, en Orient, comme des maladies
honteuses et inavouables, de sorte que ceux qui en sont
affligés les cachent trop souvent, et ne se confient aux mé¬
decins, que lorsqu’ils y sont contraints par la gravité des
accidents qu’ils présentent. Si l’on ajoute à cela, que beau¬
coup de malades préfèrent recourir à la foule des pseudo-
ment des parents de ces dernières. Les maisons en contravention seront
fermées pour une durée de deux ans.
Les prostituées jouiront de l’entière liberté pour retourner chez elles,
en cas de renonciation, ou changer de résidence à leur gré. Il est donc dé¬
fendu aux tenancières de mettre obstacle à leur départ ou retenir leurs
effets sous prétexte de dettes ; celles qui se trouveront en défaut seront
punies par la fermeture provisoire de leur établissement.
Il est défendu aux tenancières de tolérer les jeux de hasard ou de laisser
fumer du hashish.
Les tenancières pourront fournir des boissons alcooliques à leurs clients
à la condition que leur prix ne sera pas majoré de plus de 50 %.
Les maisons publiques auront une seule issue et ne posséderont au¬
cune communication avec une autre maison, boutique, café, hôtel, etc...
Les ordonnances policières concernant les maisons publiques seront
suspendues en un endroit accessible au public. Ces maisons porteront
un numéro distinct par ses dimensions des numéros des maisons honnêtes.
Les tenancières sont invitées à refuser l’accès de leur maison aux jeunes
gens au-dessous de 18 ans ou aux écoliers portant l’uniforme, sous peine
de fermeture de leur établissement pour 15 ou 30 jours et, en cas de ré¬
cidive, pour un an.
Il est défendu aux prostituées de se montrera la porte ou aux tenêtres
des maisons publiques, et d’interpeller les passants dans le but de les
attirer.
Les tenancières attirant dans leur établissement en vue de les inciter
à la débauche les femmes honnêtes et les vierges, ou toute autre femme
non autorisée par la police à se prostituer, seront punies d’une interdic¬
tion de 3 mois à 3 ans sans préjudice des poursuites judiciaires.
Les tenancières acceptant dans leur maison les prostituées, atteintes
des maladies vénériennes ou celles dont- le traitement n’est pas encore
terminé, seront punies d’interdiction d’un mois à 1 an.
Il est défendu aux prostituées, sous peine d’interdiction d’un mois à
un an, de stationner, de se rassembler ou de se promener de long en large
dans les rues, pour attirer la clientèle.
LA MORBIDITÉ VÉNÉRIENNE
153
médecins spécialisés, des charlatans ou des empiriques qui
pullulent dans la ville, on n’est pas surpris de manquer
de précisions sur la diffusion des affections vénériennes, et
sur l’organisation administrative de défense sociale, dont
les imperfections étaient bien connues des Turcs eux-mêmes.
Une recrudescence très inquiétante de la prostitution et
des maladies vénériennes, qui représentent son inévitable
cortège, s’était déjà manifestée dans la ville pendant son
occupation par les troupes allemandes. Elle ne fit que s’ac¬
croître, après l’arrivée des contingents alliés et des réfugies
et réfugiées russes en particulier. En 1921, la situation est
devenue alarmante. La prostitution sévit à ce moment-là à
Constantinople avec un cynisme inconnu partout ailleurs en
Europe, même dans les grandes capitales. Elle s’offre a nos
soldats sous toutes ses formes : maisons de débauche recon¬
nues (1), établissements et hôtels de « passe », maisons de
rendez-vous, brasseries et cafés, employant un personnel
féminin, tout à fait^suspect (2). Les prostituées clandestines,
les rôdeuses, guettent les militaires partout dans les rues,
les entraînant dans des garnis malpropres ou au fond des
bouges crasseux, dans des jardins publics. La misère, la
paresse, l’appât d’un gain facile, dans un pays ou tout se
monnaye, l’absence ou l’affaiblissement du sens moral, ont
poussé beaucoup de femmes,-de toutes nationalités, a se
vendre ou à vendre leurs filles et leurs fillettes : il était cou¬
rant de voir des enfants de 8 à 12 ans se prostituer dans les
maisons de débauche, ou même raccrocher ostensiblement
dans les rues. Le nombre des femmes, se livrant à cette
époque à la prostitution, serait certainement effrayant, s il
pouvait être exactement déterminé. Des chiffres ont été
donnés, incertains d’ailleurs, mais celui de 50 à 60.000 est
fl) Il y avait à cette époque, rien qu’à Péra, 94 maisons de Prostitution
surveillées par la Police interalliée, et groupées dans le quartier central
de la ville P (rue Abanos), sans parler de Galata, de Kadikeuy, Scu
tari etc aui en comptaient au moins autant,
Les'maisons de rendez-vous, notoirement connues comme servant
à la prostitution clandestine, se comptaient par plusieurs centaines à
Péra, entre le Tunnel et Taxim.
154
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
assez vraisemblable. Les contrôles administratifs sont abso¬
lument illusoires ; un nombre infime de femmes régulière¬
ment inscrites passent effectivement la visite médicale, n’y
venant le plus souvent, que lorsqu’elles sont malades au
point de ne plus pouvoir continuer leur métier.
La police, dite « des Mœurs », d’organisation récente, est
absolument débordée par la besogne qui lui incombe, et
pour laquelle elle n’a été nullement préparée ; outre la sur¬
veillance de la prostitution, elle a aussi dans ses attri¬
butions, de s’occuper des maisons de jeu, des attentats
à la pudeur, des contraventions pour vente de livres et gra¬
vures obscènes, etc... Pour faire face à tant d’obligations,
elle a en tout et pour tout 30 agents civils, ayant à leur tête
un chef de bureau dépendant de la 2 e Section de la Pré¬
fecture de police. La Police des Mœurs, dont l’action serait
si précieuse dans une situation aussi critique, est donc pra¬
tiquement inexistante. Les quelques agents spécialisés ne
sont pas payés, ou reçoivent des salaires dérisoires, dans une
capitale où les exigences de la vie chère se sont déjà fait
sentir. Les 15 livres turques, qui leur sont allouées comme
traitement mensuel (la livre turque valait 8 à 9 francs),
pouvaient-elles leur permettre d’échapper aux tentations
du « bakchich », si populaire alors dans ce pays.
Ces considérations expliquent la facilité, avec laquelle les
maladies vénériennes se sont diffusées dans le milieu de la
prostitution à Constantinople. Les contrôles administratifs
cependant sont bien discrets à cet égard ; c’est ainsi que le
nombre de syphilitiques, soignés dans les cinq dispensaires
de la ville de l’année 1918, date de la fondation de ces der¬
niers, jusqu’à la fin de l’année 1921, n’a été que de :
2.487 femme*.
2.228 homme*.
Total : 4.715
Sur 2.242 prostituées clandestines, arrêtées par la Police
pendant l’année 1921, et soumises aussitôt à la visite dans
LA MORBIDITÉ VÉNÉRIENNE
155
les dispensaires, 740 ont été reconnues atteintes de bien-
norragie, 218 de syphilis, soit 42,5 °/ 0 atteintes de maladies
vénériennes en général et 9,6 °/ 0 de syphilitiques. En 1922,
il y eut 1986 prostituées clandestines visitées, dont 688
étaient malades. Ces chiffres vraiment surprenants laissent
supposer, que les hôpitaux de la ville n auraient pas suffi
à héberger toutes les femmes vénériennes, perdues dans
le flot des malheureuses ou des dévoyées, se livrant plus ou
moins ouvertement à leur commerce spécial, s il avait été
possible de les contrôler et de les visiter toutes.
1.390 prostituées seulement étaient inscrites sur les con¬
trôles de la Police en 1921 ; elles se répartissent ainsi qu’il
suit, selon les nationalités :
Grecques.
Turques.
Arméniennes..
Juives Ottomanes.
Juives Russes ou Polonaises
Russes.
Autrichiennes.
Autres nationalités.
dont 1.029 dans les maisons de tolérance et 361 en carte.
Parmi ces 1.390 prostituées, surveillées par la Police et
visitées périodiquement dans les dispensaires de Péra, Ga-
lata, Stamboul ou Kadilceuy, se trouvaient 690 anciennes
syphilitiques ; 82 contractèrent la même affection dans le
courant de l’année.
En 1922, les dispensaires reçurent aux fins de visite
1986 prostitués enregistrées, dont 921 des maisons de
tolérance et 465 en carte.
Il n’est question le plus souvent, dans les rares docu¬
ments que nous nous sommes procurés auprès de 1 Ad¬
ministration ottomane, que de femmes malades. Les
hommes échappent, pour la plupart, au contrôle des méde¬
cins, soit parce qu’ils considèrent leur affection comme
. 638
. 239
. 161
. 121
. 121
. 42
. 16
. 52
1.390
156
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
I. CORPS D’OCCUPATION FRANÇAIS DE CONSTANTINOPLE
Cas de maladies vénériennes
MOIS
EFFECTIF
BLENNORRAGIE
SYPHILIS
CHANCRE MOU
2 *
a s
I ®
Pour 100
d’effectif
Nombre
de cas j
Pour 100 (
d’effectif
1
Nombre
de cas |
Pour 100 1
d’effectif
ANP
ÏÉE 195
>1
Avril.
9.550
17
0,17
21
0,21
8
0,08
Mai.
9.081
11
0,12
18
0,19
5
0,05
Juin.
9.235
11
0,11
15
0,16
11
0,11
Juillet.
9.174
8
0,08
9
0,09
7
0,07
Août.
8.538
8
0,09
21
0,24
9
0,10
Septembre ..
8.314
8
0,09
30
0,36
15
0,18
Octobre.
7.920
10
0,12
27
0,34
17
0,21
Novembre ..
7.324
5
0,06
17
0,29
15
0,20
Décembre...
6.808
8
0,11
21
0,30
6
0,08
ANNÉE 1922
Janvier.
7.210
22
0,30
10
0,13
5
0,06
Février.
7.484
16
0,21
14
0,18
4
0,05
Mars.
7.984
20
0,25
5
0,06
2
0,02
Avril.
7.879
29
0,36
13
0,16
6
0,07
Mai
7.726
13
0,16
9
0,11
8
0,10
Juin.
7.550
14
0,18
4
0,05
4
0,05
Juillet.. . , • .
7.400
23
0,31
3
0,03
3
0,04
Août.
9.890
22
0,22
4
0,04
6
0,06
Septembre ..
9.418
19
0,20
3
0,03
10
0,01
Octobre ....
9.297
24
0,25
4
0,04
8
0,07
Novembre.. •
9.660
19
0,19
»
»
2
0,02
Décembre...
9.313
12
0,12
4
0,04
6
0,06
ANNÉE 1923
Janvier.
9.565
12
0,12
3
0,03
1
0,01
Février.
9.597
8
0,08
1
0,01
1
0,01
Mars.
9.939
9
0,09
1
0,01
2
0,02
Avril.
10.344
7
0,06
»
»
4
0,03
Mai .
9.829
8
0,07
1
0,01
)>
»
Juin .......
9.654
14
0,14
»
»
»
»
Juillet .
9.694
10
0,10
»
»
1
0,01
Août ...
9.322
12
0,12
»
»)
»
»
. —
LÀ* MORBIDITÉ VÉNÉRIENNE
II. CORPS D’OCCUPATION ANGLAIS DE CONSTANTINOPLE
Cas de maladies vénériennes
158
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
IU. CORPS D’OCCUPATION ITALIEN DE CONSTANTINOPLE
Cas de maladies vénériennes
BLENNORRAGIE
SYPHILIS
CHANCRE MOU
MOIS
EFFECTIF
©
O Cm
O
£ -
o h:
O SS
£ «
o t ~
o si
Nombi
de cai
•*-* O
si
eu '■e
o et
o ®
îz;'*
-ri O
£
ÉV-S
fl °
o ®
«
S ta
eu "o
ANNÉ]
S 1922
Janvier.
1.003
1
0,09
1
0,09
2
0,1
Février.
1.011
2
0,1
1
0,09
»
n
Mars.......
965
1
0,1
»
»
»
»
Avril.
1.041
2
0,1
1
0,09
1
0,09
Mai.
1.063
1
0,09
»
»
2
0,1
Juin.
891
5
0,5
»
»
1
0,1
Juillet.
717
1
0,1
1
0,1
2
0,2
Août.
887
»
»
»
»
2
0,2
Septembre . .
791
1
0,1
1
0,1
»
»
Octobre.
800
2
0,2
»
»
»
»
Novembre...
770
1
0,1
»
»
»
»
Décembre...
789
2
0,2
»
»
1
0,1
honteuse et la cachent, soit parce qu’ils se confient aux
empiriques. Ils ne sont, en outre, pas admis dans les hôpi¬
taux, où n’existent pas d’ailleurs des services spéciaux pour
les recevoir, et où on ne dispose pas de fonds nécessaires pour
les soigner.
Ces quelques chiffres montrent quel nombre infime de
prostituées malades étaient vues et surveillées médicalement,
si tant est que cette surveillance pût être considérée comme
offrant une garantie absolue. Les armées alliées ne tardèrent
pas à souffrir de cette situation ; nous regrettons de ne pou¬
voir utiliser les statistiques de 1919 et 1920, relatives au
nombre de cas de maladies vénériennes relevés dans les
rangs alliés, elles sont trop incomplètes. Les chiffres qui
figurent sur les tableaux ci-dessus se rapportent, pour l’armée
française, aux neuf derniers mois de l’année 1921, à l’an-
LA MORBIDITÉ VÉNÉRIENNE
159
née 1922 et à l’année 1923 jusqu’à la dislocation du Corps
d’occupation. Nous faisons suivre ces chiffres de ceux con¬
cernant l’armée anglaise (années 1922 et 1923) et les contin¬
gents italiens (année 1922).
Nous nous réservons, dans la troisième partie de ce cha¬
pitre, d’étudier ces chiffres et d essayer de les interpréter.
II
L’ACTION PROPHYLACTIQUE
La protection des troupes contre ce grave péril vénérien
fut organisée dès les premiers mois de l’occupation, et pour¬
suivie par la suite sans relâche avec ténacité et méthode par
les armées alliées. Mais au fur et à mesure que l’occupation
se poursuivait, la prostitution, enhardie par 1 impuissance
de la Police des Mœurs turque, se développait de jour en
jour ; le taux de la morbidité vénérienne s’élevait parallèle¬
ment. Au cours des derniers mois de 1921, il y avait pour les
seules troupes françaises, vingt à trente entrées à 1 hôpital
par mois, pour syphilis. A cette époque, les Généraux com¬
mandants furent ainsi amenés à envisager l’application de
nouvelles mesures, destinées à renforcer davantage eelles
déjà prises. Sur la proposition des Directeurs du Service de
santé, ils se mirent d’accord sur un programme commun de
lutte anti-vénérienne, qui comportait : 1° des dispositions à
prendre dans chacune des armées alliées, à la diligence de
chaque Général commandant ; 2» des dispositions communes
aux Armées alliées ; 3° la réorganisation complète de la rè¬
glementation de la prostitution à Constantinople, sous le
contrôle interallié.
A) PROPHYLAXIE DANS LE CORPS D’OCCUPATION
FRANÇAIS
Les efforts, réalisés dans ce domaine par les chefs de Corps
160
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
et par les médecins des Unités, avaient abouti à une organi¬
sation prophylactique, qui avait le programme suivant i
hausser le moral des hommes, les instruire par les causeries,
e tract, le cinéma ; procéder à des visites périodiques bien
faites ; établir des cabines prophylactiques ; rechercher les
prostituées malades et les empêcher de nuire ; isoler et
traiter les malades d’une façon précoce et durable. Nous
soulignons seulement ici, au sujet de ces mesures, certaines
modalités de leur application au Corps d’occupation français.
a) Education morale des hommes. — Elle peut se ré¬
sumer ainsi :
1° Elever le moral de Vhomme : lui montrer que la chasteté
et l’abstinence ne sont ni ridicules, ni néfastes à sa santé. Le
retenir à la caserne, dans les Foyers du Soldat , pour l’arra¬
cher à tout prix à l’emprise du cabaret.
2° Le défendre en Vinstruisant : lui montrer les dangers
qui le menacent, la forme sous laquelle ils se présentent,
les lieux à éviter, les femmes à écarter (les jeunes clandes¬
tines surtout) et décrire, sans exagération, les conséquences
graves des maladies vénériennes pour lui, son avenir, pour
ses enfants.
Condenser tout ce programme d’instruction dans des cau¬
series courtes, renouvelées chaque semaine, ou dans des con¬
férences plus importantes, qu’on peut rendre particulière¬
ment attrayantes par des films et des vues documentaires.
Dans cet ordre d’idées, des Foyers du Soldat furent orga¬
nisés un peu partout dans les casernes ; un grand Foyer
Central fut créé à Stamboul, près de la Place Emin-Eunu,
où les militaires vinrent en grand nombre y chercher des
distractions saines et agréables (jeux, lectures, cinéma, etc...).
La propagande par le tract et par les conférences, telle
qu’elle a été réglée par la circulaire n° 5740 /C du 28 juillet
1921, fut l’objet d’un soin tout particulier. Les dispositions
de cette circulaire furent portées à la connaissance de tous,
par la voie de l’Ordre général, et fréquemment rappelées.
Des tracts de vulgarisation furent remis aux militaires rapa¬
triés, au moment de leur départ.
LA MORBIDITÉ VÉNÉRIENNE
161
Une série de conférences avec projections cinématogra¬
phiques, auxquelles assistèrent tous les hommes, furent
organisées dans les différentes Places pendant le premier
semestre 1922. L’exposé de ces conférences fut suivi de la
projection sur l’écran d’un film documentaire. Le Service
de santé s’était adressé, dans ce but, à la Maison Pathé qui
n’a pu donner satisfaction. Mais le représentant de cette
Maison à Constantinople put cependant se procurer sur
place un film, que les Allemands avaient utilisé pendant la
guerre pour l’éducation de leurs troupes stationnées dans la
ville. Il voulut bien se charger de le faire transformer, et
de traduire en langue française les inscriptions écrites en
langue allemande ; les noms des personnages à consonnance
germanique furent remplacés par des noms bien français. Ce
film, ainsi remanié, fut argumenté par des médecins.
Le scénario en est très ingénieux. Il s’agit de l’histoire
d’un jeune fiancé qui, quelque temps avant de se marier,
contracte la syphilis. S’étant marié malgré les conseils de
son frère qui est médecin, il lui arrive malheurs sur malheurs :
sa femme est contaminée et meurt misérablement à l’hôpital ;
les enfants qu’elle lui a donnés sont syphilitiques eux-mêmes,
malingres, chétifs. Le tableau est d’autant plus saisissant,
que le ménage du frère de ce malheureux avarié est parfaite¬
ment sain, composé d’enfants vigoureux et bien portants ;
il connaît toutes les joies réservées aux familles, dont l’exis¬
tence n’est compromise par aucune tare. Une intrigue se
noue entre un fils du médecin et une des filles du syphili¬
tique. Cette dernière, atteinte de syphilis héréditaire, est
soignée par son oncle qui la guérit après un traitement pro¬
longé, suivi pendant plusieurs années, et dont les résultats
sont attestés par la réaction de Wassermann (petite réclame
allemande), ce qui lui permet, en définitive, d’épouser celui
qu’elle aime.
Les hommes s’intéressèrent à ce spectacle, à la fois dis¬
trayant et instructif, qu’on faisait suivre généralement d’un
film comique ; beaucoup d’entre eux revinrent. Aussi l’an¬
née suivante on reprit cette heureuse innovation, pour illus-
11
Dejouany
162 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
trer les causeries prophylactiques faites aux hommes arrivés
en renfort. Outre le film allemand, on projeta sur récran
deux films français bien connus : « On doit le dire », et
« Petites causes, grands effets », qui, sur notre demande,
nous avaient été adressés de la Métropole. Il s agit plutôt là
de dessins animés d’une valeur artistique médiocre, très
inférieurs au film allemand, qui est un vrai film photographié.
La tournure comique qui a été donnée à ces dessins animés
a été un peu trop poussée ; aussi les soldats sont-ils, de ce
fait, portés à prendre peu au sérieux la leçon utile qu’on
veut leur donner ; ils rient, mais ne réfléchissent pas.
Quoi qu’il en soit, l’utilisation du cinéma, en vue de l’ins¬
truction et de l’éducation hygiénique du soldat, mérite de
retenir notre attention, à nous, médecins militaires ; il est à
désirer qu’on poursuive dans cette voie Vétude du cinéma
moralisateur et vulgarisateur, organe de propagande auprès
de nos hommes des principes d’hygiène et prophylaxie gé*•
nérales.
b) Visites de santé. — Les visites de santé périodiques
furent passées avec le plus grand soin ; des dispositions
furent prises pour que tous les hommes, sans exception, y
assistassent. Elles étaient l’occasion de causeries familières,
destinées à éclairer le soldat sur l’étendue du péril vénérien,
particulièrement menaçant à Constantinople, sur les dan¬
gers de la rue et du cabaret, sur les avantages de la pratique
hygiénique et de la fréquentation des cabines prophylac¬
tiques.
c) Cabines prophylactiques. — Ces cabines existaient
partout dans les casernes ou cantonnements, parfaitement
installées et bien entretenues ; mais elles n’étaient pas fré¬
quentées. Quelle est la raison de cette impopularité géné¬
rale ? Pourquoi le soldat ne fréquente-t-il pas la cabine sani¬
taire, installée dans sa caserne ? D’abord, parce qu’il y
rentre tard, à la dernière minute, c’est-à-dire le plus souvent
de longues heures après le coït dangereux ; il a hâte dé se
coucher ; il craint d’être en retard à Pappel des permission¬
naires. Ensuite et surtout il ne veut pas, par faux amour-
LA MORBIDITÉ VÉNÉRIENNE
163
propre, avouer à l’infirmier de visite, à ses propres cama¬
rades, qu’il a eu des relations avec une femme suspecte : fi !
la laide aventure ! Cette raison est la vraie raison» elle est
d’ordre purement psychologique ; nous avons pu en admi¬
nistrer la preuve en organisant, avec un succès considérable,
des cabines prophylactiques centrales , établies en plein quar¬
tier de prostitution à Péra, et gérées par des médecins civils ,
c’est-à-dire neutres. Nous en reparlerons ailleurs,
La manœuvre prophylactique doit-elle être imposée à
l’homme qui s’est exposé à une contamination vénérienne ?
Doit-on le punir, s’il a contracté une maladie vénérienne
sans s'être soumis au traitement préventif ? C’est assez délicat.
Les Américains, qui vont droit au but, ont résolu la question
en prélevant, à titre de sanction, une fraction plus ou moins
importante de la solde du militaire en défaut. Peut-être
serait-ce là la solution d’avenir pour toutes les punitions
militaires à infliger, aussi bien aux officiers qu’à leurs subal¬
ternes. Peut-être alors les sanctions actuelles, assez « hono¬
raires », qu’elles s’appellent arrêts ou salle de police, frappe¬
raient avec un peu plus d’éclat les négligences profession¬
nelles sans excuses.
A ce même point de vue de la manœuvre prophylac¬
tique, il y a lieu de signaler qu’il a été mis à la disposi¬
tion des hommes (toujours d’une manière anonyme) des
préventyls , des gelo-tubes, nécessaires prophylactiques de
poche, qui étaient toujours trop peu nombreux pour les de¬
mandes.
d) Bulletin de déclaration. — Recherche des prosti¬
tuées malades. — Un bulletin de déclaration fut établi avec
la plus scrupuleuse attention pour tout cas de maladie véné¬
rienne : c’est là un puissant moyen d’action* qui permit de
pourchasser les femmes dangereuses et de les mettre le plus
rapidement possible hors d’état de nuire. Ce bulletin était
rédigé par les médecins eux-mêmes; ceux-ci avaient été invités
à procéder à un interrogatoire très serré des militaires conta¬
minés, à l’effet d’obtenir, à défaut de renseignements précis
5 ur la femme incriminée et'sur le lieu de contamination, une
164
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
indication quelconque susceptible d’orienter, même impar¬
faitement, les recherches de la police.
Lorsque le bulletin de déclaration établi ne comportait
que des renseignements vagues et imprécis, relatifs à l’iden¬
tité de la femme, le soldat contaminé était invité- à accom¬
pagner dans l’établissement, signalé comme lieu de la conta¬
mination, les policiers chargés de l’enquête. Il pouvait ainsi
indiquer sur place la femme qu’il accusait. Cette dernière
était soumise immédiatement à une visite de contrôle, et
envoyée à l’hôpital spécial, quand elle était reconnue malade.
é ) Isolement et traitement des malades. — Le traite¬
ment des malades fut assuré d’abord à l’hôpital de Gul-Hané,
dans un service spécial, puis à l’infirmerie-ambulance Cor-
roy, les médecins des Corps de troupe conservant la faculté
de garder dans leurs infirmeries les blennorragies simples.
Les malades étaient soignés jusqu’à guérison complète, ou
jusqu’à disparition des accidents contagieux, lorsqu’il s’agis¬
sait de syphilitiques. Un traitement ambulatoire (novarse-
nobenzol et mercure) était de plus réalisé chez eux, jusqu’à
leur rapatriement ; il a été réglé avec une extrême minutie
par des instructions du Directeur lui-même. Un tract était
remis aux malades à leur sortie de l’hôpital, les éclairant sur
les précautions, auxquelles ils seraient tenus pendant long¬
temps, et sur la nécessité pour eux de continuer à se faire
soigner pendant plusieurs années.
B) L’EFFORT PROPHYLACTIQUE INTERALLIÉ
RÉGLEMENTATION DE LA SURVEILLANCE MÉDICALE
ET ADMINISTRATIVE DE LA PROSTITUTION
Dès le mois d’août 1921, les Généraux alliés décident
d’engager une action commune contre le péril vénérien et
d’entreprendre, dans la mesure du possible, de réglementer
la prostitution dans la Capitale. Un' Comité est chargé
d’étudier cette question, d’établir un programme, et de le
LA MORBIDITÉ VÉNÉRIENNE
165
soumettre au général Harington, Commandant en chef des
Forces Alliées d’occupation en Turquie. Ce Comité dit « des
Trois » est composé du Directeur du Service de santé du
Corps d’occupation français, qui en est le président, du lieu¬
tenant-colonel commandant la Prévôté du Corps d’occu¬
pation anglais, d’un médecin du Corps d’occupation ita¬
lien (1). Il se réunit pour la première fois le 29 septembre
1921, s’adjoint un certain nombre d’officiers au courant
des questions de Contentieux et d’Administration, se docu¬
mente auprès des médecins et fonctionnaires turcs de Constan¬
tinople, poursuit une vaste enquête. Il élabore ainsi un pro¬
gramme, exposé par son président dans un rapport de base,
et dont les directives essentielles sont les suivantes : rema¬
niement et augmentation des services de la Police des
Mœurs, recensement et inscription des filles publiques, leur
contrôle sanitaire, traitement des femmes malades dans un
hôpital spécial, refonte du cadre du personnel chargé d’ap¬
pliquer les lois et ordonnances. Le projet est approuvé par
les généraux commandants. Le général Harington décide
dès lors que la mise à exécution des mesures qu’il comporte
sera assurée, à partir du 1 er janvier 1922, par le Comité de
la Police interalliée sous le contrôle technique du Comité
des Trois. Ce dernier, dont les pouvoirs sont de la sorte pro¬
longés et accrus, s’augmente d’un certain nombre d’officiers
et de fonctionnaires, pris dans les différents Corps d’occupa¬
tion, et devient ainsi, le 28 décembre 1921, « la Commis¬
sion interalliée de prophylaxie des maladies vénériennes » (2)
dont le rôle ne devait prendre fin qu’avec l’Occupation.
Nous allons essayer d’exposer ici, à grands traits, l’œuvre
de cette Commission et les difficultés de tout ordre, au milieu
desquelles elle accomplit sa tâche.
(1) Médecin principal Dejouany, lieutenant-colonel Favelle (Anglais),
capitaine-médecin Pesaresi (Italien).
(2) Médecin principal Dejouany, puis médecin principal Vidal, prési¬
dent, lieutenant-colonel Maxwell et lieutenant-colonel Favelle (Anglais),
capitaine-médecin Pesaresi et lieutenant Grandi (Italiens), médecin-
major Belbèze et commissaire spécial Colombani (Français), Membres#
LES A'LLIÉS A CONSTANTINOPLE
166
La Commission était, avant tout, désireuse d’obtenir dès-
résultats pratiques immédiats, à l’aide des moyens simples
dont elle pouvait disposer sur place. Demander une aide
quelconque, aide financière ou secours en personnel, aux
Gouvernements alliés, aurait exigé de longs et laborieux
pourparlers et entraîné une perte de temps inutile. Il fallait
aller vite. Le mieux était donc de prendre la situation telle
qu’elle se présentait, d’améliorer plutôt que de chercher à
bouleverser complètement l’organisation existante, et de
perfectionner l’outil par la suite, au fur et à mesure des
possibilités.
a) La division de la ville en trois secteurs fut maintenue.
Mais leur surveillance fut attribuée a la Police interalli e ,
qui reçut pour mission d’encadrer la Police turque. A la
tête de celui de Péra fut placé le chef de la Prévôté britan¬
nique ; la direction de celui de Stamboul fut confiée à l’offi¬
cier français de gendarmerie, qui y représentait déjà, pour
ia Police générale, le Comité de la Police interalliée, tandis
qu’un officier de gendarmerie italien fut chargé de celui de
Scutari- Kadikeuy.
b) U fut procédé au recensement de toutes les maisons de
prostitution , puis des cafés, bars et établissements divers
employant un personnel féminin, se livrant ou soupçonné de
se livrer à la prostitution. La Commission réglementa ces
établissements, en leur imposant des obligations sanitaires
draconiennes. Des pancartes spéciales, portant la mention
écrite en trois langues : « Autorisé aux troupes alliées », furent
apposées à l’entrée de ceux qui déclarèrent se soumettre
entièrement au contrôle de la Police interalliée. Des écri¬
teaux : « Consigné aux troupes alliées » furent placés à la
porte des établissements suspects, interdits pour n’avoir pas
accepté la réglementation imposée. L accès de rues entières
fut de la sorte rigoureusement défendu aux militaires.
c) La Police interalliée s’occupa en même temps de P as¬
sainissement de .la rrue ; elle fit une chasse sans merci aux
racoleuses.
d) Pour que cette police des maisons et de la rue fût opé-
LA MORBIDITÉ VENERIENNE
167
rante, une prison et un hôpiral étaient, cela se conçoit, néces¬
saires pour la répression des délinquants, pour l’isolement
et le traitement des femmes reconnues malades. Ni l’un, ni
l’autre n’existaient. Un hôpital spécial pour femmes véné¬
riennes avait bien fonctionné, quoique avec des moyens
assez précaires, quelques mois auparavant, dans un faubourg
de Péra, à Chichli ; mais, dans le courant de l’été 1921, il
avait été détruit par un incendie, et remplacé par un hôpital
de fortune, insuffisant, à peu près sans ressources. Les
Turcs se reconnaissant dans l’impossibilité matérielle et
financière de l’organiser dans une autre formation, ou de
disposer de locaux nouveaux dans lesquels il serait réins¬
tallé ; la Commission rétablit ces différents services, à Ali-
Hadji-Oglou, dans une caserne de cavalerie située sur la
rive gauche de la Corne d’Or, que les Anglais évacuèrent à
cet effet. Les Corps d’occupation alliés fournirent, à titre
de prêt, le matériel de literie, d’ameublement, des instru¬
ments, des effets et des objets de toute sorte pour l’équipement
de cet hôpital qui comptait 320 lits, mais dont la capacité
pouvait être portée à 500 lits. Dans une annexe de la for¬
mation furent aménagés des locaux, qui servirent de prison ;
quelques mois après son ouverture, un laboratoire de bacté¬
riologie fut annexé à l’hôpital.
e) La Commission créa également une, puis deux, puis
trois cabines prophylactiques , en plein quartier des maisons
de prostitution, à Péra (rue Abanos) et à Galata (rue Zo-
grafia). Les hommes de troupe, nous l’avons dit., ne fré¬
quentent pas les cabines des casernes ; la Commission pensa
être plus heureuse (et elle le fut, en effet), en organisant des
cabines prophylactiques, discrètement situées le plus près
possible du lieu de contamination, et dont le fonctionnement
serait assuré par un personnel civil au courant de la ma¬
nœuvre prophylactique. Deux étudiants en medecine russes,
de l’armée de Wrangel, réfugies à Constantinople, furent
chargés, moyennant une rétribution mensuelle de 30 livres
turques, du fonctionnement de ces cabines. L’ouverture de
ces dernières, dont la fréquentation était absolument gra-
168
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
tuite pour les soldats alliés, fut portée à la connaissance des
troupes d’Occupation et des marins, par la voie de l’Ordre
général ou d’affiches placardées dans les casernes, avec des
croquis simples indiquant l’emplacement des cabines ; leur
entrée était signalée le jour par un drapeau bleu, la nuit par
une petite enseigne lumineuse de la même couleur.
Enfin les dispensaires existants furent remaniés, trans¬
formés, aménagés et mis en état de répondre aux nécessités
de la situation. Un hôtel particulier, confortable et propre,
fut réquisitionné à Galata ; le dispensaire de ce secteur, qui
se trouvait dans un local sordide, n’ayant de dispensaire que
le nom, y fut transféré.
/) Outre ces mesures essentielles réalisées pendant les
premiers mois de l’année 1922, des dispositions furent prises,
pour que soit assuré obligatoirement le traitement ambula¬
toire des femmes syphilitiques sortant de Vhôpital après
blanchiment. Des tracts furent remis aux intéressées, conte¬
nant en plusieurs langues des renseignements simples, des¬
tinés à les éclairer sur leur maladie, sur les précautions à
prendre, sur la nécessité de se soigner pendant plusieurs
années, et de se soumettre à un traitement d’entretien assuré
régulièrement, sans qu’elles soient contraintes d’entrer à
l’hôpital. Des tracts analogues furent remis dans un but de
vulgarisation aux tenancières ou aux patrons des maisons
contrôlées ; ils furent complétés de quelques conseils con¬
cernant l’hygiène sexuelle de leurs pensionnaires, malheu¬
reusement habituées à des soins hygiéniques plus que som¬
maires... une simple serviette mouillée. En Orient, l’eau, le
bidet, le bock-laveur et le savon sont choses à peu près
inconnues des femmes qui se louent.
La Commission fut informée par les médecins et officiers
de Police, chargés des visites périodiques, que ces conseils
n’étaient pas suivis. Elle prescrivit alors à la Police interalliée
de mettre les tenanciers de maisons, employant ou héber¬
geant des prostituées, dans l’obligation de munir leurs pen¬
sionnaires des objets de toilette nécessaires, et de les con¬
traindre aux soins de propreté indispensables. L’ordon-
LA MORBIDITÉ VÉNÉRIENNE
169
nance de police fut placardée dans toutes les chambres de
prostitution, en même temps qu'une notice en quatre langues
indiquait aux prostituées ce quelles devaient faire avant
et après les rapports sexuels . Le tout était imposé, sous
peine pour les tenanciers d’amendes très élevées et même de
prison.
g) L’action de la Commission fut poursuivie sans relâche
et progressivement développée pendant toute l’année 1922 ;
la surveillance de la Police fut étendue à des ramifications,*
encore ignorées, du milieu de la prostitution. Des gratifi¬
cations furent attribuées aux agents de la Police morale,
qui se signalaient par leur zèle et leur honnêteté profes¬
sionnelle. De même, des suppléments d’honoraires furent
accordés aux médecins de l’hôpital ou des dispensaires,
dont l’activité et le dévouement à la lutte entreprise étaient
d’autant plus louables, qu’ils ne recevaient quelquefois
point, pendant plusieurs mois, les honoraires que l’Admi¬
nistration ottomane leur devait.
A côté de ces praticiens qui furent pour les Alliés de pré¬
cieux auxiliaires, la Commission eut également à s’occuper,
pour les combattre, de certains médecins de dispensaires,
heureusement assez rares, soupçonnés de déclarer saines,
au moment des visites hebdomadaires, des prostituées ma¬
lades, et de les attirer dans des cliniques privées ou dans
leurs cabinets pour les soigner contre rétribution. Des pros¬
tituées, arrêtées à l’improviste pour des infractions aux rè¬
glements de police et examinées, furent reconnues malades
en dépit d’un certificat de santé donné, à elles contre gros
bakchich par des médecins « marrons ». L’intervention éner¬
gique de la Commission auprès de la Direction de l’Hygiène,
des visites inopinées de contrôle, la menace de sanctions
rigoureuses firent cesser ces faits rares, mais regrettables.
h) La réalisation des mesures prévues au programme d’ac¬
tion des Alliés, entraîna, on le comprend, des dépenses
élevées. La création de l’hôpital, de la prison, des cabines
prophylactiques, la réorganisation des dispensaires, ne pou¬
vaient se faire sans beaucoup d’argent. La Commission
170
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
comptait pour cela sur le produit des amendes, recueillies
par la Police morale et sur les sommes prévues au budget
ottoman au chapitre « Hôpital spécial et Dispensaires ». Les
amendes se révélèrent vite insuffisantes, et le secours pécu¬
niaire officiel resta précaire, en raison de l’indigence des
finances publiques. Il fallut gagner les Turcs à notre cause,
qui était surtout la leur, et leur montrer 1 interet du pro¬
blème d’hygiène sociale à résoudre. La Commission s y em¬
ploya de son mieux et finit par obtenir du Gouvernement
turc, à son profit, une partie des taxes, assez élevées d’ailleurs,
imposées aux établissements de prostitution et aux prosti¬
tuées elles-mêmes ; ces taxes étaient recueillies par les agents
municipaux turcs.
Après quelques mois de patients efforts, la Commission
s’était donc assuré la participation financière de l’Adminis¬
tration ottomane. Avec cet appoint et le produit des
amendes, infligées par la Police interalliée aux tenanciers
ou prostituées délinquants, la Commission constitua son
budget des recettes qui, équilibra largement son budget des
dépenses. Au 1 er mai 1922, après paiement de toutes les
dépenses, engagées au nom de la Commission durant les pre¬
mières semaines de son fonctionnement, ce budget se pré¬
sentait avec un solde créditeur de 774 livres turques, soit
7.500 francs environ. Cette encaisse s’élevait rapidement
par la suite, atteignait, au 1 er juillet, 1.120 livres turques
et passait à 5.700 livres turques au 15 octobre. Elle continua
à osciller aux environs de 5.000 livres turques jusqu’aux
premiers mois de l’année 1923. A partir de ce moment, l'em¬
piètement progressif des Autorités kémalistes sur les attri¬
butions des Corps d’Occupation alliés vint paralyser l’action
de la Police interalliée, qui fut bientôt limitée à la sur¬
veillance des sujets et des militaires alliés, de telle sorte
que le produit des amendes alla en décroissant, pour être
presque nul au cours des trois ou quatre derniers mois de
l’occupation. Les réserves constituées avant cette période
étaient heureusement suffisantes, pour permettre à la Com¬
mission de faire face jusqu’au bout aux dépenses prévues à
LA MORBIDITÉ VÉNÉRIENNE
174
son budget. Ses disponibilités étaient encore, en juin 1923,
de 3.263 livres turques. A la veille du rapatriement des
troupes alliées, il restait 3.000 livres turques environ, soit
près de 30.000 francs. Cette somme fut attribuée au Corps
d’occupation anglais, la majeure portion des versements
effectués depuis le début, et qui avait permis de payer la
plus grande part des dépenses, ayant été en effet recueillie
dans son secteur de Péra (quartier de prostitution par
excellence).
Cet exposé général montre, même sans descendre dans les
détails, à quelles difficultés s’est heurtée la Commission
interalliée. Il n’est pas superflu de dire un mot ici des em¬
barras causés aux Alliés par la question des prostituées mi¬
neures, très nombreuses, ainsi que nous l’avons dit, à Cons¬
tantinople. La législation ottomane ne permet pas la mise
en carte des femmes âgées de moins de 18 ans ; aucune mai¬
son de correction n’existe en Turquie pour recueillir les pu¬
pilles dévoyées, dont le contrôle et la coercition sont de la
sorte bien difficiles. La nécessité de leur surveillance médi¬
cale était cependant justifiée par le nombre élevé des fillettes
atteintes d’affections vénériennes (5 % environ), pour les¬
quelles on avait dû ouvrir des salles spéciales à l’hôpital d’Ali-
Hadji-Oglou. Emue de cette situation, la Police interalliée
essaya bien de faire cesser cet infâme.commerce ; mais faute
d’avoir à sa disposition un établissement pour recueillir les
fillettes, elle dut se borner à obliger les tenanciers qui les
accueillaient à les faire visiter périodiquement sous peine
d’amendes, et à faire consigner les résültats de l’examen
médical sur des attestations de visite tenant lieu de cartes.
Au mois de mai 1922 cependant, une Institution de bien¬
faisance et de redressement moral, lu Ligue civique, pa¬
tronnée par les Autorités alliées, s’installa dans un bâti ment
annexe de l’hôpital d’Ali-Hadji-Oglou, en vue de recevoir
les malheureuses enfants arrêtées pour vagabondage ou
prostitution, et de les orienter vers le travail, vers une vie
saine et régulière. Le Service de santé français contribua,
dans une certaine mesure, en prêtant du matériel de literie,
172
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
à l’aménagement des locaux concédés à la Ligue civique.
Cette généreuse tentative, à laquelle s’intéressèrent quelques
personnes charitables de la ville, ne put malheureusement
se développer, faute d’argent, avec toute l’ampleur suffi¬
sante ; cette œuvre, qui semble être restée « en sommeil »
après le départ des Alliés, mériterait d’être reprise.
III
LES RÉSULTATS
Avant d’examiner les répercussions que, dans leur en¬
semble, ces mesures ont exercées sur la morbidité véné¬
rienne des troupes alliées, il est intéressant de caractériser
ici, par quelques chiffres, l’activité du fonctionnement des
principaux rouages de l’organisation prophylactique.
U hôpital spécial de Ali-Hadji-Oglou , créé par les Alliés,
accueillit et traita une moyenne de 250 prostituées par mois.
Le mouvement des malades pendant l’année 1922 a été
le suivant :
En traitement au 1er Janvier 1922. 269
Nombre de malades entrées à l’Hôpital durant l'année 1922. 2.900
Nombre de sorties.
. 2.902
Restantes au début de 1923..
. 267
Nombre de filles mineures admises.
Nombre de femmes entre 18 et 35 ans.. 2.685
Nombre de femmes au-dessus de 35 ans. 70
Catégorisation des maladies
Syphilis. 363
Blennorragie... 2.029
Syphilis et Blennorragie. 142
Chancre mou. 25
Maladies de la peau... 154
En observation. 127
Total : 2.840
LA MORBIDITÉ VÉNÉRIENNE
173
mm
■HH
V ^ 7
A titre de simple documentation, voici comment se ré-
partissaient, au point de vue des nationalités, les 260 femmes
qui y furent admises dans le courant de septembre 1922 :
Turques.... 114
Grecques. 96
Arméniennes. 17
Juives. 10
Russes. 6
Autrichiennes. 8
Roumaines... 4
Italiennes .. 3
Française. 1
Américaine. 1
Total : 260
Les chiffres suivants attestent à leur tour le succès qu’eu¬
rent, auprès des soldats alliés, les cabines sanitaires civiles
installées dans les quartiers de la prostitution de la rue Aba-
nos (Centre de la prostitution à Péra).
Nombre de Militaires ayant fréquenté
la Cabine Prophylactique de la Bue Abanos
1922
MOIS
ANGLAIS
FRANÇAIS
ITALIENS
AMÉRICAINS
TOTAL
Mars.
25
21
56
»
102
Avril.
14
183
29
»
226
Mai ......
213
387
72
»
682
Juin.
323
386
39
»
748
Juillet....
451
504
4
»
959
Août.
373
282
49
54
758
Septembre.
537
460
62
56
1.115
Octobre.. .
1.258
574
61
18
1.911
Novembre.
867
553
81
»
1.501
Décembre .
994
774
102
»
1.870
Total ,..
5.055
4.134
555
128
9.872
174
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
1923
MOIS
ANGLAIS
:
FRANÇAIS j
ITALIENS
AMÉRICAINS
TOTAL
Janvier ...
909
572
7
))
1.488
Février . . .
893
5*56
73
»
' 1.522
Mars.
1.10*
603
89
’ »
1.793
A-vril.
1\ 224
7 37
106
»
2.067
Mai . _ ...
1.449
784
165
»
• 2.395
Juin.
980
703
131
»
1.814
Juillet....
1.054
591
112
»
1 1.757
Total . . .
7.610
4 543
1.28-8-
»
12.836
Total
général pour
12.665
8.677
1.238
128
22.708
les 17 mois
Ces chiffres se passent de commentaires ; la faveur dont
jouirent ces cabines auprès des militaires alliés fut telle, que
des marins américains* attirés* par leur notoriété, y vinrent
spontanément au courant de l’été 1922, en assez grand
nombre.
Reportons-nous maintenant au tableau, que nous avons
donné plus haut, des cas de maladies vénériennes observés
au Corps d’occupation français pendant les- neuf dèrmers
mois de l’année 1921', pendant toute l’année 1922 et pen¬
dant les six premiers mois de l’année 1923. Essayons de les
interpréter. Les chiffres portent sur une période de 35 mois,
dans laquelle nous allons, pour faciliter notre étude, envi¬
sager des tranches d’égale durée.
Le nombre des atteintes de blennorragie, qui était pour
le 2 e trimestre 1921 (avril-mai-juin) de 39 pour un effectif
moyen de 9.288 Hommes, passe au cours du trimestre cor¬
respondant de l’année suivante à 56, pour un effectif pour¬
tant moindre (7.718),- marquant ainsi une augmentation
sensible ; il tombe, lors du 2 e trimestre 1923, ài 29 pour un
■effectif* fort 1 augmenté* (9.-942'). Les*-cas-de*syphilis^traduisent
LA MOHBIDITÉ VÉNÉRIENNE
175
I. — Morbidité pendant les trimestres d’Avril-Mai-Juin
des années 1921, 1922 et 1923
EFFECTIF
CAS DE
CAS DE
CAS DE I
MOYEN
BLENNORRAGIE
8TPHILIB
CHiNCM HOU 1
°/o
°/o
Avril-Mai-Juin 1921...
9.283
39
0,41
54
0,58
24
0,25'
Avril-Mai-Juin 1922...
7.718
56
0,72
26
0,33
11
0,14
Avril-Mai-Juin 1923...
9.942
29
0.29
5
0,05
4
0,04
II. — Morbidité par périodes de 6 mois
EFFECTIF
MOYEN
CAS DE
i
CAS DE
SYPHILIS
CAS DE
CHANCRE MOU
°/o
°/o
•/.
6 derniers mois de 192T
8.103
47
0,58
125
1,54
69
0,85.
6 premiers mois de 1922
7.638
114
1,45
55
0,72
29
0,36
6 derniers mois de 1922
9.163
119
1,29
18
0,19
35
0 38
6 premiers mois de 1923
9.821
58
0,59
S
0,06
8
0,08
en revanche, d’une annee à 1 autre, une diminution impres
sionnante, passant de 54 en 1921, à 26 en 1922 et à 5 en 1923.
Même remarque en ce qui concerne les cas de chancre
mou ; même décroissance : 24 — 11 — 4.
Ces constatations ressortent plus nettement de la lecture
du 2 e tableau. La blennorragie est en grande augmentation
du dernier semestre 1921 au premier 1922, puisque malgré
la réduction des effectifs (8.103 à 7.638) te nombre de cas
s’élève de 47 à 114. Ces chiffres s’abaissent au cours du
deuxième semestre 1922, et se traduisent alors par 119 cas
pour un effectif accru de 1.500 hommes. Cette diminution
du taux de la morbidité s’accentue encore au cours du pre¬
mier semestre 1923 pour la blennorragie, dont on ne relève
plus que 58 atteintes en six mois. La syphilis et 1e chancre
mou continuent à décroître également (Cas : 125 55 18,
176
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
pour la syphilis ; 69 — 29 et 35 — 8 pour le chancre mou).
L’effort prophylactique interallié datant des premiers
mois de l’année 1922, il apparaît donc manifestement qu’il a
exercé une action presque immédiate et très marquée sur le
développement de la syphilis et du chancre mou, la blen¬
norragie offrant tout d’abord une résistance tenace, ne cé¬
dant enfin à son tour qu’au début de l’année 1923, pour
tomber à un chiffre très bas, tout comme le chancre mou,
au cours des trois ou quatre derniers mois de l’occupation.
Les raisons de cette résistance passagère de la blennorragie
sont difficiles à préciser. Peut-être l’élévation du taux de
sa morbidité est-elle due à l’affluence d’étrangères sus¬
pectes, qui vinrent à cette époque grossir les rangs de
l’armée de la prostitution clandestine ; peut-être aussi la
manœuvre prophylactique était-elle moins efficace contre
la blennorragie que contre la syphilis et le chancre mou.
parce qu’elle était souvent faite incomplètement, trop
hâtivement dans des cabines surfréquentées. Il est, en
effet, plus aisé, plus rapide surtout, de se servir de la
pommade au calomel, laquelle est laissée en place et
continue son action, que de faire une injection correcte
d’argyrol qui, par surcroît, tache le linge, ce qui rend son
emploi moins engageant.
Les tableaux de morbidité vénérienne dans l’armée an¬
glaise, pour l’année 1922 et les six premiers mois de 1923,
montrent, dans l’ensemble, une diminution nette de cette
morbidité, puisqu’à l’accroissement considérable des effec¬
tifs passés de 4.600 environ à 6.000, puis à 8.000 et à 19 et
20.000, fut loin de correspondre une augmentation propor¬
tionnelle des atteintes vénériennes : environ deux fois à
deux fois et demie plus de cas de blennorragie ou de syphilis
primaire, pour des effectifs presque quadruplés, la syphilis
ne subissant de son côté, pendant le même temps, presque
aucune élévation sensible. Ces chiffres, mis en valeur encore
par ceux des pourcentages, témoignent en somme d’un recul
appréciable de ces affections. S’ils furent moins marqués que
ceux obtenus dans le Corps d’occupation français, c’est peut-
LA MORBIDITÉ VÉNÉRIENNE
177
être parce que les militaires britanniques, dotés de soldes
importantes, accrues encore par la hausse de la livre an¬
glaise, fréquentaient plus volontiers les milieux de plaisirs,
s’exposant ainsi en plus grand nombre aux risques de con¬
tamination.
La lutte antivénérienne, poursuivie à Constantinople par
les Alliés, dans un accord parfait pendant près de deux
années, a donné des résultats encourageants et comporté des
enseignements précieux pour nous-mêmes et aussi pour la
Nation turque. Nous avons pu peser, dans leur ensemble, la
valeur des différentes armes, dont nous nous étions servis,
en vue du but à atteindre : l’arme morale (causeries, confé¬
rences avec cinéma vulgarisateur, Foyers du soldat, etc...),
l’arme coercitive (Réglementation sous toutes les formes de
la prostitution), l’arme prophylactique (Dispensaires, Ca¬
bines sanitaires, préventyls).
L'arme morale est excellente : dans aucun cas, elle ne
saurait être négligée dans l’armée ; si l’on sait conduire
l’instruction des hommes avec simplicité et avec bon sens,
si l’on sait rendre cet enseignement attrayant, attachant,
on sera suivi, non par tous certes, mais par ceux surtout
dont il est intéressant d’être entendu. Un bon film, intelli¬
gemment argumenté, laisse un souvenir vivace même chez
les hommes un peu incultes. L’efficacité de l'arme coercitive
peut être discutée — et elle l’est, certes — dans nos pays
occidentaux, si épris de liberté ; elle peut s’imposer dans
certaines conditions de milieu et de temps, comme elle s’est
imposée aux Alliés à Constantinople pendant l’Occupation.
Si, à cette époque, la prostitution était arrivée à se déve¬
lopper d’une façon monstrueuse, si les maladies vénériennes
faisaient tant de mal, c’est qu’aucune autorité n’avait su
leur barrer la route avec assez de vigueur ; la crainte du gen¬
darme est, pour beaucoup, le commencement de la sagesse!
L'arme prophylactique est l’arme de l’avenir ; le programme ?
raréfier la contamination par la création de dispensaires,
susceptibles de dépister, donc de soigner très tôt et discrè-
Dejouany 12
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
178
tement les affections vénériennes ; instituer le traitement
abortif pour la syphilis, si c’est possible, smon un traite¬
ment hospitalier aussi court que possible pendant la pé¬
riode très contagieuse, puis le traitement ambulatoire. Ra¬
réfier encore la contamination, en essayant par la manœuvre
prophylactique de limiter, pour ceux qui y sont, exposes,
les risques d*un contact dangereux.
Dans cet ordre d’idées, doit-on préférer la cabine prophy¬
lactique ou le nécessaire de poche (préventyl, gélo-tube, etc.) ?
Il faut bien le dire, vouloir installer dans notre milieu mili¬
taire des cabines prophylactiques à domicile, c’est-à-dire à
la caserne, c’est aller au-devant d’un échec certain ; au con¬
traire, nous avons une foi inébranlable (et l’exemple de
notre 'action à Constantinople le prouve) dans l’aide pré¬
cieuse, qu’on peut attendre de cabines prophylactiques cen¬
trales. Lorsque cette organisation est possible, elle donne
d’excellents résultats, sous réserve que ces cabines soient
situées dans les quartiers mêmes de la prostitution, qu’elles
soient gérées par un personnel civil, inconnu des militaires,
qu’elles soient bien comprises et surveillées de près. Quant
aux préoentyls (1), ils ont bien leurs avantages; le consom¬
mateur, si l'on peut dire, a toujours dans sa poche sa « cabine
sanitaire » ; il lui suffit de pouvoir s’isoler quelques instants
(ce qui est toujours facile), pour pouvoir se livrer en toute
discrétion à la manœuvre prophylactique. En revanche, les
préventyls, même les plus simples (par exemple les gelo-
tubes 29 expérimentés par le Service de santé français) sont
chers ; ils nécessitent quelque adresse dans leur emploi. Le
Corps d’occupation de Constantinople avait été doté, par
le Ministre, de « gelo-tubes 29 », en vue d’une expérimen¬
tation générale, qui avait été, en juillet 1922, préparée
avec un rare souci des détails ; malheureusement cette
vaste enquête n’a donné aucun résultat sérieux et utilisable,
fl) Voir à ce propos, Société de Médecine publique et de Génie sani¬
taire (Séances des 25 février et 25 mars 1925) (in Revue d’Hygiene, n° 4,
avrü 1925).
la morbidité vénérienne
179
parce qu’elle n’a pu être ni développée, ni contrôlée avec
sécurité, en raison du départ de nos troupes pour le secteur
de Tchataldja, au moment de la menace grecque, et plus
tard de leur envoi à Andrinople et en Thrace orientale. On
peut cependant dire que ce « préventyl », vraiment simple et
pratique, avait été accepté facilement par nos hommes et
utilisé par eux ; nous pensons qu on devrait l'adopter dans
l'armée française. Le Corps anglais à Constantinople était
doté d’un préventyl, d’un modèle totalement différent, mais
basé sur les mêmes principes chimiques.
Les Alliés n’ont pas été peut-être les seuls à tirer avantage
et profit de leur effort ; nous voulons espérer que l’essai,
qu’ils ont tenté, n’aura pas été perdu pour la Nation
turque. Il n’a malheureusement pas dépendu de ceux,
qui avaient établi ce vaste programme d’hygiène so¬
ciale, de voir réaliser leur œuvre sous une forme défi¬
nitive ; ils ont été les bons semeurs ; si tous les grains
qu’ils ont jetés dans le sillon ne poussent pas tous, certains
germeront, envers et contre toutes les actions contraires.
L’œuvre de prophylaxie, à laquelle les Alliés se sont dé¬
voués, ne peut pas ne pas avoir laissé de traces ; elle est
comme l’armature de l’organisation sanitaire anti-véné¬
rienne, qui s’imposera à l’attention de la jeune République
Ottomane, éprise de l’étude des grands progrès sociaux.
CHAPITRE Vn
L'Œuvre d’Assistance du Serrée de Santé militaire français
LES RÉFUGIÉS RUSSES DE L’ARMÉE WRANGEL.
LE DISPENSAIRE DE STAMBOUL.
Les Français de Constantinople n’auraient pas été des
Français, s’ils n’avaient été profondément émus de la dé¬
tresse et quelquefois de la misère qui étreignaient la classe
pauvre de la population turque et les milliers de réfugiés,
venus de toutes parts, chercher dans la Capitale un abri et
souvent un morceau de pain. Il appartenait au Corps d occupa¬
tion français de Constantinople, riche en hommes de cœur et
en moyens matériels, commandé par un chef généreux,, de
perpétuer dans ce coin du Proche-Orient nos traditions sécu¬
laires d’humanité, d’aide fraternelle et de charité. Le Ser¬
vice de santé militaire français s’honore d’avoir été intime¬
ment associé à cette œuvre, et d’avoir contribué, par son
action, à sauver des existences et à soulager des infortunes.
Il s’agit ici de tendre une main secourable à ceux qui souf-
frent par l’âge et la maladie : Géorgiens sans ressources, émi-
grés et invalides russes ; Grecs et Arméniens réfugiés ; indi¬
gents de Stamboul. Notre appui s’exprime par des secours
en argent, par des dons ou des prêts en nature (rations ali¬
mentaires, vêtements, moyens de couchage, médicaments,
matériel sanitaire, etc..) ; il s’exprime aussi par 1 action de
notre personnel de tout rang, qui s’emploie, avec le plus
grand dévouement, à sa tâche généreuse. Le cadre de ce
181
l’œuvre d’assistance du service de santé
travail ne nous permet pas de détailler cet effort, cette colla¬
boration avec les œuvres privées ou officielles, étrangères ou
françaises, qui, pendant plusieurs années, se sont dépensées
sans compter, pour apporter un peu de gai soleil à tant de
misère : Croix Rouge russe et Œuvres privées russes (séna¬
teur Glinka, M me l’amirale Dumesnil), Croix Blanche russe
(M me Mitrophanov), Croix Rouge américaine et Near East
Relief, Œuvres d’Assistance anglaises (lady Harington),
Croissant Rouge (Prof. Akil Mouktar Bey), Croix Rouge
française, Goutte de lait de Stamboul (M™ Verdoux), Hôpi¬
tal Jeanne d’Arc (MU es Voisin), Pouponnière de Bcbek et
Dispensaire d’Haidar Pacha (M me la générale Charpy),
Ligue du Bien public (M«“ Eliasco), Société des Nations
(M. Childs), d’autres encore. Nous ne voulons retenir ici que
deux des Œuvres d’assistance, au développement desquelles
le Service de santé militaire a participé plus étroitement :
le secours aux réfugiés de l’armée Wrangel et 1 Organi¬
sation du Dispensaire français de Stamboul.
I
LES RÉFUGIÉS RUSSES DE L’ARMÉE WRANGEL.
A) L’EXODE, L’ORGANISATION
ET LE FONCTIONNEMENT SANITAIRE, LA DISPERSION.
L’Exode. — Dans les premiers jours de novembre 1920,
l’armée du général Wrangel était bousculée au niveau de
l’isthme de Pérékop par les bolcheviki ; le gros de ses unités
refluait en désordre à travers la presqu’île de Crimée, et
arrivait en quelques jours à Sébastopol. Beaucoup des
habitants des territoires ainsi abandonnés s’étaient joints
aux troupes, au cours de la retraite. Tous ces malheureux
se ruèrent dans le port à l’assaut des navires de la flotte du
général Wrangel, à bord desquels ils allaient être trans-
182 JL.ES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
portés à Constantinople, où le Corps d’occupation français
devait prendre en pitié leur immense infortune. Soldats en
armes, vieillards, femmes, enfants, s’entassèrent pêle-mêle
dans les cabines, dans les cales, sur le pont, dans tous les
espaces disponibles. Avec eux, furent embarqués dans les
mêmes conditions une multitude de blessés, d’invalides, de
malades, de contagieux même, provenant des différentes
formations ou établissements sanitaires de la Presqu’île.
Les hôpitaux avaient, en effet, été évacués au milieu de la
plus grande confusion et leurs occupants, civils ou mili¬
taires, avaient été transportés au fur et à mesure de leur
arrivée à Sébastopol sur des bateaux, à bord desquels ils
furent installés la plupart du temps au petit bonheur, dans
la cohue des réfugiés valides, partout où il fut possible de
les glisser.
Entre le 14 et le 23 novembre, 125 navires ainsi surchargés
de milliers d’êtres humains venaient mouiller en rade de
Constantinople. Beaucoup d’entre eux, d’une contenance
normale de 2 à 3.000 places, avaient à bord 8, 10 et
même 12.0QQ passagers, parqués comme du bétail, dégue¬
nillés, sales, couverts de parasites. Ceux qui avaient passé
les nuits sans abri sur le pont, étaient transis de froid. Tous
étaient affamés, car nulle précaution n’avait été prise au
départ, en vue de leur subsistance. Les vivres et l’eau
avaient fait défaut dès le début de la traversée de la mer
Noire ; c’est à peine si du thé, préparé avec de l’eau de
mer, avait pu leur être distribué.
L’organisation des premiers secours. — L’Etat-Major du
Corps d’occupation français avait bien été avisé, vers le
10 novembre, que des convois de réfugiés devaient arriver
à Constantinople ; mais il ne savait rien de précis sur leur
composition et le nombre même approximatif des malades
ou blessés qu’ils comprenaient. Ainsi, les dispositions
exceptionnelles, que la situation allait nécessiter, n’avaient
pu être ni prises, ni préparées. Ce n’est que quelques heures
avant l’arrivée du premier bateau, le 14 novembre, que l’on
183
S*_.
l’œuvre d’assistance du service de santé
put avoir une idée de ce qu’il transportait, comme passagers
et comme matériel. Il en fut de même, les jours suivants,
pour presque tous les autres navires. C’est donc contre toute
attente que l’on vit le nombre de réfugiés, d’abord estimé
à 20 ou 30.000, monter rapidement à 50, 60.000, dépasser
100.000 et atteindre en définitive 135.000.
L’arrivée en rade de Constantinople, en quelques jours,
de masses aussi considérables allait imposer au Comman¬
dement et au Service de santé français une tâche particu¬
lièrement lourde. Il s’agissait pour nous, en effet, non seu¬
lement de recueillir, d’héberger et de traiter de nombreux
réfugiés, infirmes, malades et blessés, mais encore de pro¬
téger les troupes du Corps d’occupation et la population
même de la Capitale contre le danger redoutable, que leur
faisait courir la présence, dans les rangs des émigrés, de
nombreux malades atteints d’affections contagieuses. Pour
faire face aux difficultés de cette heure critique, le Service
de santé français eut à improviser en hâte une importante
organisation, à la réalisation de laquelle, puissamment
secondé par le Commandement, il consacra tous ses efforts.
M. le médecin-inspecteur Clouard, Directeur du Service de
santé du Corps, fut l’âme de cette organisation, qui mit
en lumière sa grande expérience, la clarté de sa pensée, son
activité, son autorité, son remarquable esprit de décision.
Grâce au dévouement inlassable, au labeur écrasant et à
l’initiative de tous, officiers, infirmières, sous-officiers,
hommes de troupe, qui malgré leur petit nombre et les dan¬
gers courus, s’employèrent de leur mieux, sous sa direction,
à la tâche commune, les milliers de malades débarqués^ à
Constantinople avec l’armée Wrangel, purent être abrités,
isolés et secourus en temps voulu (1).
m\ m le M-M l re classe Orticoni, envoyé en mission à Constanti¬
nople par le Ministre de la Guerre en décembre 1920, a laissé un rapport
remarquable sur cet effort, et la part qu il a prise lui-meme à la lutte
générale. Nous nous sommes inspirés de ses idées à plusieurs reprises
au cours de ce chapitre, et mis largement à profit les renseignements qu il
avait réunis.
184
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
C’est en effet des malades et des blessés, qu’on s’occupa
tout d’abord. Leur triage et leur débarquement furent des
plus malaisés, tellement était grande la difficulté de circuler
au milieu de la foule des passagers. Ils furent amenés dans
un faubourg de Constantinople à Tchéragan et recueillis
dans des baraques, précédemment occupées par les Services
du génie et de l’Intendance, et mises pour la circonstance à la
disposition du Service de santé. Là, après avoir reçu les
soins les plus urgents, ils furent enlevés à l’aide d’autos
sanitaires et transportés dans les formations destinées à les
recevoir.
Après avoir été débarrassés de leurs malades ou blessés,
de tous ceux du moins que la mauvaise volonté des occu¬
pants ou la résistance de certains médecins russes n’avaient
pas dissimulés, les navires furent refoulés en rade de Moda,
sur la rive asiatique. Leurs passagers furent débarqués,
épouillés, réembarqués ensuite sur les bateaux préalable¬
ment désinfectés et dératisés ; ils furent consignés sur ces
navires jusqu’à leur mise en route pour les pays limitrophes,
avec lesquels des pourparlers avaient été engagés dès le
début à ce sujet, ou pendant le temps nécessaire à l’amé¬
nagement des camps destinés à les recevoir.
Un certain nombre de ces réfugiés, 35.000 environ,
purent être acheminés, après quelques jours d’attente, sur
des pays voisins ; la Serbie, la Roumanie, la Bulgarie, la
Grèce donnèrent ainsi l’hospitalité à 12.000 d’entre eux ;
2.000 furent recueillis par le haut commandement anglais
au camp de Touzla, 16.000 débarquèrent à Constantinople
avec, ou sans passeport, 4.500 furent dirigés sur Bizerte par
le Gouvernement français avec 110 navires de la flotte
Wrangel. Les 100.000 restants furent répartis dans les
camps.
Les Camps. — Ils furent organisés en différents points, à
l’aide des ressources fournies par le Service de l’Intendance :
les réfugiés furent abrités sous tentes, sous baraques ou
dans tous édifices ou locaux d’habitation qu’il fut possible
l’œuvre d’assistance du service de santé
185
d’utiliser. Un médecin militaire français fut désigné dès le
début, dans chacun d’eux, pour assurer la direction ainsi
que le contrôle du Service médical, de l’hospitalisation et
des mesures d’hygiène (propreté, épouillage, désinfection,
vaccinations, etc...), dont l’exécution incombait au per¬
sonnel sanitaire russe (médecins, infirmiers, infirmières
comptant parmi les réfugiés). Chaque camp fut pourvu
d’une installation de douches, du matériel et des médica¬
ments indispensables au fonctionnement d’une infirmerie,
les grands malades seuls devant être évacués sur les hôpi¬
taux de Constantinople. Quant aux camps de Lemnos et de
Gallipoli, en raison de leur éloignement, ils furent dotés
d’hôpitaux. Certains camps n’hébergèrent que des réfugiés
civils ; d’autres furent exclusivement réservés aux troupes
de l’armée Wrangel.
a) Camps civils . —• Situés aux environs immédiats de
Constantinople, ils servirent d’asile aux familles et aux
émigrés civils isolés, ayant suivi l’armée dans sa déroute,
soit une population d’environ 10.000 réfugiés (Camp du
Port et de la base militaire, simple lieu de transit pour les
réfugiés de passage, Camp de San Stéfano, Camps Lannes
et Canrobert près de l’agglomération de Makrikeuy, Camp
de l’île d’Halki, Camp de Sélimié, près de Scutari, sur la
côte d’Asie).
b) Camps militaires . — Plus éloignés de Constantinople,
ces camps furent aménagés surtout à l’aide d’abris fournis
par le Service de l’Intendance, ou achetés aux Anglais ou
aux Américains. Dès les derniers jours de novembre, les
militaires russes y furent groupés par grandes unités orga¬
niques, afin de faciliter le fonctionnement du service de sur¬
veillance et de ravitaillement. Dans les camps de la région
de Tchataldja-Hademkeuy (ultérieurement Kabadja) furent
rassemblés près de 24.000 Cosaques du Don. Ceux de Lemnos
recueillirent 18.000 Cosaques du Kouba, pendant que ceux
de Gallipoli donnèrent asile à 22.000 hommes des troupes
régulières de l’armée Wrangel et à environ 6.000 civils.
On utilisa, pour le service sanitaire de ces trois grands
186 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
groupements militaires, les moyens et les formations dont
ils disposaient, au moment où ils combattaient en Crimée
contre l’armée des Soviets. Le groupement. d’Hademkeuy,
cependant, n’avait, conservé que son personnel et son ma¬
tériel régimentaires. Aussi l’hospitalisation de ses malades
fut-elle assurée par l’hôpital de Saint-Arnaud à Maltrikeuy,
dans la banlieue de Constantinople. Le groupement de
Lemnos et celui de Gallipoli avaient, en revanche, leur
matériel et leurs formations sanitaires propres.
L’Hospitalisation- — Pour bien comprendre combien ce
problème de l’hospitalisation fut embarrassant, il faut se
représenter qu’au mois de novembre 1920 les disponibilités
du Service de Santé, en personnel, en matériel et en organi¬
sations hospitalières, avaient été limitées aux besoins cal¬
culés pour un Corps d’occupation à effectif théorique de
12.000 hommes. Le matériel venait d’être réduit à la suite
de la liquidation, opérée au cours des mois précédents, des
importants stocks provenant de l’armée d’Orient. Une
seule section sanitaire de 15 voitures avait été laissée pour
nos troupes 5 encore 5 de ces voitures etaient-elles en répa¬
ration. Le Centre hospitalier de Constantinople ne compre¬
nait plus que 1.000 lits, répartis entre les trois hôpitaux de
Gul-Hané, Giîfard, Maltépé. Sur ces 1.000 lits, 600 seule¬
ment étaient, libres à la date du 14 novembre. Il ne fallait
pas trop compter par ailleurs, pour augmenter les ressources
hospitalières, sur les locaux ou etablissements susceptibles
d’être réquisitionnés et exploités sur place, la ville étant
surpeuplée et encombrée de réfugiés, venant de la Russie
méridionale, de Thrace, d’Arménie, d’Anatolie.
Le 14 novembre, quand arrivèrent les premiers réfugiés,
des mesures furent prises d’extrême urgence pour étendre
la capacité des trois hôpitaux du Centre hospitalier. Le
nombre des lits de l’hôpital Giffard, désigné comme forma¬
tion chirurgicale à destination des réfugiés, fut porté de 80
à 126. A Gul-Hané, une annexe chirurgicale comprenant
160 lits, fut créée par l’utilisation des baraques ayant servi
l’œuvre d’assistance du service de santé 187
à la réserve du personnel sanitaire. A l’hôpital de 'Maltépé
(ultérieurement, caserne Henrys), centre de contagieux et
de vénériens, 500 lits purent être organisés en plus des 500
qui existaient déjà.
Dans la journée du 14 novembre, 58 réfugiés furent hospita¬
lisés. Ce chiffre, encore minime, augmenta considérablement
le lendemain. Le 15 novembre, en effet, il passait à 368.
Il fut ensuite chaque jour jusqu au 24 novembre , de 500 à 600
en moyenne (830 maximum). La contenance de nos formations
augmentée ainsi qu’il vient d’être dit, jusqu’à l’extrême, fut
vite dépassée. Le soir du 15 novembre, l’hôpital de Maltépé
était bloqué. Il fallut créer en toute hâte, le lendemain et
les jours suivants, de nouvelles ressources. Le 16, l’hôpital
de Thérapia (590 lits), sur le Bosphore, qui avait été utilisé
pour nos troupes et venait à peine d’être fermé, fut réouvert
et aussitôt rempli. Entre le 17 et le 30 novembre furent
organisés successivement, dans d’anciennes casernes turques,
l’hôpital de Yldiz (1.300 lits), et de Zeitin-Bournou (450 lits),
l’hôpital de la Constitution (1.000 lits), de Saint-Arnaud
(650 lits), de Sélimié (600 lits) sur la côte d’Asie, de Pacha
Baght.ché (400 lits) sur le Bosphore. La capacité hospitalière
du Corps d'occupation français avait été ainsi portée en
quelques jours de 1.000 à 6.125 lits .
Ces formations complémentaires, équipées avec la hâte
qu’imposait l’arrivée précipitée des bateaux en rade, per¬
mirent « d’étaler » pour ainsi dire au jour le jour. L’ache¬
minement des réfugiés, après triage rapide, vers les hôpi¬
taux dont ils relevaient, suivant qu’ils étaient contagieux
ou non, fut bien tenté au début, mais il devint rapidement
impossible. A peine, en effet, un de ces établissements avait-il
ouvert ses portes, qu’il était en quelques heures occupé à
bloc par les malades, amenés de la rade, auxquels on était
dans l’obligation de donner avant tout un abri et un premier
secours. On en arriva de la sorte à héberger dans les mêmes
formations des malades de toutes catégories, contagieux, ma¬
lades généraux, suspects. D’ailleurs n’étaient-ils pas suspects,
tous ces hospitalisés couverts de parasites, qui avaient été sur
188 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
des navires encombrés, en contact avec des varioleux et des
typhiques ? Ce n’est qu’après quelques jours et quand le
nombre des entrées décrût, qu’il fut possible de procéder au
regroupement des malades, et à 1 isolement des contagieux
dans des formations spécialisées.
Le service, dans ces formations nouvelles, fut assuré par
les médecins, infirmiers, infirmières militaires ou civils
russes débarqués avec les réfugiés ; elles furent simplement
dotées d’un cadre médical et administratif militaire français,
composé d’un médecin-major, médecin-chef, d’un officier
d’administration gestionnaire et de quelques infirmiers. Ce
personnel d’encadrement fut prélevé sur celui des organes
de direction et sur celui de certains hôpitaux. Les médecins
des corps de troupe furent laissés à leurs unités, où leur
présence était indispensable, en raison de la menace épidé¬
mique créée par l’arrivée des réfugiés, et de la surveillance
médicale à exercer sur les troupes (application des règles
d’hygiène, vaccinations et revaccinations). Le matériel fut
emprunté aux hôpitaux déjà existants, pris sur les
approvisionnements de la réserve sanitaire, ou prélevé sur
le matériel dû au Consortium et non encore livré. Le ravi¬
taillement en vivres fut assuré par l’Intendance
Ainsi donc au 1 er décembre 1920, c’est-à-dire 15 jours
après l’arrivée du premier navire, le Service de santé du
Corps d’occupation français était déjà organisé, pour exercer
une surveillance médicale sur 60.000 réfugiés militaires
(Camps d’Hademkeuy, de Lemnos et de Gallipoli), sur
10.000 réfugiés civils (Camps de Constantinople), sur plus
de 30.000 réfugiés sur navires en rade de Moda en instance
d’hébergement ; enfin il avait en traitement dans ses hôpi¬
taux près de 4.000 malades ou blessés.
La situation s’améliora progressivement pendant les
semaines suivantes. Les entrées dans les hôpitaux de Cons¬
tantinople allèrent en diminuant ; leur moyenne journalière
tomba à 50, vers le milieu de décembre. On commença dès
lors à voir clair et à souffler ; la période des hospitalisations
massives pouvait être considérée comme terminée. L’amé-
189
l’œuvre d’assistance du service de santé
lioration devint encore plus sensible dans la deuxième quin¬
zaine de décembre. On n’avait plus, au dernier jour de 1 an¬
née que 7 à 8 entrées journalières dans les formations. Les
chiffres suivants précisent le mouvement des malades dans
les formations hospitalières de Constantinople, du 14 no¬
vembre 1920 au 1 er janvier 1921 :
Nombre total de* entrées du 14 Novembre au 30 Novembre.
» » » sorties pendant la même période ...
» » » entrées du 14 Novembre au 1er Janvier 1921...
» » » sorties pendant la même période.
En traitement au 1 er Décembre 1920....... •
» » au 1" Janvier 1921.
5.965
2.338
8.589
6.216
3.664
2.192
Par ailleurs, dans les camps, où 1 on s était efforcé de
compléter l’organisation des formations sanitaires, des ser¬
vices d’hygiène, d’épouillage et de désinfection, de déve¬
lopper les stations de javellisation de l’eau de boisson, la
situation s’amende rapidement. Pendant le mois de dé¬
cembre 1920, on note 692 entrées dans les hôpitaux de Galli-
poli et 926 entrées dans ceux de Lemnos, enfin 400 entrées
dans les infirmeries des camps.
A la date du I er janvier 1921, le Corps d’occupation fran¬
çais a encore à sa charge absolue l’entretien de près de
80.000 réfugiés, et le Service de Santé leur direction médicale
et leur approvisionnement sanitaire. Mais la détente se pro¬
duit insensiblement et progressivement. Les hôpitaux du
Corps d’occupation qui comptaient encore 2.192 réfugiés
en traitement le 1 er janvier 1921 (1), n en avaient plus que
1.547 le 1 er février. On put alors envisager le regroupement
des moyens d’hospitalisation et la suppression des forma¬
tions de secours, qui avaient dû être ouvertes à Constanti¬
nople et dans sa banlieue. Déjà, le 15 décembre, 1 hôpital
(1) Il ne s’agit ici que des Hôpitaux organisés dans la Capitale ou
dans ses environs immédiats, les Camps militaires de Lemnos et e
Gallipoli ayant, comme il a été dit, leurs hôpitaux propres, sous toit,
sous tentes ou sous baraques.
190
LÉS ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
de la Constitution avait été supprimé. Le 24 janvier 1922
on ferma l’hôpital Saint-Arnaud et, dans le courant du mois
de février, celui de Thérapia. Le 1 er mars, le chiffre des
réfugies hospitalises n’etait plus que de 1.224 ; il diminua
encore par la suite. En mars et avril, les hôpitaux de Zeitin
Bournou, de Pacha-Baghtché et de Maltépé cessèrent, à
leur tour, tout fonctionnement. Le 1 er mai, le Corps d’occu¬
pation ne conservait plus à sa charge pour les besoins des
réfugiés russes de Constantinople que deux hôpitaux, celui
de Yldiz, sur la côte d’Europe (1.000 lits) et celui de Sélimié,
sur la cote d Asie (400 lits). C’est dans ces deux formations,
que furent rassemblés tous les réfugiés qui restaient encore
à cette date en traitement à l’hôpital de Gul-Hané qui fut,
de la sorte, exclusivement réservé à partir de ce moment,
ainsi que 1 hôpital Giffard, aux malades et aux blessés du
Corps d’occupation.
Après des négociations laborieuses, le Comité central de
la Croix-Rouge russe pour le Proche-Orient, en décembre
1921, put prendre à son compte ces deux formations d’Yldiz
et de Sélimié, (cette dernière bientôt supprimée), dont il
assura dès lors la gestion, la direction et le fonctionnement.
Tout le matériel et l’équipement de ces hôpitaux, qui
appartenaient au Service de santé français, leur furent
laissés, à titre de prêt. Des rations alimentaires furent, de
plus, allouées pendant quelque temps encore par l’Inten¬
dance française, pour le ravitaillement des malades et du
personnel.
L organisation hospitalière, créée par le Service de santé
français en faveur des réfugiés russes, et qui s’était traduite
par 138.575 journées d’hospitalisation en 1920 et par
206.307 journées en 1921, prenait ainsi fin (1). Improvisée
en novembre 1920, utilisée dans son plein développement
pendant quelques semaines seulement, elle n’avait pas tardé
à être réduite progressivement, pour cesser complètement
Trfü a Le re iî V / des , dé P enses > dit * Compte russe », engagées par le Ser¬
vice de santé français, pour fournitures de matériel sanitaire ou de médi-
191
l’œuvre d’assistance du service de santé
son fonctionnement en décembre 1921. Elle avait donc duré
environ une année.
L’effort fut considérable ; nous ne pensons pas, au con¬
traire, diminuer son mérite en rendant ici hommage àl aide,
que les étrangers et les Croix Rouges nous apportèrent à
l’heure critique. Le Service sanitaire ottoman offrit 150 places
dans ses hôpitaux, à charge de remboursement. Le Corps
d’occupation anglais se désintéressa entièrement, au début,
de l’exode Wrangel ; il consentit ensuite, par amitié pour
nous, à mettre 150 lits à la disposition des réfugiés russes
blessés, et à prendre la direction médicale du camp de Touzla ;
enfin il nous prêta pendant quelques semaines six autos
sanitaires. Le Service de santé italien prêta un médecin et
le Service de santé grec ne fit rien. La Croix Rouge améri¬
caine apporta une aide importante, tant par 1 installation
d’un hôpital de 150 lits, que par la distribution abondante de
matériel et de dons en nature. La Croix Rouge russe orga¬
nisa un hôpital de 250 lits dans les locaux de l’Ambassade
russe à Péra. Les Croix Rouges anglaise et italienne partici¬
pèrent à l’aide générale par la distribution de dons en nature.
Enfin la Croix Rouge française (S. B. M.), qui, sous la direc-
caments et pour frais d’hospitalisation aux réfugiés russes, se traduit
par les chiffres suivants :
Exercice 1920 (du 14 Novembre au 31 Décembre)
Matériel.
Médicaments.
Dépenses diverses .. .
Frais d’hospitalisation
374.835 fr» 30
59.183 »> 02
130.510 » 59
1.107.406 » 70
1.671.935 frs 61
Exercice 1921 (du l* r Janvier au 31 Décembre)
Matériel.
Médicaments.. •.
Dépenses diverses., • «
Frais d’hospitalisation
341.142 frs 55
101.644 » 43
182.875 » 58
1.885.819 » 18
2.510.981 frs 76
Au 1 er Janvier 1922, date d’arrêté du Compte Russe :
Dépenses totales engagées,
4.182.917 frs 35.
192
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
tion intelligente et dévouée de M lle Voisin, avait organisé
l'hôpital Jeanne d'Arc à Péra, s’orienta de plus en plus vers
le traitement des femmes en couches et des tout petits ;
cette courageuse équipe rendit les plus grands services.
La Croix Rouge internationale de Genève envoya un
délégué pour assurer la coordination des efforts des Croix
Rouges ; elle n’intervint à aucun moment dans la gestion
des hôpitaux.
La dispersion des réfugiés. — La réduction graduelle de
l'organisation hospitalière et l’atténuation des charges,
qu’elle entraîna, furent la conséquence naturelle de l’amélio¬
ration de l’état sanitaire des camps, mieux organisés et plus
sains, des évasions, et surtout du départ d’un nombre élevé
de réfugiés pour certains pays, qui avaient consenti à les
recevoir, après accords intervenus entre la France et les
Gouvernements intéressés.
Dans les camps, la situation sanitaire s’amenda rapide¬
ment ; les foyers épidémiques furent jugulés après quelques
mois d’efforts. Dès avril 1921, les graves inquiétudes
auxquelles avait donné lieu l’état sanitaire étaient dissipées.
En mai, des convois de réfugiés commencèrent à s’ache¬
miner vers les pays limitrophes ; les départs se multi¬
plièrent dans le courant de l’été et de l’automne. Le camp
militaire de Lemnos, fort environ de 18.000 réfugiés au
1 er janvier 1921, n’en hébergeait plus que 1.500 au
1 er juin, 7.000 le 1 er juillet, 4.000 le 1 er août, 1.800 le
1 er septembre, 150 le 1 er octobre ; il était supprimé dans
le courant d’octobre. Les Camps de Constantinople,
(camps civils et camps militaires d’Hademkeuy-Tcha-
taldja-Kabadja) contenaient plus de 30.000 russes au
x 1er janvier 1921 : ce chiffre descendit à 21.000 le 1 er fé¬
vrier, 15.000 le 1 er mars, 7.500 le 1 er mai, 3.000 le
1 er août, 2.400 le 1 er octobre, 2.000 le 1 er décembre } ils
étaient liquidés en décembre 1921. — Les Camps de
Gallipoli, qui comptaient 30.000 réfugiés environ au
1 er janvier 1921, n’en avaient plus que 27.000 le
193
l'œuvre d’assistance du service de santé
le r mars, 25.000 le 1er j u ; n? 22.000 le 1er août) 14.000 le
1 er septembre, 12.000 le 1 er novembre, 7.000 le 1 er dé¬
cembre ; au 1er janvier 1922, il ne restait plus que
2.000 rationnés dans les camps de Gallipoli, qui ne tar¬
daient pas eux-mêmes à disparaître. (1)
C’est principalement vers les pays balkaniques, que la
masse des réfugiés s’écoula peu à peu. La Yougo-Slavie
et la Bulgarie acceptèrent de recueillir, avec de nombreuses
familles, les Unités restées constituées de l’armée Wrangel ;
12 à 15.000 hommes environ furent ainsi envoyés sur le
territoire de chacune d’elles, où on les employa dans les
usines, dans les mines, dans les chemins de fer ou à la répa¬
ration des routes. Les cavaliers furent préposés ,en Yougo¬
slavie, à la garde des frontières. On se souvient qu’en 1922,
à la suite d’une réclamation du Gouvernement des Soviets,
ordre fut donné par la Commission interalliée de désarmer
et de disloquer ces Unités. L’Etat-Major du général Wrangel
fut dissous à cette époque, et le général fut invité lui-même
à quitter le territoire de la Yougo-Slavie.
Un essai d’émigration, tenté à la fin de 1921 à destination
du Brésil, ne fut pas heureux et n’occasionna que des dé¬
boires. Seuls, les cultivateurs expérimentés furent conservés
par le Gouvernement brésilien; les autres émigrés furent
refusés et durent revenir en Europe ; certains s’arrêtèrent
en Corse.
Quelques milliers de réfugiés obtinrent par l’intermédiaire
delà Société des Nations, l’autorisation de revenir en Russie;
d’autres, plus nombreux, se fixèrent à Constantinople. En
octobre 1923, le chiffre des Russes des deux sexes qui sé¬
journaient dans la Capitale était de 34.000 environ. La plu¬
part d entre eux ont quitté le pays turc au moment où nos
troupes sont rentrées en France ; certains, autorisés à sé¬
journer sur notre territoire, sont venus grossir la Colonie
(1) Ces chiffres d’effectifs, d’ailleurs très arrondis et un peu
approximatifs, sont à rapprocher de ceux qui préciseront, dans le
paragraphe suivant, la morbidité et la mortalité des Groupements de
réfugiés.
Dejouàny 13
russe déjà fort nombreuse à Paris et dans la Métropole.
Ainsi se sont essaimés, aux quatre coins du monde, les
135.000 émigrés russes de l’armée Wrangel.
B) LA MORBIDITÉ ET LA MORTALITÉ
DES RÉFUGIÉS RUSSES
Nous n’envisagerons seulement ici que l’épidémiologie des
Groupements russes, en laissant volontairement de côtél’étude
des affections générales ou saisonnières, ainsi que l’histoire
des blessés de guerre, provenant de l’évacuation précipitée
des hôpitaux fixes de Crimée ou des Formations Sanitaires
de l’armée Wrangel.
Il n’est pas surprenant, que les réfugiés aient payé un
lourd tribut aux affections épidémiques. Les conditions les
plus favorables à la contagion interhumaine n’avaient-elles
pas été réalisées sur ces navires, à bord desquels arrivèrent à
Constantinople, dans un entassement indescriptible, au mi¬
lieu des contagieux les plus graves, des milliers de malheu¬
reux en proie à une effroyable détresse physique et morale,
épuisés par les privations, torturés par la soif et la faim, cou¬
verts de vermine ?
Des foyers de contagion s’allumèrent rapidement dans
toutes les agglomérations de réfugiés. Le typhus exanthé¬
matique, le typhus récurrent, le choléra, les infections
typhoïdes apparurent, puis se développèrent bruyam¬
ment, exigeant pendant de longs mois la surveillance atten¬
tive du Service de santé militaire français. D’autres maladies
contagieuses, dysenterie, variole, peste, grippe, fièvres érup¬
tives, frappèrent les réfugiés ; mais leur petit nombre n’eut
qu’une influence insignifiante sur le taux et le développe¬
ment de de la morbidité. Nous ne passerons en revue, parmi
ces affections, que les principales, et seulement à grands
traits.
1° Le Typhus exanthématique. — Le typhus exanthéma¬
tique existait déjà, avant l’exode, dans la presqu’île de Cri-
195
l’œuvre d’assistance du service de santé
mee, où il sévissait, tant dans la population civile, que parmi
les troupes opérant contre l’armée des Soviets. Au moment
de l’évacuation, des typhiques en pleine évolution
furent extraits des hôpitaux de Russie et transportés à
Constantinople à bord des mêmes bateaux que les autres
réfugiés ; il n’est donc pas surprenant, que le typhus
exanthématique se soit manifesté dès le début parmi ces
derniers, et qu il se soit développé en même temps, aussi
bien dans les camps de Constantinople que dans ceux de
Gallipoli et de Lemnos.
Dans les Camps de Constantinople et de la région d’Ha-
demkeuy-Tchataldja (1), l’épidémie se développa dès le mois
de novembre 1920, augmenta rapidement en décembre,
marqua son maximum en janvier 1921 et diminua en¬
suite, pour s’éteindre complètement en mars ; elle se tra¬
duisit en définitive par 315 atteintes, dont 30 décès.
A Gallipoli et à Lemnos, l’épidémie commença seulement
lorsque les Camps furent aménagés et habités ; elle s’accrut
ensuite, atteignant son point culminant en janvier 1921 à
Lemnos, où sa décroissance fut rapide, les derniers cas étant
observes en mars ; à Gallipoli, elle continua son ascension en
février, baissa brusquement en mars; elle ne donna lieu, à
partir de cette époque et jusqu’en août, qu’à un petit nombre
de cas sporadiques. On observa au total à Gallipoli 517
atteintes, dont 42 décès, 301 atteintes à Lemnos, dont 25
décès, soit pour l’ensemble des réfugiés, en tenant compte
de celles observées à Constantinople et à Hademkeuy, 1.133
atteintes, dont 97 décès, réparties dans le temps, comme l’in¬
dique le tableau suivant :
Il fallut donc, comme on le voit, 4 à 5 mois pour juguler
complètement l’épidémie. Les appareils de désinfection et de
désinsectisation avaient bien ete multipliés dans les Camps,
avec toute la célérité possible ; mais la pratique systématique
(1) Tous les cas de maladie, observés dans les camps d’Hademkeuy-
Tchataldja, ont été réunis à ceux observés dans les camps de Constanti¬
nople, sur les hôpitaux desquels étaient évacués les malades de Hadem-
keuy-Tchataldja.
196 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
CAM
DB CON3TA
et de la
dTIadei
Atteintes
[PS
NTIÎIOPLB
région
cnkeuy
Décès
CA1V
DE GAL
Atteintes
1PS
XIPOLI
Décès
CAIV
DK LE
Atteintes
IPS
IMHOS
Décès !
I Novembre 1920 .
39
7
»
»
»
»
I Décembre » .
93
14
32
18
22
4
1 Janvier
1921.
107
6
139
7
123
7
| Février
» .
54
3
252
10
79
9
K Mars
» ......
22
»
82
6
71
5
I Avril
»
»
4
1
6
»
I Mai
» * .
»
»
2
»
»
»
I Juin
» ......
»
T>
1
»
»
»
1 Juillet
»
»
2
»
»
»
Août
» .
»
»
3
»
»
» I
Total.
815
30
517
42
301
25 I
et répétée chez tous les réfugiés des mesures de prophylaxie
prescrites ne put, faute de personnel, être surveillée de
façon aussi attentive qu’il eût été indispensable, pour ob¬
tenir les résultats immédiats, les médecins russes s’em¬
ployant sans ardeur à leur tâche.
Dans les formations sanitaires, où cette pratique put être
poursuivie plus rigoureusement et contrôlée avec plus de
vigilance, les cas de contagion intérieure furent exception¬
nels. La maladie frappa cependant mortellement le Médecin-
Major français Corroy, médecin-chef de l’Hôpital des réfu¬
giés Russes de Sélimié, tombé comme un soldat à son poste
de combat. Parmi nos troupes, il y a lieu de signaler 8 cas
de contamination, dont un décès, qui se produisirent malgré
le soin avec lequel les mesures de préservation furent prises.
2° Le Typhus récurrent. — C’est l’affection qui s’est mani¬
festée avec le plus d’intensité parmi les réfugiés. Elle sé¬
vissait déjà à l’état épidémique en Crimée ; de plus à bord
de certains navires, arrivés en rade lors de l’exode, se trou¬
vaient des mala,des qui en étaient atteints. Elle occasionna
l’œuvre d’assistance du service de santé
197
parmi les réfugiés des Camps, de novembre 1920 à mai 1921 :
3.958 cas, dont 92 décès. Le tableau suivant indique leur
répartition :
CAN
DK CONSTA
et da la
d’IIade;
Atteintes
IPS
lHTINOPLE
région
mkeuy
Décès
CAN
DB GAL
Atteintes
[PS
LIPOLl
Décès
CAV
DE IB
Atteintes
[PS j
muos !
Décès I
Novembre 1920..
169
»
»
»
»
)) I
Décembre » .
547
32
145
3
327
12 I
Janvier 1921.
394
6
580
6
386
6
Février » .
110
6
388
6
325
4
Mars » ..
74
2
114
2
161
2
Avril » .......
6
»
10
»
13
»
Mai » .......
1
»
6
»
1
»
Total.
1.301
46
1.243
17
1.213
24
L’épidémie de fièvre récurrente présenta, on le voit, dans
sa répartition et son évolution, une marche parallèle à celle
du typhus exanthématique ; comme cette dernière, elle
affecta dès le début tous les Camps, mais avec une allure
plus sévère, pour ce qui est du moins du nombre des atteintes :
3.258 cas de fièvre récurrente pour 1.133 cas de typhus exan¬
thématique. C’est là une particularité qui mérite d’être sou¬
lignée. La contagion de la fièvre récurrente exige, en effet,
l’écrasement préalable du parasite sur l’épiderme, l’inocu¬
lation se faisant à travers une lésion de grattage ; ce sont là,
cependant, des conditions de contamination plus difficiles
à réaliser, semble-t-il, que la simple piqûre de pou, suffi¬
sante pour transmettre le typhus exanthématique.
L’épidémie atteignit d’emblée ou presque, dès le premier
ou le deuxième mois son maximum. Comme pour le typhus
elle put être enrayée en moins de cinq mois ; ici encore les
mêmes observations s’imposent, relatives à la mauvaise
exécution, par le personnel médical russe, des mesures près-
198
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
crites d’hygiène et de prophylaxie. Elle frappa également
huit militaires de notre Corps d’Occupation, dont le Médecin-
Major Le Cousse, des Troupes Coloniales, Médecin-Chef
des Camps Russes de la région d’Hademkeuy-Tchataldja,
qui étaient, par leurs fonctions, en rapport avec les Réfu¬
giés ; elle n’entraîna fort heureusement chez eux aucun
décès.
3° Les Infections typhoïdes. — Les réfugiés impor¬
tèrent la fièvre typhoïde et les fièvres paratyphoïdiques,
comme ils avaient importé le typhus exanthématique et la
fièvre récurrente. Les mauvaises conditions, dans lesquelles
s’étaient faits l’exode des Réfugiés et l’installation des
Camps, au début assez médiocres, laissaient redouter une
épidémie, d’autant plus à craindre, que la plupart des mi¬
litaires de l’Armée Wrangel et des personnes civiles, qui
les accompagnaient, n’étaient pas immunisés contre les
infections typhoïdes. Les vaccinations furent entreprises
aussitôt. Elles permirent, jointes aux mesures mises en
œuvre pour doter les Camps d’eau javellisée, d’obtenir
en deux ou trois mois la cessation presque complète de l’épi-
démie, qui s’était développée dans tous les Camps. La dé¬
tente ne fut que passagère à Gallipoli et à Lemnos, où l’on
constata au cours de l’été 1921 une recrudescence assez
vive de l’épidémie, les opérations de vaccination n’ayant
pas été effectuées avec un soin assez rigoureux. Le vaccin
avait été gaspillé, des hommes avaient été mal vaccinés
ou ne l’avaient pas été du tout, du fait de l’inertie
ou du mauvais vouloir des Réfugiés Russes, du manque
d’énergie de leurs Médecins et du manque d’autorité du
Commandement Russe.
a) Camps de la Région de Constantinople et d’Hademkeuy. —
20 malades entrent, dès leur débarquement, dans les hô¬
pitaux de Constantinople où 46 nouveaux cas, dont 3 décès
sont observés en décembre 1920, 49, dont 5 décès, en janvier
1921. Mais, à partir de ce moment et jusqu’à la fin de l’année
1921, il ne se produisit plus parmi la population des Camps,
199
l’œuvre d’assistance du service de santé
avoisinant la ville, que des cas isolés ; 5 cas en février, 6 en
mars, 3 en avril, 2 en mai, soit 131 cas, dont 8 décès en
six mois (décembre 1920 à mai 1921).
b) Camps de Gallipoli. — Les atteintes sont ici beaucoup
plus nombreuses : 51 cas, dont 11 deces en décembre 1920,
141 cas dont 18 décès en janvier 1921, 116 cas dont 11 décès
en février, 32 cas dont 5 décès en mars ; la maladie semble
s’éteindre en avril (3 cas dont 1 décès), en mai (2 cas dont
1 décès), en juin (4 cas). Mais en juillet, la courbe s’élève
(11 cas, dont 1 décès) ; on note en août 94 cas dont 13 décès
et en septembre 53 cas, dont 11 décès ; les dernières at¬
teintes sont constatées en octobre (29 cas).
c) Camps de Lemnos . — L’épidémie revêt la même allure :
3 cas dont 1 décès en décembre 1920, 8 cas dont 1 décès
en janvier 1921, 22 cas en février 1921, 21 cas en mars 1921,
16 cas en avril 1921. On ne constate plus en mai et en juin
que 2 et 3 cas dans le mois, mais l’épidémie se réveille aus¬
sitôt comme à Gallipoli, se traduisant par 7 cas de fièvre ty¬
phoïde ou paratyphoïde en juillet, 62 dont 8 décès en août.
Ce ne fut heureusement là qu’une flambée. De nouveau,
en septembre quatre cas seulement étaient observés.
Les deux poussées constatées à Lemnos et à Gallipoli se
sont en somme traduites par les chiffres suivants :
Première poussée \
de Novembre 1920 4 Avril ou Mai 1921 ( 347 cas dont 46 décès à Gallipoli.
( Gallipoli : 28.000 ( 71 cas dont 2 décès à Lemnos,
Effectif moyen j Lemnos . 18 , 000 )
Deuxième poussée 1
de Juillet à Septembre 1921 / 187 cas dont 23 décès l Gallipoli.
C Gallipoli : 20.000 1 73 cas dont 12 décès à Lemnos.
Effectif moyen j Lemnog . 4-000 )
En résumé, les affections typho-paratyphoïdiques occa¬
sionnèrent dans leur ensemble, entre le 14 novembre 1920
et le 14 novembre 1921 :
Dans les camps de Constantinople : 431 cas dont 8 décès.
Dans les camps de Gallipoli,. 534 cas dont 71 décès.
Dans les camps de Lemnos ...... : 144 cas dont 14 décès.
Soit un total de ... 1 809 cas dont 93 décès.
200
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
Ces épidémies n’ont exercé aucune influence sur la mor¬
bidité typhoïdique de nos troupes, bien protégées par des
mesures rigoureuses. En une année, d’octobre 1921 à la fin
de septembre 1922, on ne traita dans les hôpitaux du Corps
d’Occupation que 11 cas de fièvre typhoïde ou paratyphoïde,
avec 2 décès : soit 7 marins, 1 militaire colonial (décédé)
et 3 militaires métropolitains (dont 1 décédé).
Si l’on n’a pu juguler tôt et d’une façon complète la fièvre
typhoïde dans les Groupements Russes, ce n’est certes pas
faute d’avoir adressé des instructions précises aux Méde¬
cins Français chargés du contrôle, aux médecins Russes
chargés de l’exécution, et même au Directeur du S. de S.
de 1 armée Wrangel ; pour des raisons dont quelques-unes
ont été dites plus haut, on eut beaucoup de peine à faire
vacciner les Russes, et cependant en quelques mois , la Di
rection du Service de Santé du Corps d’Occupation
Français n’adressa pas moins de 150 litres de vaccin T A . B.
aux differents groupements de Réfugiés, dont nous avions
la charge.
Dans cette circonstance et dans bien d’autres aussi pres¬
santes, l’Institut Pasteur de Constantinople ne nous mé¬
nagea pas son concours ; nous désirons le remercier ici de
l’aide constante, qu’il a bien voulu nous apporter.
4° Le Choléra. — Cette affection occasionna, au mois de
décembre 1920, parmi les réfugiés Russes du Camp de Tchi-
linguir, dépendant des Camps de la région d’Hademkeuy-
Tchataldja, une épidémie d’allure menaçante, mais heureu¬
sement vite enrayée par à une action prophylactique
prompte et sévère. Il nous a paru intéressant de relater ici
les épisodes, qui marquèrent l’apparition et la marche de
cette épidémie.
Le 4 décembre, étaient constatés à l’hôpital civil Franchet
d Esperey, à Constantinople, quatre cas bactériologique-
ment confirmés de choléra, chez des sujets qui étaient traités
dans une salle, à côté de réfugiés Russes (G. Delamare) (1).
(1) G. Delamare, Académie de Médecine (25 juillet 1922)j
l’œuvre d’assistance du service de santé 201
Ainsi qu il résultait des renseignements fournis aux services
sanitaires, la maladie avait donné lieu, dans le courant
de 1 été, dans la presqu’île de Crimée d’où venaient les Ré¬
fugiés, à quelques manifestations qui avaient cessé avec la
saison chaude. On fut amené à supposer que, sans doute, par¬
mi les réfugiés admis à l’Hôpital Franchet-d’Espérey, s’en
trouvaient qui étaient porteurs sains de vibrions cholériques,
et qui étaient involontairement responsables des cas qui
venaient de se produire. Les examens nombreux de selles,
qui furent pratiqués aussitôt sur tous les réfugiés en traite¬
ment, n’apportèrent cependant pas la vérification de cette
hypothèse. Grâce aux mesures prises dans la formation,
à la vaccination du personnel et de tous les malades, il ne
se produisit aucune contamination nouvelle.
L’incident avait donné l’éveil. Aussi le Service de Santé
Français se tint prêt à vacciner la population civile et tous
les réfugiés vivant dans les Camps, et jugea-t-il prudent de
procéder à la revaccination dans le Corps d’occupation de
tous les militaires, qui avaient été vaccinés depuis plus de
quatre mois.
On était donc en situation de demi-alerte lorsque, le 13
décembre, le médecin militaire français chargé du contrôle
médical des camps de la région d’Hademkeuy-Tchataldja,
avisait le Directeur du service de santé, qu’au camp de Tchi-
linguir (1) 13 malades présentaient, depuis 48 heures, des
symptômes de diarrhée grave revêtant l’allure du choléra nos-
tras, et que sept d’entre eux étaient décédés dans la journée du
13. Le rapport spécial du médecin signalait que les 13 sujets
atteints avaient, au cours d’une corvée dont ils avaient été
chargés le 11, bu de l’eau croupissante d’une mare. M. le
Medecin-Major de l re classe Orticoni, envoyé en mission à
Constantinople, et qui remplissait avec distinction auprès
du Directeur du Service de Santé les fonctions temporaires
d’adjoint technique, se rendit immédiatement sur place
avec le médecin-major de 2° classe Pauron, chef du Labora-
(1) Ce camp contenait 10.000 hommes environ.
202
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
toire de Bactériologie, en vue de procéder à une enquête
destinée à préciser la nature exacte de ces cas de diarrhée,
et à effectuer les prélèvements nécessaires aux recherches
bactériologiques.
La situation apparut immédiatement plus sérieuse, que rie
le laissaient supposer les informations reçues. On apprit, en
effet, par un médecin-général Russe qu il y avait eu en réalité,
depuis le 10 novembre, 65 sujets atteints de diarrhée grave,
dont 22 étaient décédés; 45 malades, a écrit M. le médecin-
major Orticoni, « étaient étendus dans une bergerie, sur un
« peu de paille ou sur des couvertures, vomissant et allant
« à la selle... la plupart souffraient de crampes intestinales,
« et un certain nombre d’entre eux avaient le faciès cholé-
« rique type (yeux excavés avec congestion de la face et
«injection conjonctivale, figures amaigries et vidées)». Des
prélèvements de selles furent faits. Des ordres furent don¬
nés, en vue de réaliser immédiatement l’isolement non-seu¬
lement de la bergerie, mais du Camp de Tchilinguir. Les ma¬
lades furent gardés et traités sur place, au lieu d’être éva¬
cués sur les hôpitaux de Constantinople, dont ils étaient nor¬
malement tributaires. Les examens de laboratoire, prati¬
qués le 15, démontrèrent que le vibrion cholérique était bien
en cause. Le nombre des atteintes avait augmenté d’ailleurs
à cette date ; il était de 70, dont 24 avaient été suivies de décès.
L’émotion fut grande à Constantinople, où il importait au
plus haut point de préserver la population et les Contin¬
gents alliés d’occupation. Le danger était d’autant plus
inquiétant, que le camp de Tchilinguir n était pas éloigné
du Lac de Derkos dont les eaux, utilisées pour l’alimenta¬
tion de la ville en eau potable, couraient le risque d’être
contaminées. La mise en quarantaine du camp infecté, l’in¬
terdiction de son accès par un cordon de spahis échelonné
tout autour de lui, la suppression de toute communication,
par voie de terre ou par chemin de fer, de la population lo¬
cale ou des réfugiés stationnés sur le territoire de la zone
consignée avec les régions limitrophes d’Andrinople ou de
Constantinople, la vaccination anticholérique pratiquée en
l’œuvre d’assistance du service de santé 203
une fois à la dose de 2 cm 3 1 /2 à 3 cm 3 sur tous les occupants
de cette zone, l’exécution d’importantes mesures d’hy¬
giène, de propreté, de désinfection, permirent d’arrêter l’épi¬
démie et d’éviter la diffusion de la maladie. Elle n’en avait pas
moins occasionné, entre le 11 et le 19 décembre (date des
quatre derniers cas), 88 atteintes dont 49 avaient été sui¬
vies de décès. La quarantaine imposée à la zone de
Tchilinguir fut levée le 17 janvier 1921, les opérations de
vaccination étant terminées à cette date, et les nombreux
examens de selles pratiqués n’ayant décelé l’existence
d’aucun porteur de germes parmi les sujets sains ou parmi
les convalescents.
5° La Dysenterie. — La dysenterie qui affectionne en
général, surtout sous sa forme bacillaire, les agglomérations,
aurait dû trouver dans les Camps Russes un champ d’ac¬
tivité tout à fait favorable à son développement. Il n’en a
rien été cependant et l’affection ne donna lieu qu’à des ma¬
nifestations sans éclat. Ce fait mérite d’être souligné, car
il témoigne, sans nul doute, du soin qui fut apporté partout,
dès le début, dans l’œuvre d’assainissement des camps et
d’épuration des eaux de boisson,
Dans les Camps de Constantinople, on observa 9 cas de
dysenterie amibienne en décembre 1920, 4 en janvier 1921,
1 en février, 1 en mars. A Gallipoli, les premiers cas (six)
se produisirent en février 1921, six cas furent constatés en
mars, cinq en avril. Il en fut de même à Lemnos où on ne
signala d’abord que des cas sporadiques : trois cas en janvier
1921, dix en février, six en mars, sept en avril. En juin ce¬
pendant, éclata brusquement une épidémie de dysenterie
amibienne, dont il fut heureusement possible de limiter assez
promptement l’extension : 80 cas en juin, 24 en juillet,
13 en août. En septembre, tout était terminé.
6° La Peste. — Cette affection ne donna lieu tout au
début qu’à une simple alerte. Le 22 novembre 1920, en
effet, quatre cas de peste bubonique étaient observés àl’hô-
204 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
pital Franchet-d’Esperey, chez des réfugiés qui étaient
arrivés de Sébastopol, à bord du « Lazareff », avec 800 autres
réfugiés. Le navire étant encore en rade avec ces derniers,
il fut possible de le mettre immédiatement en quarantaine,
de procéder à la dératisation de ses cales, à la vaccination de
ses passagers et de son équipage. Ces mesures et celles prises
à l’hôpital pour l’isolement des malades et l’immunisation
des personnes, qui s’étaient trouvées en contact avec eux,
suffirent à empêcher la propagation de la maladie.
Les examens, auxquels procéda à ce moment-là F Ins¬
titut Bactériologique Ottoman sur des rats qui furent cap¬
turés un peu partout dans la ville, démontrèrent qu’aucun
de ces rats n’était porteur du bacille de Yersin.
7° La Variole» — Une explosion de variole était d’autant
plus à redouter que, dans la masse des réfugiés évacués de Sé¬
bastopol, s’étaient trouvés, sur les mêmes bateaux, 13 va¬
rioleux en pleine période de suppuration. Aussi les opéra¬
tions de vaccination jennérienne furent-elles entreprises
dès le débarquement, et poursuivies avec vigueur. Elles
étaient bien nécessaires : un nombre assez élevé de mili¬
taires appartenant à certaines Unités de l’Armée Wrangel,
plus spécialement les Kalmouks et les Tartares, n’avaient
r subi antérieurement aucune immunisation antivariolique.
Du 3 au 26 décembre 1920, six cas nouveaux, les derniers,
furent enregistrés.
8° Le Scorbut» — Signalée en novembre 1920, chez quelques
réfugiés sur rade, cette affection fut rapidement maîtrisée.
Dans le courant de janvier 1922, quelques manifesta¬
tions scorbutiques furent signalées, parmi la population russe
de Gallipoli, par le médecin-chef des troupes françaises de
la presqu’île. Ces manifestations assez légères, mais tenaces,
se caractérisèrent par de l’anémie, de l’asthénie, des dou¬
leurs musculaires, des hémorragies gingivales. Des mesures
immédiates furent prises pour enrayer le développement
de l’affection ; des vivres frais furent substitués deux fois
v ;
l’œuvre d’assistance du service de santé 205
par semaine aux denrées de conserve, délivrées par notre
Intendance : par vivres frais, il faut entendre, dans le cas
particulier, les légumes verts, les oignons, les fruits, les
pommes de terre (la pomme de terre, riche en potasse, est un
excellent aliment antiscorbutique). Ces mesures, d’ordre
alimentaire, furent utilement complétées par l’administra¬
tion de jus de citron à l’intérieur, soit comme agent prophy¬
lactique, soit comme moyen de traitement, et par l’appli¬
cation d’une thérapeutique appropriée.
La maladie néanmoins traîna plusieurs mois, ayant atteint
une soixantaine de Réfugiés environ, puis disparut, au mo¬
ment même où la plupart de ceux-ci allaient être acheminés
sur des pays limitrophes.
Le nombre des réfugiés Russes décédés dans les hôpitaux
du Corps d’occupation ou dans les formations sanitaires des
Camps, pour la période du 14 novembre 1920 au 1 er novem¬
bre 1921, a été de 923, dont 366 par maladies contagieuses.
Ce long exposé précise la grandeur de la tâche à laquelle,
sans préjudice de leurs obligations propres, le Commande¬
ment et le Service de Santé du Corps d’occupation Français
se sont consacrés presque seuls, sans défaillance, pendant
près de 15 mois. Le secours, apporté par la France dans un
beau geste de charité, n’a pas seulement soulagé des mi¬
sères navrantes et sauvé de la mort des milliers de réfugiés
russes, il a encore permis de protéger, contre le fléau épidé¬
mique menaçant, la population de Constantinople, les Troupes
Alliées et même les Pays voisins de la Turquie.
C’est une œuvre qui honore notre Pays, notre Armée et
ses Chefs.
206
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
II
LE DISPENSAIRE FRANÇAIS DE STAMBOUL
Dans les derniers mois de 1921, le Général Charpy, com¬
mandant le Corps d’occupation français de Constantinople,
frappé de la misère qui régnait à Stamboul par suite de la
prolongation de la Guerre Gréco-Turque et de l’affluence
des réfugiés, prescrivait à l’un de nous d’étudier la création,
en plein quartier musulman, d’un Dispensaire, chargé de
donner aux indigents des consultations médicales gratuites,
et de leur fournir gracieusement les médicaments les plus
urgents.
Le 4 février 1922, le nouveau dispensaire ouvrait ses
portes ; il était installé rue Gumuchaveli, près de la Sublime-
Porte, dans un petit hôtel turc, dont la façade donne sur
la Grand-rue Mahmoudié. La maison avait été complète¬
ment remise en état par le Service du Génie du Corps d’Occu¬
pation, puis équipée par le Service de Santé. L’immeuble
était signalé par de grands panneaux encadrés par les couleurs
françaises et portant, en turc et en français, l’indication :
« C. O. F. C . Dispensaire Français gratuit » il comprenait :
Au rez-de-chaussée : l’entrée, les communs et la salle
d’attente des hommes ;
Au 1 er étage : le bureau de réception et la salle d’attente
des femmes ;
Au 2° étage : le bureau de consultations du Médecin et
la salle de pansements et de distribution de médicaments ;
Au 3° étage : le logement du personnel infirmier.
Le Personnel comportait : un médecin militaire, chargé
d’ailleurs d’une autre fonction dans la place (1), une secré¬
taire-interprète, un infirmier militaire préparateur en Phar¬
macie, un infirmier militaire chargé de l’entretien des locaux.
(1) MM. les médecins-majors de Garrigues, Gelibert et Demerliac
furent successivement chargés de ce service délicat, qu’ils assurèrent
avec autant de tact que de distinction.
SANTÉ 207
l’œtjvre d’assistance du service de
Le Fonctionnement du dispensaire était réglé de la façon
suivante : Au début, les consultations médicales avaient lieu
tous les jours de 13 à 16 heures, sauf le vendredi (dimanche
turc) et le dimanche ; par la suite, en raison de l’affluence,
elles furent données tous les après-midi de 14 à 16 h. (excepté
le vendredi et le dimanche), et les mardi, jeudi et samedi de
9 h. à 11 heures.
(Carte rose )
C. 0. F. G.
Dispensaire Français Gratuit
DB STAMBOUL
N* Nationalité. . — —
Spst.i ..
En Français
En Turc
Nom ft Prénom?
Aiirr efA ..
Cette carte doit être conservée
par le malade et être présentée à
chaque consultation.
(Même
indication
en Turc).
Sur le revers de
cette carte rose on
inscrit la date de
la Ire visite et celle
des visites ulté¬
rieures.
(Carte blanche)
G. O. F. G.
jV*. Date _
Dispensaire Français de Stamboul
FICHE RÉPERTOIRE
Nom et Prénoms - Age -
Sexe .. Nationalité -
(Célibataire, Veuf ou marié)
Adresse ..-.
RENSEIGNEMENTS MÉDICAUX
Première visite _
Sur le revers de
cette carte blanche
le Médecin inscrit
les renseignements
techniques re¬
cueillis au cours
des différentes vi¬
sites.
Pour bien comprendre le détail du fonctionnement du
dispensaire, il suffit de suivre un consultant dès son entrée.
Il est d’abord conduit dans une salle d’attente (homme ou
femme), où l’infirmier chargé de maintenir l’ordre lui dé¬
livre une fiche portant son numéro d’arrivée, de façon à ce
que chaque malade se présente à son tour devant le méde-
208
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
cin ; exception est faite pour les malades graves, ou pour
ceux qui, habitant des faubourgs éloignés de la ville, sont
vus avant tous les autres. Quand son tour est venu, il passe
dans le cabinet de réception, où la secrétaire-interprète
prend tous les renseignements (nom, âge, sexe, adresse),
qu’elle porte sur ses deux registres : répertoire individuel et
répertoire journalier, puis sur les 2 cartes du modèle ci-des-
sous, en mettant partout le même numéro d’ordre.
La première carte (rose) individuelle reste en possession du
consultant ; la deuxième carte (blanche) est présentée au mé¬
decin qui interroge et examine le malade ; le médecin porte
quelques renseignements cliniques et thérapeutiques sur la
carte et sur son registre d’observation personnel, puis, il ins¬
crit sur une feuille de bloc-notes les médicaments à donner
ou les pansements à faire. Muni de cette ordonnance et de
la carte rose, le consultant passe à la salle de pharmacie et
de pansements, où l’infirmier préposé à ce service exécute
les prescriptions du médecin.
Les cartes blanches restent dans les archives du dispen¬
saire ; en fin de séance, elles sont rassemblées par le secré¬
taire et classées dans un fichier dans l’ordre de leur numéro
d’ordre. Les ordonnances sont gardées dans la salle de pan¬
sements et rassemblées ; elles serviront à justifier les sorties
do médicaments et des objets de pansements, portées en
fin de mois sur le registre destiné à cet effet, et à établir le
budget.
La consultation est terminée ; le malade rend sa fiche de
numéro d’arrivée et part avec sa carte rose. S’il revient une
deuxieme fois, il n’aura qu’à présenter cette carte pour être
muni aussitôt de la carte blanche correspondante, qui porte
le même numéro d’ordre et il passera ainsi une deuxième
visite. Au cours de celle-ci, les renseignements cliniques nou¬
veaux sont inscrits à la suite sur la carte blanche,' avec la
date. Si le malade venait à égarer sa carte rose, il est aisé
de trouver sa carte blanche correspondante, à l’aide du ré-
pertoire alphabétique.
l’œuvre d’assistance du service de santé 209
Le fonctionnement des consultations et de la statistique
médicale, ainsi organisé dès le début, a donné entièrement
satisfaction par la suite, et il fut conservé sous cette forme ;
ainsi ont été évitées bien des confusions et des pertes de
temps, en même temps qu’était tenu avec rigueur le con¬
trôle du mouvement des malades.
Les résultats obtenus furent particulièrement brillants et
rapides ; très vite le nombre de consultants qui était de 400
en février 1922 doubla en mars et s’éleva encore, ainsi que
l’indiquent les chiffres suivants i
Année 1922
Février...
Mars.
.. 976
»
Avril.
.. 1.161
»
Mai..
.... 1.649
»
Juin....
. 1.513
»
Juillet ...
. 1.601
»
Août.... f -1 .
. 1.174
»
Septembre.....
»
Octobre .......
. 1.793
»
Novembre ,.............
»
Décembre ... 1.440 »
Janvier,
Année 1923
»
Février.
Mars,......... 1.076
Mai
. 1.129
»
Juin.....
»
Soit au total en 18 mois près de 25.000 consultations ;
sur ce nombre, il y avait chaque mois en moyenne de 500
à 600 consultants nouveaux.
Les consultants, hommes, femmes et enfants, venaient
de tous les points de l’énorme agglomération de Stamboul,
surtout des quartiers de la Sublime-Porte, de Sultan Ahmed
d’Àk-Seraï, de Fatih. Il en venait de Kassim-Pacha, d’Eyoub 5
Dejouany 14
210
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
de Scutari. des nombreux villages du Bosphore ; il est venu
des consultants même de Makrikeuy, de San Stéfano, d’Ha-
demkeuy, c’est-à-dire de très loin, attirés par la réputation
que le dispensaire avait su mériter.
La variété des affections observées était très grande :
affections médicales, chirurgicales, vénériennes, maladies
de la peau et parasitaires, etc... En hiver, prédominance
nette des affections de l’arbre respiratoire, en été des mala¬
dies du tube digestif ou de ses annexes. Peu de paludisme,
sauf chez les réfugiés d’Anatolie ou de Thrace. A titre d’exem¬
ple : les 520 consultants nouveaux de mai 1923 se répartis-
sait de la façon suivante, d’après la nature de leur maladie
ou de leur blessure :
Appareil respiratoire. 142
Appareil digestif.. 64
Appareil circulatoire.. 33
Affections chirurgicales. 94
Affections cutanées et vénériennes. 195
Affections diverses. 72
On faisait sur place les injections d’arsenic ou de mercure
nécessaires et les pansements (120 à 130 par mois). Les ma¬
lades, demandant des examens spéciaux ou présentant un
intérêt clinique particulier, étaient envoyés aux consulta¬
tions médico-chirurgicales de notre Hôpital de base de Gul-
Hané (Médecin-major Mouchet, professeur à la faculté de
médecine de Constantinople).
Quant à la répartition des consultants par sexe et par
âge, par nationalité ou par religion, ellç s’inscrit avec les
moyennes suivantes :
Femmes.... * ...«. 50 %
Enfants... 30 °/ 0
Hommes. 20 °/ 0
Turcs. 81 °/ #
Israélites. . .,. . , 13 °/ 0
Grecs 4 °/ 0
Arméniens. 2 °/ u
i
l’œuvre d’assistance du service de santé 211
Sur ces chiffres, quelques réflexions s’imposent : un pre¬
mier point frappe : le pourcentage élevé de femmes et d’en¬
fants, par rapport au nombre des consultants hommes. Cela
tient, semble-t-il, uniquement à ce fait que les consultations
avaient lieu à des heures peu abordables aux hommes, re¬
tenus à leur travail dans la journée. Ici, les heures étaient
imposées par l’utilisation du personnel militaire, déjà chargé
d’autres fonctions, mais pour d’autres organisations sem¬
blables, peut-être y aurait-il intérêt à prolonger ou à re¬
prendre le soir ces consultations, ou encore faire alterner les
consultations de jour avec les consultations de nuit. Il y a
lieu, en tout cas, de se féliciter de ce que les femmes turques,
si réservées cependant, soient venues avec confiance con¬
sulter un médecin, qui n’était pas de leur foi.
En second lieu, presque tous les consultants étaient des
Ottomans, les Israélites même sont sujets ottomans ; c’est
dire que notre but, qui était de donner une aide amicale
surtout aux indigents turcs, a été atteint. Naturellement,
tout le monde y était admis avec la même égalité, et il n’y
eut jamais de heurt à ce point de vue.
Le budget d’une pareille organisation ? Les recettes étaient
constituées par une allocation mensuelle de 50 livres turques
(8 francs la livre) du Haut-Commissariat et de 50 livres
du Général commandant le Corps d’Occupation. Les
dépenses étaient de deux ordres : les unes relevant du Dis¬
pensaire (loyer, personnel civil, chauffage, éclairage et frais
de bureau) s’élevaient à environ 100 livres turques par mois,
et étaient compensées par les recettes en numéraire, les
autres étaient supportées par le Service de santé (médica¬
ments, matières de pansement). Des calculs faits on peut
conclure, qu’en moyenne chaque consultation coûtait
1 franc, dont 0 fr. 50 pour les médicaments ou les matières
de pansement ; soit, au total, une dépense de 12 à 1.500 francs
par mois. C’est extrêmement peu ; il est juste d’ajouter que
le médecin et les infirmiers, qui étaient militaires, n’étaient
pas rétribués.
212
LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE
Les résultats, obtenus pendant toute la durée de l’Occupa-
tion française, montrent que l’œuvre, due à l’initiative chari¬
table du général Charpy, s’est brillamment développée ;
grâce à elle, de nombreux malheureux ont pu, pour quel¬
ques milliers de francs bien employés, être soignés, soulagés,
guéris, répandant au loin, dans la classe reconnaissante du
peuple turc, si sympathique, le nom généreux de la France.
Qu’il nous soit permis, au terme de cette étude, d’émettre
ici le vœu, que cet essai puisse contribuer à un rapproche¬
ment toujours plus intime des deux peuples de Turquie et
de France. Malgré des heurts passagers, malgré certaines
apparences trompeuses, les deux Nations ont de fortes et
précieuses qualités communes, qu’il appartient à nos
hommes d’Etat de mettre en lumière, afin de fortifier entre
elles une affection ancienne, si profitable à leurs intérêts po¬
litiques et économiques, si nécessaire à la paix du monde.
Des diplomates qui ont nom général Pellé, Franklin-Bouillon,
Albert Sarraut, des hommes de lettres, comme Loti et
Farrère, des professeurs comme Marcel Labbé et Aimé
Mouchet, d’autres encore ont déjà ouvert tout grandie bon
chemin. Nous, qui avons pendant de longs mois vécu auprès
du peuple turc, qui l’avons aimé et estimé, qui avons senti
si souvent battre son cœur à l’unisson du nôtre, nous avons
le droit d’espérer voir, dans l’avenir, nos deux Pays unis et
pour toujours par des liens profonds d’amitié.
Nous serons largement payés de notre effort si tous ceux,
qui ont vécu la vie du Corps d’occupation, consentent à
retrouver, le long de ces pages écourtées, un souvenir ému
de leurs heures passées sur le Bosphore et la trace des ser¬
vices que tous, chefs et simples soldats, y ont rendus à leur
Patrie. Le Corps d’occupation de Constantinople a brillam¬
ment marqué à nos couleurs cette terre d’Orient pendant
trois années ; si nos soldats n’y connurent pas, comme leurs
aînés, les rigueurs de la Grande Guerre, ils n’en eurent pas
moins une existence ingrate et sévère, dont il est arrivé
l’œuvre d’assistance du service de santé 213
qu’on a quelquefois méconnu le mérite. Des efforts cons¬
tants leur ont été demandés, soit pour l’exécution du ser¬
vice courant, soit en vue d’opérations, d’occupations, de
déplacements imposés par les événements politiques et
militaires. Ils restèrent exposés aux fatigues d’un climat,
surtout aggressif aux deux saisons extrêmes de l’année, et
aux atteintes de maladies infectieuses, très répandues dans
la population civile. Ils savaient que, sous le ciel amollissant
de l’Orient, ils avaient un rôle grave à remplir : la garde du
Pavillon français. Soutenus par le sentiment profond qu’ils
accomplissaient là une tâche importante et nécessaire, ils
ont courageusement oublié les douceurs de la vie de France,
et accepté joyeusement leur isolement sur cette terre étran¬
gère.
Que ceux qui, médecins, pharmaciens, officiers d’Àdmi-
nistration, sous-officiers, infirmiers et dames infirmières,
ont de près ou de loin pris une part à l’œuvre accomplie
par le Service de santé militaire français du Corps d’occu¬
pation de Constantinople, trouvent ici le juste hommage
que mérite leur dévouement. La belle route, qu’ils ont par¬
courue, leur a été splendidement tracée par leurs aînés qui,
si loin de leur clocher, sont restés là-bas frappés à leur poste
d’honneur, et dont les noms, chèrement conservés, tout en
haut de Péra, sur les stèles de ce riant cimetière de Férikeuy,
perpétuent le souvenir de leur sacrifice.
TABLE DES MATIERES
Pages
Préface....... I
Avant-propos,,. 5
CHAPITRE PREMIER
DE L’ARMÉE D’ORIENT AU CORPS D’OCCUPATION DE CONSTANTI¬
NOPLE. LES PRINCIPAUX EVENEMENTS DE L’OCCUPATION. LE
DISPOSITIF GÉNÉRAL FRANÇAIS. LES EFFECTIFS ANGLAIS ET
ITALIENS.
Année 1920. 9
Année 1921. 17
Année 1929. 23
Année 1923. 27
CHAPITRE II
LE CADRE ET LE MILIEU
I. — Le Cadre (Constantinople et les Dardanelles). 31
II. — Le Milieu . 39
1° Le Climat. 39
2 ° L’habitation. 43
3° La Rue.... 45
4° L’éloignement des matières usées. 46
5° L’alimentation. 46
6 ° Les eaux potables. 49
a) Le système hydraulique de la Région de Constanti¬
nople. 49
6 ) La valeur des eaux d’alimentation à Constantinople., 57
c) Les eaux potables en dehors de la région de Constan¬
tinople . 61
216
TABLE DES MATIERES
Pages
7° L’hygiène et la protection de l’Enfance.... 62
8 ° L’hygiène corporelle.. 62
III. — La morbidité et la mortalité à Constantinople .. 64
CHAPITRE III
LA SANTÉ PUBLIQUE OTTOMANE. LES COMMISSIONS SANITAIRES
INTERALLIÉES ET L’ÉPIDÉMIOLOGIE DU PROCHE-ORIENT
I. — L’organisation municipale .... 68
II. — L’organisation d’Etat ... 69
1° La Direction Générale de la Santé publique.... 69
2 ° L’administration Sanitaire des frontières. 72
III — Les Commissions sanitaires interalliées et le problème épi¬
démiologique du Proche-Orient . 76
CHAPITRE IV
LE SERVICE DE SANTÉ DU CORPS D’OCCUPATION FRANÇAIS
I. — Les Moyens ... . # 93
a) Le Personnel .. 93
b) Lés Edrmalions Sanitaires.. 96
c) Le Budget. 101
IL — Le Fonctionnement général.. . 102
a) La Direction. |q2
b) L’hospitalisation. 104
c) L’instruction du Personnel. 108
d) Les Prévisions et le fonctionnement en cas d’opérations
actives. Les évacuations. 109
e\ -L’action hygiénique et prophylactique. 116
CHAPITRE V
LA MORBIDITÉ ET LA MORTALITÉ DU CORPS D’OCCUPATION
l’état civil
— La morbidité et la mortalité ....
a) La fièvre de trois jours.
b\ La Dysenterie..„ . - ... ......
c) Le Paludisme.
.
. 130
d) La Diphtérie. aok
e\ La,Scarlatine __ ...............
•*••«»<
. 136
TABLE DES MATIERES 217
Page»
/) La Méningite cérébro-spinale et le typhus exanthéma¬
tique. 137
g) Les Infections typhoïdes...... 13g
h) La Varicelle et la Variole... 139
i) Les Epidémies de 1923. 140
IL — L'Etat-Civil . 147
CHAPITRE VI
LA MORBIDITÉ VENERIENNE
I. La Prostitution et les maladies vénériennes à Constanti¬
nople . 150
II. — L ’action prophylactique. .. 159
a) Prophylaxie dans le Corps d’occupation français..... 160
b) L’effort prophylactique interallié. 164
III. — Les Résultats . 172
CHAPITRE VII
l’œuvre d’assistance du service de santé militaire français
I. — Les Réfugiés russes de l'Armée Wrangel . 181
1° L'exode. L'organisation et le fonctionnement sanitaire :. 181
a) L’exode.. 181
b) L’organisation des premiers secours. 182
c) Les Camps..... 184
d) L’hospitalisation. 186
é] La dispersion des réfugiés,.... 192
2° La morbidité et la mortalité des réfugiés russes . 194
a) Le Typhus exanthématique.*. 195
b) Le Typhus récurrent. 196
c) Les Infections typhoïdes. 198
d) Le Choléra. 200
e) La Dysenterie et la Peste. 203
/) La Variole et le Scorbut. 204
II. — Le Dispensaire français de Stamboul . 200
Conclusion . 215
1>34J|
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Prix Cocgner 1925.
Pbrisson (Joseph), — Les troubles sympathiques dans i’hémi i
plégie. Un volume in-8« de 215 pages. 15 »
rj
Wallow (D r Émile). — Bismuth et composés bismuthiques dans
le Traitement de la syphilis. Un vol. in-8° de 128 pages 6 »
_----.
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